« Laisser passer un courant d'air pour laisser passer un courant d'art »
Il est passé des petits rats de l'Opéra à la souris de Disney et dirigé les célébrations du passage à l'an 2000. Jean-Luc Choplin, 51 ans, est aujourd'hui le directeur artistique des Galeries Lafayette. Un poste taillé sur mesure pour cet esthète au regard vif, bien décidé à faire rentrer l'art dans l'univers populaire et à développer l'identité visuelle et théâtrale des magasins de Paris et de Province.
La fonction de directeur artistique est plus fréquente dans le monde de l'édition, de la mode que de la distribution. Comment expliquez-vous cette intrusion de l'art dans le monde du commerce ?
Bien au-delà
de trouver de belles et bonnes choses dans leurs magasins, les gens recherchent
de plus en plus leur traçabilité. D'où viennent-elles ? A quel univers
appartiennent-elles ? Et un grand magasin doit absolument pouvoir se rattacher
à ce discours ambiant. Il doit intégrer les dimensions du rêve ou de l'univers
cinématographique dont les clients ont besoin. Le magasin doit construire des
histoires dans lesquelles ils ont l'impression de se promener. On peut très
bien créer des événements dans lesquels ils vivent une vraie qualité
d'émotions. La notion de théâtralisation est plus que jamais d'actualité. C'est
d'autant plus vrai pour le magasin des Galeries Lafayette qu'il est un lieu
extraordinaire, magique, construit comme un grand théâtre près de l'Opéra. Qui
plus est, sur un lieu de destination touristique privilégié où les gens
viennent flâner.
Comment va se concrétiser cette théâtralisation ?
Nous allons planifier des thèmes transversaux qui inciteront les
clients à se balader du sous-sol au septième étage. Dans une spirale vertueuse.
C'est déjà un peu le cas puisqu'ils peuvent se restaurer, envoyer des mails, se
faire masser et visiter une exposition. Mais nous allons organiser un
calendrier encore plus imaginatif à partir du début de l'année prochaine. Je
souhaite que les Galeries Lafayette s'ouvrent à des artistes qui viennent
travailler sur notre programmation, comme cela a été le cas avec Pierrick Sorin
qui est venu créer un défilé vidéo de mode à partir de nos modèles. Toutes les
expériences que j'ai testées depuis quelques mois ont été très bien perçues. De
la vitrine sur le thème de la fable et composée de "mannequins-sculptures" à
têtes d'animaux sur le thème rebelle/romantique à l'allée de mannequins sur
socle mettant en scène des vêtements du magasin et qui s'est avérée très
efficace... commercialement.
Vous voulez dire que les clients recherchent autant l'émotion que le produit ?
Il ne faut pas
généraliser. Mais il est exact que l'on doit pouvoir venir aux Galeries
Lafayette pour y trouver une nourriture plus émotionnelle. Les Galeries
Lafayette ont d'ailleurs toujours entretenu l'idée d'un supplément d'âme. Il y
a une quinzaine d'années, le magasin organisait de grandes expositions :
costumes de Maharadjah, statues grecques... Son slogan était "Il se passe
toujours quelque chose aux Galeries Lafayette". Aujourd'hui, il serait plutôt
"Il se crée toujours quelque chose aux Galeries Lafayette". L'art a la vertu de
surprendre tout en s'inscrivant dans la réalité de la vie. Nous voudrions
aborder le domaine de l'art sur l'art de vivre. Créer des oeuvres et permettre
de s'interroger. Interpeller. Sur la place de l'objet, mais plus largement sur
les univers du design, du jouet en passant par les livres... La création de la
Galerie des galeries en est l'illustration. Comme dirait Marcel Deschamps, il
faut « laisser passer un courant d'air pour laisser passer un courant d'art ».
Quels changements cela va-t-il entraîner sur l'organisation actuelle des Galeries Lafayette ?
Je vais superviser l'ensemble des
services existants : événementiel, identité visuelle, merchandising, étalagisme
et créer de toutes pièces un nouveau secteur Galerie avec une équipe création
et production. Pour l'instant, nous démarrons sur le magasin Haussmann, mais
l'objectif est de donner aux autres magasins des Galeries l'opportunité de
décliner nos événements. En octobre, par exemple, nous avons emmené en
"tournée" la vitrine sur le thème de la fable. Nous l'avons installée dans des
magasins de province en fonction des configurations ou encore dans notre
magasin de Berlin autour de sa coupole. Je souhaite créer un phénomène
d'émulation.
Qu'est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?
Je n'aime pas me répéter et j'ai tout de suite compris que cette
aventure me permettrait d'exploiter mes différentes expériences pour marier art
sophistiqué et populaire. Décliner l'art au quotidien et créer de l'éphémère
qui dure c'est une mission passionnante. Et puis, regardez, je travaille à deux
pas de l'Opéra Garnier...
BIO-FLASH
Ancien administrateur général de la danse avec Rudolf Noureïev au Théâtre National de l'Opéra de Paris de 1984 à 1989. Directeur artistique de Dysneyland Paris pour son ouverture en 1992. Vice-Président Créatif pour Walt Disney Company à Los Angeles en 1995. Chargé de diriger les célébrations de l'Année 2000, sous l'autorité de Michael Erisner.