« La sophistication doit servir la simplification »
Leader mondial des lames et rasoirs, Gillette poursuit sa quête du rasage parfait, en essayant de faire tendre vers zéro l'antagonisme de la lame qui doit couper sans irriter. La marque peut d'autant mieux se concentrer sur sa R&D que les attentes de l'homo rasoirus seraient les mêmes sur toute la planète. Pour les femmes, c'est un peu moins simple, mais peu à peu Gillette réussit à leur faire délaisser les outils de leurs maris. Le point avec le directeur marketing et le chef de groupes hommes, Frédéric Hédouin et Arnaud Aujouannet.
Quelles sont les caractéristiques du marché du rasage ?
Arnaud Aujouannet : C'est un marché dynamisé par des innovations
qui ont toujours pour objectif d'apporter des bénéfices au consommateur.
L'homme est toujours à la recherche de plus de précision et de moins
d'irritation. Cette attente est constante et chaque fois que l'on réussit à
créer un produit qui combine ces deux antagonismes, on a des chances de
développer le marché.
L'absence de bénéfices objectifs est impossible dans votre secteur, contrairement à beaucoup d'autres...
Frédéric Hédouin : Le paradoxe du rasage, c'est couper
sans irriter. A. A : Sur ce marché, la croissance passe surtout par des
produits à forte valeur ajoutée. Il y a deux grands segments : les rasoirs
jetables et les rasoirs systèmes. Mais la logique est exactement la même sur
les deux. Donc, effectivement, c'est un marché dynamique qui continuera de
l'être tant qu'il y aura des innovations. Ces innovations, il faut bien sûr les
faire connaître et nous investissons fortement en communication. Le rasage est
pour les hommes un geste très impliquant, quotidien et assez agressif, puisque
se raser enlève une couche de sébum. Donc, lorsqu'un homme est satisfait de son
rasoir, il y est généralement très fidèle. L'encourager à essayer des produits
plus performants en rassurant sur l'aspect technologique nécessite de la
communication.
Comment évoluent les pratiques ?
A. A :
Le rapport entre rasage mécanique et électrique est d'environ 75/25. Mais, tous
les ans, le mécanique gagne un ou deux points. F. H : Le mécanique offre plus
de naturalité, de rapidité, de praticité et les performances sont au
rendez-vous. Cela correspond à des cibles assez différentes. L'usage d'un
système électrique est un peu plus mature. Le mécanique offre des produits de
démarrage de grande qualité, en plus de performances incomparables.
Que vaut un rasoir Gillette comparé aux derniers Philips électriques ?
A. A : On ne peut pas comparer. La performance du rasage
mécanique, aujourd'hui, est largement supérieure. Et, grâce à toute la
recherche, on arrive à avoir des rasoirs qui sont quasiment moins irritants que
les rasoirs électriques.
Le dossier de presse de votre tout récent Mach 3 Turbo est impressionnant de superlatifs !
F. H : C'est
révolutionnaire et ça parle de rasage sans dessus-dessous. On étudie aussi la
formulation "Une expérience renversante". Le style de la communication, avec le
spationaute qui peut se raser dans sa station orbitale, et qui se rase la tête
en bas, permet de démontrer de façon immédiate et impactante, le fait que ça
marche dans les deux sens et encore mieux qu'avant. A. A : On sait aujourd'hui
qu'en se rasant à contresens du poil, on se rase de plus près, en revanche,
c'est plus irritant. Le gros bénéfice de ce produit, c'est de permettre de
limiter l'irritation. Bien sûr, c'est un univers très high-tech. Il y a eu
beaucoup de recherche et développement sur ce rasoir. Il compte 35 brevets sur
une multitude de petits détails, qui en font au final un outil super complexe.
Cela commence avec la technologie de la lame et ses alliages. Une lame, ce
n'est pas juste une couche d'acier, mais plusieurs alliages qui ont toujours
pour objectif de la rendre de plus en plus fine. Plus la lame est fine, plus
elle sera agréable. En revanche, plus elle est fine, plus elle s'use
rapidement. Le but du jeu, c'est de fabriquer des lames fines, mais
résistantes. D'où le carbone sur la lame Mach 3 et la couche d'un matériau
proche du Téflon sur le Turbo. Autour de la lame, il y a des accessoires, des
lamelles en élastomère qui redressent le poil, qui limitent la force de coupe
et permettent de l'optimiser. Ensuite, il y a la plaquette lubrifiante qui
dépose un film hydro-lipidique sur la peau et qui sert également d'indicateur
d'usure. Lorsque la couleur de la plaquette a disparu, cela sous-entend qu'il
faut changer la lame.
Ce positionnement très techno sonne-t-il le glas de la "perfection au masculin" ?
F. H : Non, c'est un
prolongement. "La perfection au masculin" est toujours notre signature. C'est
ce vers quoi veulent tendre tous nos produits. On l'a beaucoup plus utilisée
dans les années 80-87, et après avec le lancement de Mach 3 et son avion de
chasse. On est plutôt dans la continuité de ce type de communication. Là, on
est sur une communication produit, innovation, performance. Parce que la cible
est très large. Une partie de nos clients est sensible à l'innovation et au
fait de changer de produit. Une autre reste sur ses anciens produits. Pour tous
les hommes sensibles à la communication, à leur image et à la performance,
communiquer sur la technologie et la performance est particulièrement bien
reçue. Ce qui fait qu'aujourd'hui, Mach 3 est devenu la première référence du
marché, avec pas loin de 35 % du marché en valeur, en France mais aussi à
l'international où il est globalement le leader mondial.
Hormis les innovations technologiques, vous pouvez donc jouer sur le côté collection...
A. A : Nous avons assez régulièrement effectué des
lancements de rasoirs collection. C'est une logique très intéressante, car elle
permet de toucher des utilisateurs différents. Un Mach 3 classique est choisi
globalement par les jeunes de 25-35 ans, CSP +, globalement. Avec le Cool Blue,
on a touché un autre type de foyers, plus familiaux et aux revenus moyens.
C'est une
tendance que l'on poursuivra. Elle est encore plus vraie sur le marché du
féminin. Sur le féminin, une des clés d'entrée reste la séduction pure. Pour
les hommes, la performance et la technologie sont les deux premières entrée. F.
H : Malgré tout, les hommes gardent leurs rasoirs pendant deux à trois ans.
Notre rythme de variation leur donne toute latitude pour changer avec la bonne
régularité. Après, autour de l'acte du rasage, vous avez aussi pas mal
d'options avec les produits de soin gel, mousse, splash... tout ce qu'on
appelle le "grooming".
Vous avez beaucoup étendu les gammes soie...
F. H : Les grandes évolutions ont été le gel par rapport à
la mousse à raser. Le produit est aujourd'hui à parité en unité et en valeur.
Il présente un vrai avantage avant-rasage. En massant, la mousse gaine bien
mieux le poil, ce qui réduit la résistance au rasage. A. A : Globalement
l'usage des produits de toilette se développe. Peu sur les préparations,
puisque 95 % des hommes s'en servent déjà. En revanche, ils utilisent de plus
en plus d'après-rasages et de déodorants. Cette progression se fait surtout au
travers de deux sous-segments, les soins après-rasage et les antitranspirants.
Est-ce que vous pourriez aller encore plus loin dans le soin ?
F. H : Il y a des réflexions là-dessus dans notre centre de
recherche de Boston. Mais, sur le total des produits masculins de toilette
dépensés par les hommes, nous sommes déjà présents sur 80 % du chiffre
d'affaires.
En 2004, vous fêterez les dix ans des rasoirs féminins. Est-ce que cela ne rend pas caduque votre slogan "La perfection au masculin" ?
F. H : Nous sommes dans un univers de communication
non pas macho mais assez viril, avec une emphase sur ce qui fait vibrer plus
classiquement les hommes : univers mécanique, automobile ou aéronautique. Mach
3 Turbo est vraiment dans cette logique. Nous avons poussé les limites et
maintenant nous sommes dans l'espace. Ceci dit, la promesse colle de façon très
maligne au plus produit. Mais, entre hommes et femmes, on est vraiment sur des
logiques de consommation différentes. Le rituel de rasage et la domestication
de leur pilosité faciale est complètement vécu par les hommes. Mais, la
dépilation féminine en France est moins assumée.
Quel est le pendant féminin de la perfection au masculin ?
F. H :
Actuellement, le claim international est "Révéler la déesse qui est en vous".
Mais ça ne vient pas au même niveau que la "perfection". L'équivalent, c'est
plutôt "Plus douce, plus longtemps".
Est-ce que l'idée que la femme ne soit pas à la recherche de performance n'est pas un cliché confortable ?
A. A : C'est vrai que la performance est le premier critère
attendu, mais elle est induite par la marque. Pour une femme, la marque faisant
des produits pour hommes depuis un siècle, le rasoir sera forcément bon. Nous
travaillons la féminisation du rasoir et nous jouons sur la séduction, car
beaucoup de femmes utilisent encore des rasoirs d'homme. L'idée est de leur
dire : attention, il existe des produits beaucoup mieux adaptés qui sont plus
sympas et plus glamour que les produits masculins. F. H : Les femmes sont plus
sensibles à l'esthétique. En plus, le rasoir de l'homme est sur le lavabo,
quand celui de madame est sur la baignoire, donc il se clipe ou se colle et les
recharges sont sous vides pour ne pas tremper dans l'eau. L'ensemble de ces
personnalisations ne sont pas faites pour différencier l'homme de la femme,
mais pour apporter le meilleur rasage. C'est vrai que nous avons une
communication de référence qui est assez produit, assez forte, qui s'impose un
peu, mais nous faisons de plus en plus de communications de proximité, de la
presse, du publi-reportage dans les féminins, sur Internet ou du partenariat,
avec Turbo sur M6, par exemple.
Que veut dire "travailler pour Gillette" ?
A. A : C'est travailler pour l'expert de l'homme,
avoir une connaissance globale des usages de l'homme. F. H : Ce que je trouve
passionnant dans l'univers de la toilette, c'est qu'il y a de la connivence. On
est vraiment un partenaire quotidien. Entre 6h et 8h du matin, Gillette est
pris en main par 70 % des hommes. C'est donc assez sympa de se dire qu'on est
sur un produit, un geste qu'on travaille à rendre plus efficace. Et cela vient
côté femmes. On peut se dire que l'on améliore un peu le quotidien.
Que disent les dernières études sociologiques sur l'homme et le soin ?
A. A : Le mouvement de fond est que l'homme prend davantage soin
de lui. Il va de plus en plus dans les instituts, il utilise des soins. Des
marques comme Nivea ont surfé sur cette vague, mais c'est encore marginal. F. H
: L'autre tendance est aux produits qui rendent plusieurs services. La
sophistication doit servir la simplification. Un produit bien adapté, qui fait
plein de choses en même temps est préférable à une panoplie de produits. A. A :
Nous croyons beaucoup à l'amélioration des produits les plus quotidiens.
Aujourd'hui, l'homme consacre 23 minutes par jour à sa toilette, mais il n'en
fera pas beaucoup plus. Chaque fois qu'il y a eu des lancements sur des niches,
l'intérêt a été de courte durée. Aujourd'hui, seulement 63 % des hommes
utilisent de l'après-rasage, 67 % un déo. Sur ces produits basiques, il y a
encore de forts potentiels de progression.
Cette volonté moins virile ne colle pas tellement avec votre communication techno ?
A.
A : On doit éduquer l'homme. Mais aujourd'hui, 65 % des hommes restent virils
et si on fait des communications de niches, on passe à côté d'eux. Nous avons
plutôt tendance à avoir une communication large qui touche tout le monde. Mais
dans nos communications sur les produits toilette, le ton évolue un peu. On est
dans un univers assez high-tech, mais on joue beaucoup le côté séduction et
bien-être. Cette notion-là va vraiment dans le sens de l'évolution des
comportements masculins.
La vague anti-américaine nuit-elle à la marque ?
F. H : Gillette n'est pas perçue comme américaine mais
comme française. En fait, nous, quand nous sommes là, nous n'avons pas
l'impression d'être le porte-drapeau d'une marque américaine. Nous sommes dans
le bénéfice quotidien pour le plus grand nombre. A. A : Globalement, pour les
hommes, les attentes en matière de rasage sont les mêmes dans le monde entier.
Nous ne sommes pas perçus comme une marque impérialiste, d'autant qu'à
l'origine, le père de Gillette était un immigré français. On ne le vit pas non
plus comme une contrainte.
Biographie
Arnaud Aujouannet a 33 ans, il est marié. Diplômé de l'ISG et d'un troisième cycle en marketing, il entre chez Gillette en octobre 1993, en tant que chef de secteur pendant dix-huit mois, puis devient chef de produit fin 95. Chef de groupe de différents secteurs depuis décembre 1999, il est aujourd'hui responsable de tout le secteur hommes.
Biographie
Frédéric Hédouin a 40 ans, il est marié. Diplômé d'HEC, il entre en 1987 chez Henkel, où il fait ses premières armes dans le marketing et la vente. Il passe ensuite deux ans chez Seagram, en tant que chef de groupe sur Chivas. Début 90, il devient chef de groupe chez Duracell (au sein du groupe Gillette depuis cinq ans). Il passe ensuite trois ans au marketing Europe et, lors du rachat du groupe, contribue à constituer le marketing international chez Duracell dans le Connecticut. En 2000, il rentre en France pour prendre la direction de la Business Unit Duracell. Depuis janvier, il est directeur marketing de Gillette France.
L'entreprise
Gillette est le leader mondial du rasage mécanique. En France, son chiffre d'affaires 2002 s'élevait à 345 millions d'euros pour les lames, soit une part de marché de 69, 5 % en valeur, et à environ 25 millions d'euros pour les rasoirs, soit 76 % de part de marché. Le Groupe Gillette France commercialise quatre grandes marques : Gillette, Duracell, Braun et Oral B.