YAN CLAEYSSEN / ETO DIGITAL: «La disparition de l'adresse signifie-t-elle la mort du MD?»
L'un des principaux atouts du MD est sa capacité à cibler les consommateurs. En effet, les messages sont adressés de manière nominative à un individu déterminé à travers ses coordonnées: adresse postale ou mail, numéro de téléphone fixe ou portable. Cet accès direct à l'individu permet aux marques de communiquer sans passer par les médias de masse et uniquement auprès des consommateurs susceptibles d'être intéressés par leurs offres.
L'émergence d'une société hyperconnectée dans laquelle les individus exploitent de plus en plus Internet et notamment les réseaux sociaux risque de poser un problème inédit au MD: celui de l'adresse, voire de l'identité du consommateur ciblé! En effet, les études montrent depuis déjà quelques années que les internautes possèdent plusieurs adresses e-mail: la première pour les relations privées, la seconde pour les relations professionnelles et une troisième (voire plus) pour notamment participer aux jeux, s'inscrire aux newsletters ou contribuer aux forums. Cette dernière étant souvent une véritable «adresse poubelle», utilisée occasionnellement et dont la boîte est souvent saturée. Cette multiplication des adresses pour un même individu, et la forte progression des «adresses poubelles», constituent un véritable défi pour l'e-mail marketing: c'est très certainement la principale cause de la chute des taux d'ouverture et de clic. Cela se complique encore avec le Web 2.0. En effet, l'une des caractéristiques des réseaux sociaux est la multiplicité des identités que les individus s'y créent. Depuis quelques mois, de plus en plus de marques aspirent à exploiter les réseaux sociaux à des fins marketing. Il s'agit pour certaines d'entre elles de toucher les internautes là où ils sont: sur Facebook, MySpace, Twitter, etc. La notion d'adresse ou de contact sur Internet n'a donc pas la même valeur que dans l'économie du marketing «bricks and mortar».
L'explosion de l'usage des réseaux sociaux va encore accentuer le problème des comptes éphémères en facilitant l'émergence d'une culture de la multiplicité voire du masque. Se pose alors le problème de l'identité! Comment cibler les internautes sur le Net et notamment sur les réseaux alors que les identités ne correspondent pas forcément à des personnes réelles? Les techniques du MD sont-elles encore viables dans ce contexte? Les techniques de ciblage comportemental ou contextuel renforcent encore ce schéma. En poussant telle ou telle bannière, le moteur de la régie on line ne cible pas tant une personne qu un profil abstrait. C'est le cookie qui est ciblé, en espérant qu'il coïncide avec un consommateur réel. Nous assistons en fait sans réellement nous en rendre compte à une véritable révolution pour le marketing direct: dans le MD «classique», on cible des individus réels auquel on a tenté d'attacher un profil; sur le Net, c'est l'inverse! On cible un profil, élaboré à partir de données provenant du traking, et l'on suppose qu'à ce profil correspond un consommateur réel. Habitués à parler «adresse» ou «contact», les professionnels du MD traditionnel devront changer leurs habitudes au risque de manquer la véritable révolution liée au marketing digital: la possibilité de cibler de manière quasi nominative des individus dont on connaît beaucoup de caractéristiques sauf... l'identité réelle! Le seul élément permettant de reconnaître que l'on a affaire à une même personne est un cookie, une adresse IP, un identifiant, éventuellement une adresse e-mail... Ces «clés», qui peuvent paraître bien maigres, autorisent pourtant un profilage souvent bien plus efficace et plus pertinent que les techniques du MD classique. Dans les années qui viennent, l'adresse e-mail personnelle ne sera connue que des amis, parents ou de quelques institutions. Elle deviendra une denrée rare car intime et à la limite du sanctuaire. A moins d'y mettre le prix et surtout la forme, nous ne pourrons plus toucher les consommateurs qu'au travers de leurs avatars numériques. C'est tout l'enjeu de la communication digitale ciblée de demain!
YAN CLAEYSSEN est président d'ETD Digital au sein du groupe ETD. Il intervient à l'ESCP Europe, à l'université Paris Dauphine et à Léonard de Vinci en master e-commerce. Il est président du Club marketing client et membre du bureau de la délégation Marketing services de l'AAoe. Coauteur des ouvrages Le Marketing direct multicanal et L'E-mailing marketing, tous deux parus chez Dunod, il tient un blog dédié au marketing client multicanal: Mdm.typepad.com.
«L'adresse e-mail personnelle va devenir une denrée rare.»