«Fake green» au Japon ou le règne de la nature artificielle
Si la société japonaise montre un grand souci d'harmonie avec la nature, elle y répond essentiellement en jouant sur les apparences à grand renfort de simulacres. Décryptage.
Je m'abonnePlus de 125 millions d'habitants sur une superficie habitable quasiment égale au Benelux. Malgré la situation insulaire et une nature inhospitalière, les Japonais ont inscrit l'harmonie au premier rang de leurs valeurs directrices. Harmonie avec l'environnement. Harmonie du groupe... Plus encore qu'une philosophie, une nécessité! Cette disposition japonaise s'illustre dans des «éco-réflexes» culturels: l'alimentation traditionnelle donne la part belle aux produits saisonniers et aux productions locales. La culture du riz est de facto bio, puisqu'elle n'utilise pas d'engrais chimique, pour ne pas épuiser la (précieuse) terre. L'hôtellerie traditionnelle est éminemment verte, les «ryokans» étant généralement construits en bois, papier et bambou... Quant au furoshiki, technique ancestrale d'emballage en tissu, il propose peut-être le premier packaging écolo car réutilisable!
Mais cet arrière-plan historique est totalement contredit par la réalité de la société nipponne contemporaine. L'hyperconsumérisme, la soif de nouveauté, le jetable, le mini, la surenchère packaging font du Japon l'un des pays les plus pollueurs au monde. Et si la ville japonaise est aujourd'hui saturée de messages «green», elle consacre avant tout le règne de l'apparence et du simulacre.
Un levier de réenchantement
Lierre fixé sur des lustres en coton, coccinelles en vitrophanie (adhésifs) sur les taxis, polyéthylène effet bambou, béton brossé façon papier, murs végétaux dans les centres commerciaux, forêts en plastique, «projections» florales hyper-technologiques... Le vert se manifeste le plus souvent de façon «simulée» et mise en scène, comme autant d'incursions d'une nature spontanée, rassurante et bienveillante dans la ville. De fait, les Japonais abordent le naturel comme un levier de réenchantement d'un quotidien urbain stressant, bien plus que comme une réponse pragmatique et raisonnable à une situation écologique préoccupante.
Ces artifices ne sont qu'un prolongement des statues animistes, petits animaux représentant les esprits de la nature et jalonnant les rues des mégalopoles japonaises. Ils mettent en scène la «croyance» d'une harmonie maintenue avec la nature et procèdent davantage de l'incantation que de la démarche rationnelle. Mais ce «fake green» («faux vert») à la japonaise a néanmoins une vertu: en s'adressant à un besoin «émotionnel» de réconciliation avec le monde, il pose les bases d'une consommation écologique forte. L'associer à un enjeu de sérénité et d'harmonie personnelle et l'ancrer dans le quotidien des consommateurs finira inévitablement par payer. Pour preuve, les efforts de pédagogie et de discipline en matière de recyclage y sont malgré tout exemplaires. Et c'est bien au Japon qu'est né ce qui pourrait contribuer demain à un monde meilleur: le moteur hybride.
CECILIA TASSIN, DIRECTRICE DU PLANNING STRATEGIQUE DE BLACK & GOLD