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«Il n'y a pas de fatalité à la morosité des marchés»

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A l'occasion de ses 40 ans en France, Henkel a présenté en novembre ses nouvelles ambitions. Bruno Piacenza, président-directeur général d'Henkel en France, revient, pour Marketing Magazine, sur le levier majeur du groupe, l'innovation.

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Vous êtes p-dg d'Henkel en France, directeur général des Cosmétiques, et responsable de la région Middle-East depuis deux mois.

Est-ce une difficulté ou un atout de cumuler plusieurs fonctions?

Bruno Piacenza: C'est tout simplement passionnant car d'une part, je suis président d'Henkel en France, oùje dois prendre du recul. D'autre part, je suis directeur général des Cosmétiques et donc proche de l'opérationnel.

Ainsi je ne me coupe jamais de la réalité des clients et des consommateurs. J'ai aussi une approche internationale qui me permet de relativiser et de faire profiter mes différents marchés des expériences des autres.

Ces trois jobs se nourrissent les uns les autres.

Henkel souhaite devenir le leader de l'innovation sur les marchés internationaux. Qu'entendez-vous concrètement par là?

B. P.: L'innovation n'est pas une approche nouvelle, puisque c'est l'ADN de la société depuis plus de 130 ans. L'acte fondateur d'Henkel est étroitement lié à l'innovation. Nous avons lancé la première lessive en paillettes, puis en paquet dans le but de faciliter la vie de la ménagère. Depuis la création de notre filiale en France il y a 40 ans, nous innovons: citons, entre autres, la première lessive sans phosphate avec

Le Chat, précurseur du développement durable, ou l'introduction de la coloration en grande surface avec Schwarzkopf en 1997. Cette dernière nous a d'ailleurs propulsés numéro deux du capillaire en France. Bref, l'innovation a toujours été au coeur de notre façon de travailler. Cela dit, nous nous sommes rendus compte que nous pouvions faire plus, notamment en interne.

C'est-à-dire?

B. P.: Si l'innovation n'est pas au coeur des équipes, alors tout cela reste une lettre morte. Nous avons souhaité qu'elle ne soit pas l'apanage du marketing, mais que chacun puisse y participer dans la société. Nous avons ainsi lancé le programme «Let's innovate» en trois ans. En 2006, ce dernier a permis de remettre l'innovation au sein de la culture Henkel.

Chaque salarié du groupe, quelle que soit sa fonction, devait ainsi proposer deux ou trois idées.

L'objectif était d'arriver à plus de 130000 idées au bout d'un an et demi. Cela a fortement contribué à notre croissance organique de plus de 6% pour les neuf premiers mois de l'année. L'année 2008 doit être la conclusion de ce programme. Nous souhaitons qu'à cette date, un tiers de nos ventes soit réalisé par des produits ayant moins de trois ans d'existence.

Quel est leur pourcentage actuellement?

B. P.: Nous sommes déjà à plus de 25%.

Qu'entendez-vous réellement par innovation?

B. P.: L'innovation est multiple.

Il s'agit de nouvelles manières convaincantes de répondre à une attente du consommateur ou, mieux encore, de la générer et de la satisfaire. Sortons du mythe de l'invention de la roue qui ne se fait pas tous les ans.

Nous produisons, certes, de très fortes innovations technologiques comme les colles sans solvant, les premières lingettes nettoyantes, mais il existe aussi des innovations dans d'autres domaines: produits professionnels à la maison, multi-usage et confort, plaisir et mode. Il y a toutefois certaines conditions. Un produit qui ne trouve pas ses consommateurs, ou bien un procédé technologique fabuleux qui n'est pas commercialisable, ne fonctionnera pas. Il en est de même s'il ne répond pas à une attente. Il est alors gratuit et ne sert à rien. Il s'avère donc nécessaire qu'une innovation propose quelque chose de très concret tel qu'un service ou une proximité au consommateur. Elle doit lui changer ses habitudes tout en augmentant son degré de satisfaction.

Bruno Piacenza (Henkel France)

@ Bruno Delessard

Bruno Piacenza (Henkel France)

Parcours

Formation
HEC


Parcours professionnel
Président-directeur général d'Henkel France, directeur général des Cosmétiques, et responsable de la région Middle-East


- Après une première expérience en conseil en stratégie, il entre chez Henkel en 1991 comme assistant chef de produits, puis évolue ensuite dans les fonctions marketing, acquisitions, ventes, avant d'être promu au marketing international à Dùsseldorf (Allemagne) et de prendre plusieurs directions générales à l'étranger, telles que l'Italie et la Grèce.


- Bruno Piacenza est membre du comité international marketing Henkel qui décide du devenir des marques cosmétiques au niveau mondial.


- Bruno Piacenza est également administrateur de l'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (liée), de la Fédération des industries de la parfumerie (FIP) et de l'Union des annonceurs (UDA).

Telle est d'ailleurs la signification de votre signature «A brand like a friend».

B. P.: Notre slogan évoque notre proximité avec le consommateur mais aussi le fait que nous l'accompagnons tout au long de sa journée par nos innovations. Nous cherchons à être leader ou challenger dans les marques ou les technologies qui facilitent, améliorent ou embellissent la vie du consommateur, et de nos clients industriels. Cette proximité et l'esprit d'entreprise nourrissent l'innovation. C'est notre triangle magique, et ceci pour nos trois divisions: Lessives et produits d'entretien, Cosmétiques et Colles.

«Une innovation doit changer les habitudes tout en augmentant le degré de satisfaction.»

Vous mettez souvent en avant cette proximité que vous avez avec le consommateur ainsi qu'avec vos collaborateurs.

B. P.: Henkel est une société innovante aussi bien dans son offre que dans sa façon de gérer les hommes. Avec un objectif qui est de toujours mieux comprendre nos clients. Cela passe par une nouvelle approche qualitative, mais aussi par un management innovant. Nos salariés sont d'ailleurs très différents les uns des autres, de sensibilités distinctes et ils sont issus de formations variées. La diversité est pour moi un énorme atout. Quand vous faites réfléchir des gens différents ensemble, vous voyez forcément émerger des tendances de fond.

Il en est de même pour nos équipes marketing et R&D qui doivent s'imprégner de la façon d'être des clients, en allant chez eux quatre fois par an.

C'est de l'anthropologie?

B. P.: Oui, car entre le déclaratif et le vécu, il y a vraiment un monde.

En observant le consommateur, on apprend davantage que dans le déclaratif. Nous avons même été jusqu'à suivre une dizaine de familles dans leur salle de bains. Nous les avons filmées et avons observé leur comportement.

Nous y avons appris des tas de choses comme la problématique de la taille des salles de bains, de l'utilisation des produits, de temps passé... Par exemple, les traces que laisse le dentifrice (qui colle sur le lavabo) posent problème. Nous avons rassemblé une multitude d'observations qui nous ont donné des insights produits passionnants.

Est-ce qu'une vraie innovation part du besoin du consommateur ou bien doit-elle créer justement un besoin que le consommateur n'a pas encore?

B. P.: Il existe deux sortes d'innovations. Tout d'abord, celles dites d'adaptation qui améliorent des offres telles que des produits plus pratiques. Il y a ensuite des produits plus révolutionnaires qui créent un besoin. Le retoucheur de racines Schwarzkopf en est un exemple. Peu de femmes nous le demandaient. Et pourtant, ce stylo applicateur de coloration capillaire s'est imposé comme une vraie innovation. Et comme une évidence. Il faut arriver à sentir les besoins latents pour que ces derniers paraissent une évidence au consommateur.

Nous venons de lancer Diadermine Age ExCellium au complexe de caviar. Il s'agit d'une innovation car une telle crème ne s'adresse plus seulement aux happy few, mais à toutes les femmes.

Le consommateur est devenu plus expert, il décode aisément le marketing. Arrivez-vous tout de même à le surprendre?

B. P.: Oui, car bien qu'il soit informé et critique, il aime être surpris. Un produit innovant qui trouve sa cible est une véritable rencontre. Mais il faut faire attention, cela ne marche que lorsque la bonne idée rencontre le bon consommateur et la bonne marque. Une innovation n'existe pas dans l'absolu. Certaines ne vont pas correspondre pas à une marque et collent parfaitement à une autre. Le Chat Bébé ou le Chat Sensitive sont des marques qui ont fonctionné, car ces lessives avaient une image de naturalité. Le marketing doit sentir cela. Il est donc possible de surprendre dans un monde saturé d'informations car le consommateur, bien que rationnel, a aussi besoin de magie.

Le thème du Henkel Innovation Challenge est «Comment vivrons-nous en 2050». Comment voyez-vous l'avenir des produits de grande consommation?

B. P.: Le Henkel Innovation Challenge est un concours de créativité qui s'adresse aux étudiants européens et leur permet de présenter des concepts marketing face au management.

Concernant l'avenir des produits de grande consommation, il va y avoir une vraie révolution en matière de développement durable. Beaucoup de choses vont changer, notamment dans la façon de vivre dans sa maison.

Toutes nos colles grand public ou industrielles vont, par exemple, forcément évoluer dans ce sens.

Le secteur des adhésifs n'est pas le seul concerné. Les cosmétiques sont également concernés par la recherche de produits permettant de résister à l'agression de l'extérieur ou à la gestion de l'âge.

Tous nos domaines de compétences stratégiques vont prendre en compte ces évolutions dans leur approche produit.

Il en est de même quant à notre relation à l'eau et au gaspillage qui va révolutionner nos habitudes de consommation.

Le développement durable et l'environnement sont devenus des éléments-clés. Travaillez-vous sur des axes qui favoriseront la réduction de l'impact des produits et de leur packaging sur l'environnement?

B. P.: Nous travaillons beaucoup sur l'écoconception des produits.

Notamment au niveau du choix des matières premières, de la réduction des packagings ou dans le domaine de la recherche appliquée. Nous faisons de très gros efforts sur la réduction des emballages et les dosages des produits. L'ensemble de nos packagings a, en effet, été divisé par deux en dix ans. Pour vous citer un exemple plus précis, nous avons réduit les packagings de Bref WC duo bleu de 55%, ils sont passés de 21 g à 9,7 g. Notre écorecharge Le Chat s'est allégée de 40%. Nous essayons d'avoir, sur le développement durable, une approche holistique.

Henkel a lancé ces deux dernières années des packagings très innovants à l'instar de Mir Degraiss' Boy, ou de Bref Freshsurfeur dessiné par Alessi. Le packaging peut-il encore faire gagner des parts de marché et contribuer à la croissance d'une entreprise?

B. P.: Enormément. Le design est, en effet, un facteur de choix. Et l'engouement pour les matières et les formes est évident. Nous venons de lancer un bloc pour toilettes, dessiné par Alessi, à la forme de kayak. Que ce soit Degraiss'Boy ou Le Chat, nous avons créé des produits qui changent la gestuelle et rentrent dans l'imaginaire des consommateurs. Et dans le même temps qui mettent, encore une fois, du plaisir dans l'utilisation. Car le plaisir est une tendance très lourde.

L'introduction d'un design plus fantaisie n'est-elle pas incompatible avec des contraintes environnementales?

B. P.: Bien au contraire, les contraintes stimulent la créativité.

Je vous donne un exemple: le Bref WC Surfer Alessi a un packaging de poids tout à fait comparable à un bloc WC traditionnel. Les designs originaux de Teraxyl sont sans étui carton par exemple. Car il est important de noter que tous nos emballages sont 100% recyclables.

Comment le marketing travaillet-il avec la R&D? Quel est votre investissement en R&D?

B. P.: Aujourd'hui, 340 millions sont consacrés à la R&D en croissance de 5% par an. Au-delà des chiffres, il existe une véritable collaboration, voire une intégration des deux services dans le processus de développement. Ces derniers passent énormément de temps ensemble. Du coup, les temps de développement de produit sont très courts, puisqu'ils se situent par exemple entre 9 et 15 mois sur le secteur des cosmétiques.

Le troisième trimestre a été fructueux pour Henkel. Quelles sont vos nouvelles priorités?

B. P.: Notre objectif est de croître de deux à trois points au-dessus de nos marchés en étant soit leader, soit challenger gagnant.

A l'horizon 2010, nous voulons atteindre 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires et devenir le numéro 1 ou numéro 2 sur nos catégories prioritaires (lessives universelles, lessives spéciales et liquides vaisselle) . Et devenir numéro 2 sur le marché de la coiffure professionnelle.

«Notre relation à l'eau et au gaspillage va révolutionner nos habitudes de consommation»

Vous êtes pourtant sur des marchés un peu moroses en France...

B. P.: C'est pourquoi le but n'est pas uniquement de gagner des points, mais aussi de dynamiser nos marchés. Les innovations que nous avons lancées dans la branche colles sont un bon exemple, car elles ont tiré l'ensemble du secteur. Pour moi, il n'y a pas de fatalité à la morosité des marchés. La fatalité est dans nos têtes.

Quels sont aujourd'hui vos projets?

B. P.: Nous travaillons sur des tendances lourdes: la naturalité, le développement durable, mais aussi la montée des seniors, de l'individualisation, du plaisir et du luxe. Sans oublier l'intérêt croissant des hommes pour les cosmétiques... et celui des femmes pour le bricolage. Tous nos lancements prendront en compte ces évolutions.

 
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AVA ESCHWEGE

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