« Au Club, il existe une v éritable religion de l'autre »
Comment percevez-vous l'histoire du Club ?
C'est
une belle histoire, mais une histoire assez classique. Deux individus qui ont
une idée géniale, l'invention du concept du "tout compris", qui a permis à
quantité de gens, depuis cinquante ans, de découvrir des horizons insoupçonnés.
Et le flair de lancer cette idée au bon moment, alors que se développaient les
congés payés.
Quelles failles ont provoqué, il y a quelques années, une nette baisse de régime ?
Après cette phase de création
et de développement pour en faire la plus grande entreprise de gestion de
villages de vacances au monde, ce qui était un développement peu classique,
arrive un écueil classique. La seule chose qui peut vous arriver quand vous
êtes archi-leader sur un créneau, c'est que cela ne dure pas. On a tendance à
ne pas voir évoluer ses clients. Or, entre les années d'or et à partir des
années 75, ils ont énormément évolué. On est passé de l'hédonisme total à une
forme d'individualisme beaucoup plus poussé aujourd'hui, même si les vacanciers
ne rejettent pas du tout la vie en groupe. Mais ils tiennent à être reconnus
pour ce qu'ils sont au travers de ce groupe. Deuxième évolution : l'apparition
de fléaux, tels que le sida, ont impliqué de vrais changements structurels dans
les attentes et la façon de se comporter. Le Club ne les a pas forcément
anticipés. La position de leader peut vous pousser aussi au nombrilisme et à ne
pas regarder vos concurrents et vos marchés. Or, en cinquante ans, la
concurrence s'est développée de partout. Elle n'est pas toujours facile à
reconnaître parce qu'il n'y a pas de marque mondiale dans ce métier en dehors
du Club. Mais, en revanche, il y a des concurrents nationaux et locaux dans
tous les pays où nous sommes présents. Enfin, dernier danger en tant que
leader, vous pouvez devenir un peu arrogant, plein de certitudes et considérer
que rien ne doit changer puisque la formule de base vous a réussi. La
combinaison de ces trois attitudes peut entraîner des difficultés telles, que
le Club était en train de s'enfoncer.
Comment s'est opéré le rebond ?
Tout d'abord, il y a de bonnes nouvelles. Le marché du
tourisme croît à deux chiffres depuis quinze ans. C'est donc un marché en
croissance qui ne paraît pas prêt de s'arrêter de grandir. Même si vous avez
des concurrents, vous êtes sur un marché porteur. Ensuite, quand on se donne la
peine de regarder ce qui a fait le succès du Club à l'origine, notamment les
valeurs intrinsèques véhiculées par la marque, on se rend compte qu'elles n'ont
probablement jamais été autant d'actualité. On constate aussi qu'une des
caractéristiques de la marque, dans ce métier, est d'être la seule dans ce cas.
Si vous dites "Nouvelles Frontières" en Espagne, personne ne sait de quoi il
s'agit. Si vous dites Carnival Cruise (qui est le géant américain des
croisières) en Europe, trois personnes sur quatre ne savent pas de quoi vous
parlez. Si vous dites Club Med, tout le monde connaît, le taux de notoriété de
la marque est phénoménal dans les 40 pays où nous sommes présents. Si l'on
continue la revue des actifs sur lesquels on peut s'appuyer, il y a un facteur
majeur qui est l'humain. La différence entre le Club et l'ensemble de ses
concurrents, c'est ce que nous appelons le "software" par opposition au
"hardware" (la forme du bar ou la taille de la chambre) : ce sont les
individus, et notamment les G.O., qui rendent ce concept unique. Il peut être
copié, mais il faudrait sans doute des décennies de G.O. pour arriver à obtenir
notre niveau de qualité d'accueil. On peut apprendre le service aux gens, comme
le fameux SBAM (Sourire, Bonjour, Au revoir, Merci) de Carrefour, il y a même
des consultants, je présume, qui sont spécialisés là-dedans. Mais vous ne
pouvez pas apprendre la chaleur, la générosité et le réel souci des autres, la
volonté de faire plaisir, de sortir de son chemin pour rendre service, qualités
que vous trouvez chez les G.O.
Cela est-il dû à la qualité du recrutement ?
Peut-être mais, plus fondamentalement, c'est
beaucoup de cohérence et de consistance à travers les années sur ce que l'on
demande et ce que l'on attend de ces gens. Le message, on se le passe, on se le
prouve, on se le montre, on se le transmet au quotidien. Demain, vous dites aux
gens les plus compétents du monde : créez des GO comme ceux du Club, je ne
crois pas qu'ils y arriveront en moins de 20 ans. Parce que, fondamentalement,
ils ont un authentique plaisir à faire plaisir. Soit ils arrivent avec cet état
d'esprit, soit à un moment donné de leur progression, le système les rejette.
Cela fait peut-être un peu psy mais il y a une véritable religion de l'autre.
La composante humaine est chez nous colossale et nos clients perçoivent très
clairement cette différence.
Le Club s'est-il débarrassé de l'image frivole qui lui collait à la peau depuis Les Bronzés ?
Un
tel film vous fige dans des clichés tenaces et lourds à porter. Mais le Club
d'aujourd'hui n'est plus celui-là. Par contre le super compliment que fait ce
film, c'est d'élever le Club au rang d'institution. Aujourd'hui, 65 % de nos
clients sont des familles avec jeunes enfants. Cela ne veut pas dire qu'il n'y
a pas de célibataires, de teenagers et de gens qui viennent pour faire la fête.
Le Club est une sorte de carré d'as qui s'appuie sur quatre piliers : les
enfants, le sport, la table et l'animation. Le tout enveloppé dans deux choses
exceptionnelles : les G.O. et le fait de proposer les plus beaux sites du
monde. Ce qui est au coeur de l'animation, c'est la notion de fête, et le Club
c'est la fête. Cela n'a pas changé et ne changera pas, sinon vous coupez un des
quatre pieds de l'édifice. Par contre, vous n'avez pas besoin d'avoir 18 ans
pour avoir envie de faire la fête. Vous pouvez en avoir envie à 40 ans, à 50
ans, seul(e), avec des copains, avec votre conjoint et d'autres ami... La fête
est quelque chose d'universel.
Votre campagne s'oriente pourtant vers un bien-être plus mûr et plus serein ?
Quand on a interrogé
les consommateurs sur les perceptions qu'ils avaient de la marque, une des
choses fondamentales qui est ressortie c'est "parlez-moi de moi". Aujourd'hui,
il y a une réouverture des gens sur un certain nombre de choses de bases
authentiques : d'abord eux-mêmes, puis leur relation avec les autres, le
ressourcement, le fait de se retrouver, de réapprendre à découvrir les gens que
l'on croyait connaîtr... des choses qui reprennent un vrai sens, et qui sont
donc d'autant plus d'actualité que l'humain, au Club, est quelque chose de
central.
Comment évolue l'offre du Club aujourd'hui ?
Elle est populaire mais pas populeuse. Cela veut dire qu'il en faut pour toutes
les bourses, pour tous les âges, non pas pour tous les goûts parce que ce n'est
pas possible, mais il faut être éclectique pour qu'un grand nombre de gens
puissent s'y retrouver. Le Club avait eu tendance à s'embourgeoiser, à devenir
un produit niche. Vous avez aujourd'hui une offre produit avec des prix
d'entrée très accessibles jusqu'au très haut de gamme. Nous avons organisé
cette offre autour de trois segments de clientèle avec des produits qui
proposent des encadrements spécifiques pour les enfants, ceux qui acceptent les
enfants mais à condition que les parents puissent s'en occuper eux-mêmes ; et
enfin des produits réservés aux 18 ans et plus. Une segmentation simple,
efficace et mondialement applicable.
Le e-commerce modifie-t-il les comportements d'achat ?
Ce que j'appelle la "distribution sur
rue" n'est, à mon avis, pas près de cesser. Les autres moyens - Minitel,
téléphone, Internet - ne représentent pas encore un pourcentage énorme des
ventes. Pourtant, si l'on regarde l'avenir, au moins deux formes totalement
différentes de distribution continueront d'exister, même si on ne sait pas
comment va évoluer la proportion. D'une part, la distribution "intermédiée"
(par le biais d'un agent de voyages). On vend un produit très impliquant, à
fort contenu d'émotion, par ailleurs le prix moyen d'achat n'est pas celui
d'une canette de coca. Des tas de gens ont donc besoin d'être rassurés par une
présence physique. Et puis, parallèlement, la distribution "désintermédiée" :
centraux de réservation téléphonique, demain de plus en plus Internet pour des
gens pressés ou qui connaissent déjà bien le produit. La grande question,
aujourd'hui, c'est de pouvoir faire des réservations en ligne. En ce qui nous
concerne, nous prévoyons ce service pour le printemps prochain.
D'autres projets ?
Nous allons ouvrir sept nouveaux
villages en 2000 et au moins autant en 2001.
Faites-vous de la prospective à très long terme ?
On essaye de réfléchir tous les
jours, mais pas à 10-20 ans, peut-être à tor... On estime que les vacances font
partie des loisirs, que c'est important, que cela se développe. Mais le Club a
une légitimité qui dépasse largement le seul segment des vacances et qui
s'applique aux loisirs et au temps libre. Si l'on y réfléchit, il y a beaucoup
de temps libre qui n'est pas des vacances et où la marque serait un superbe
vecteur pour élargir nos horizons. On peut réfléchir, comme nous l'avons fait
pour notre ouverture, au printemps prochain, à Paris, à un concept de loisirs
urbains, c'est-à-dire essayer de rapprocher les savoir-faire clés et la magie
du Club Med des grands centres villes. Il ne s'agit pas de créer un village en
ville, mais d'apporter un condensé de valeurs qui permet d'en profiter sans
attendre les vacances deux fois par an. C'est une première voie, mais il y en a
beaucoup d'autres.
L'augmentation du temps libre élargit-elle votre univers concurrentiel ?
A partir du moment où les gens ont
de plus en plus de temps libre, ils ont moins besoin de choisir entre les
vacances et un autre type de loisirs puisqu'ils ont assez de temps pour faire
l'un et l'autre. Ca, c'est la beauté de la civilisation de loisirs. Elle a
encore de beaux jours devant elle. A l'intérieur de cette part, même
croissante, consacrée aux loisirs, les gens font des arbitrages différents. Le
temps de loisirs n'a cessé d'augmenter mais il est un peu difficile de suivre
les arbitrages des gens parce que, fondamentalement, ils sont de moins en moins
obligés d'en faire.
Biographie
Yves Martin a 41 ans. Il est marié et a deux enfants. En 1979, il obtient une licence en droit à Grenoble, un diplôme de Sciences Po Paris en 1981. Il est ensuite auditeur interne de 1982 à 1984 chez Unilever. En 1986, il décroche un MBA à Harvard. Puis travaille chez Mc Kinsey de 1986 à 1990. Il est ensuite directeur du marketing, puis directeur général de la division magasins de proximité et, enfin, directeur général de la division hypermarchés de Casino où il passe sept ans. Depuis mai 1997, il est directeur général adjoint chargé du marketing, des ventes et du transport, et membre du directoire du Club Med.
L'entreprise
Leader mondial et inventeur des vacances "tout compris" avec 114 villages, le Club Méditerranée est le 1er groupe touristique français. Il est implanté dans 40 pays. Pour 1999, son chiffre d'affaires consolidé s'est élevé à 9 690 MF au 31/10/99 contre 8 384 MF au 31/10/98. Soit une hausse de 15,6 %. Le résultat net (part du groupe) est en hausse de + 48 %. En 1998/1999, 1 570 000 G.M. (Gentils membres) sont allés au Club contre 1 547 400 en 1997/98. Le Club Méditerranée emploie 23 000 personnes dont 10 000 G.O.