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Segmentation Cibler, scorer, analyser, une seule limite, les rendements

Fini le temps des mailings de masse. Aujourd'hui, c'est la communication individuelle qui a la primauté. Mais attention, à trop segmenter, on se noie dans les données.

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Jusqu'où peut-on aller dans la segmentation ? « Au niveau technique, presque jusqu'à l'infini, pour les entreprises qui disposent de beaucoup de données », répond René Lefébure, directeur associé de la SSII Soft Computing. « Mais bien entendu, précise- t-il, lorsqu'on segmente dans le but de mener une action commerciale, le budget alloué et l'analyse des retours en déterminent les limites. » De fait, l'analyse d'une base de données est un élément essentiel lorsqu'il s'agit de construire une stratégie de gestion de la relation client. Reste à savoir dans quel but l'entreprise compte étudier ses données : pour identifier les clients les plus intéressants ou pour savoir ce qu'ils veulent acheter ? Pour René Lefébure, à cette dualité sous-jacente dans les études de segmentation et de scoring il n'y a qu'une réponse : il faut faire les deux ! Les deux approches sont nécessaires et ne sont que les faces opposées d'une même pièce. L'entreprise ne peut se différencier et accroître sa compétitivité qu'en améliorant la connaissance qu'elle a de ses clients et de ses produits. Le but de l'analyse client est d'en acquérir davantage, de les satisfaire et de les fidéliser. L'ordre de ces objectifs dépend de son secteur d'activité et de sa position concurrentielle. Le leader dont le coût d'acquisition des clients est élevé optera pour une stratégie de fidélisation, tandis qu'une entreprise challenger, avec des coûts d'acquisition faibles, développera une logique d'intensification de la relation par la mise en évidence de son offre. Les analyses produits, quant à elles, tentent d'identifier les attentes des clients, positionner les produits et les améliorer. Cette optique amènera l'entreprise à se construire des indicateurs de valeur pour le client en termes d'images ou d'usages et à mettre en œuvre une politique d'amélioration ou de réduction des coûts. A ce jour, la seule façon efficace d'analyser une base de données, c'est de la segmenter. Ce découpage de la clientèle en groupes homogènes permet de discerner les facteurs de différenciation les plus importants pour le consommateur et de décider quels sont les clients sur lesquels il faut mettre davantage de moyens. Ensuite, il s'agira d'anticiper leur comportement en utilisant les techniques de scoring.

Flot d'informations


Conçus à partir d'outils statistiques ou de data mining, les scores permettent de calculer des probabilités d'appétence, de rétention ou de capacité à acquérir un produit en analysant les correspondances entre le profil du client analysé et les clients détenant déjà le produit. « Les bases de données clients sont de plus en plus volumineuses. Face à ce flot d'informations, il devient difficile de bâtir des campagnes de marketing efficaces et rentables. Plus on cherche de l'information, plus on a l'impression d'augmenter les opportunités marketing, analyse Alain Cornu, responsable Data chez empruntis.com, moteur de comparaison pour le crédit et les assurances. Mais on risque alors de se disperser. C'est pourquoi il faut différencier les niveaux de segmentation. » Il y en a quatre. La segmentation analytique ou descriptive permet d'isoler des groupes de consommateurs en fonction des produits qu'ils ont achetés. La segmentation de la réponse ou du contact est celle qu'on obtient à partir des réponses à un questionnaire, du type “J'ai besoin d'un contrat d'assurance habitation dans le mois”, ou “J'ai signé une promesse de vente.” La segmentation stratégique consiste à déterminer le groupe de clients qui a des besoins particuliers et qui rapporte le plus par individu. Ce sont les clients les plus convoités. Il faut leur parler différemment. Eviter une segmentation trop fine afin de ne pas les sur-solliciter et analyser les données de cycle de vie. Enfin, la segmentation de loyauté consiste à isoler les 20 % de clients qui, statistiquement génèrent 50 % du chiffre d'affaires.

Segmentations PMG et RFM


Traditionnellement, les modes de segmentation prennent en compte le chiffre d'affaires, les critères de récence, de fréquence et de montant, le cycle de vie du client ou encore des critères comportementaux. La méthode utilisant la variable du chiffre d'affaires est la plus simple. Elle s'inspire de la loi des 20/80 de Pareto et consiste à positionner les clients en fonction du chiffre d'affaires réalisé, par ordre décroissant. Les premiers 5 % sont les bons clients, les 15 % suivant sont les clients standards, et les 80 % restants sont les petits clients. C'est la segmentation PMG, qui aboutit à un minimum de trois segments. Le résultat est une pyramide. On fidélisera le haut de celle-ci, on cherchera à développer son milieu, et on rentabilisera le bas. Cette méthode est fréquemment utilisée pour définir le traitement à adopter en fonction des clients et des canaux de distribution. Traditionnellement, les clients situés en haut bénéficieront d'un mode de traitement plus intense soit en fréquence soit en accompagnement par un commercial dédié. La segmentation RFM, pour récence, fréquence et montant d'achats, a été développée par la VPC. Constituée de 5 à 10 segments, c'est la méthode la plus utilisée dans ce secteur, à cause de ses vertus opérationnelles pour prévoir le rendement des opérations commerciales. « On peut aussi introduire une autre variable, celle du type d'achat, et ajouter le P de produit, à la segmentation RFM, affirme Samuel Stratmains, directeur des études de l'agence ETO. Mais c'est par la fréquence et le montant que l'on peut travailler sur la fidélité et la valeur du client. Reste qu'il faut mettre à jour les segmentations. La maîtrise des flux d'informations des clients permet de savoir lesquels seront abandonnistes.» Si la segmentation RFM est adaptée aux entreprises vendant des articles à rotation rapide, la RFM “P” s'adresse à celles qui ont une très large gamme de produits. Pour Thierry Fages, consultant associé de la société One to One Management, segmenter, c'est individualiser la communication et l'offre jusqu'à l'obtention des meilleurs rendements. « Le terme même de segmentation vient de l'ethnologie et consiste à répartir une population donnée, suivant certains critères, en un ensemble d'individus », rappelle-t-il

Privilégier la souplesse


Mais il faut trouver la bonne adéquation entre ce que l'on recherche et ce que l'on peut raisonnablement - en fonction de la déontologie, de l'économie et des limites juridiques - recueillir comme données segmentantes. Un point essentiel, les données doivent être solides. Dans un questionnaire, par exemple, lorsqu'on demande l'âge du consommateur, il faut préciser la date de naissance et non l'âge. Si on demande l'âge, celui-ci sera figé. Et pour reconstituer dans le temps cet âge, il faudra tenir compte de la date de la collecte de cette information. Il faut trier, classer, privilégier certains segments et ne pas hésiter à en rejeter d'autres. « Un des plus grands apports, souvent caché, de la segmentation, précise Thierry Fages, c'est d'isoler les cibles qui ne doivent pas participer à l'offre. Cela permet de réaliser des économies, de rationaliser les offres… Et de préserver le fonds de commerce. Car une offre inadéquate peut indisposer le prospect. Le rejet des non-élus ne les exclue pas d'une offre différente. » Malheureusement, de nombreux responsables marketing hésitent à pratiquer cette méthode. En effet, si un responsable est habitué à obtenir des rendements de 1% et qu'il rejette ceux qui n'ont aucune chance de réagir à l'offre, le rendement, calculé en valeur relative, sera le même en pourcentage. Pourtant il aura diminué le budget de son opération. Pour lever le doute, il faut faire des tests, mais l'ennemi numéro un, c'est la course contre la montre et les demandes de la logistique. Un test prend du temps et coûte de d'argent, néanmoins il permet de valider des actions. Exemple type ce mailing B to B d'un grand constructeur automobile. Une très belle création, dans un coffret luxueux. L'adresse est bonne, mais la lettre commence ainsi : “Madame, Monsieur”. Or, la civilité était connue. « L'ennemi, c'est la routine, la gestion trop automatisée. Il faut privilégier la souplesse et les interventions flash », ajoute Thierry Fages.

Pas plus d'une dizaine de segments


Ce dernier préconise de faire un audit des variables renseignées. S'il manque des éléments discriminants clés, il faut les chercher. En Business to Consumer, ce sera le nombre d'enfants, la date de naissance ou encore le sexe. En B to B, le code NAF qui détermine le secteur d'activité et la fonction. On peut trouver ces données sur le marché. Evidemment, c'est du temps et des coûts. Mais chercher l'information à la source ne fait que pérenniser la relation avec le client. « Il vaudrait mieux se demander ce que cela coûte de ne pas avoir l'information», précise Thierry Fages. Mais quel est le nombre maximum de segments que l'on peut isoler ? Pas plus d'une dizaine, pour Andréa Micheaux, directeur associé de la société AID, sinon, il est impossible de les gérer. De plus, il ne faut pas confondre segmentation de gestion et de communication. « La première utilisation de la segmentation, c'est de se faire une image de sa clientèle et de prendre des décisions d'investissement. Après cette étape, il n'y a pas de limites pour la communication. On cherche la pertinence en travaillant sur l'ensemble des données.» AID travaille depuis quelques années sur les variables attitudinales ou psycho-graphiques. On arrive à les isoler à partir des demandes d'adhésion aux program-mes de fidélité. Une enquête préalable détermine quelles sont les questions attitudinales à poser. Un vendeur de produits de bricolage aura tout intérêt, par exemple, à demander à son client s'il a l'habitude de faire la vidange de sa voiture. Cette hypersegmentation, on peut l'appliquer sur Internet. Les données y sont presque illimitées et faciles à intégrer. L'informatique permet, par exemple, au site marchand Amazon, d'utiliser l'historique des recherches des internautes pour leur faire des propositions. Une technique que Stéphane Amarsy, directeur associé d'Inbox, relativise. « Il est préférable de rester dans une logique de famille de produits, plutôt que de produits. Si on descend trop fin, on s'enferme. En proposant une famille de produits, on laisse le client arbitrer. » Pour preuve, lorsqu'il était allé acheter sur Internet le dernier disque de U2, une bannière lui avait proposé le dernier disque de Patricia Kass, ce qui ne correspondait pas à ses goûts. « Sur le Net, constate-t-il, on affiche des messages ciblés qui ne seront utiles qu'à 20 % des clients. Dans le monde physique, on appelle ça une tête de gondole. » Mais était-ce bien de la segmentation ?

Segmentation à l'international


Aux Etats-Unis, des facteurs inquiétants perturbent le secteur du marketing direct. David Coupe, directeur d'Experian Marketing Services, constate que le marché est désormais saturé. Pire, la “Do not Call List”, l'équivalent du fichier Robinson, prend de plus en plus d'ampleur. En Grande-Bretagne, la tendance est la même. « En vérifiant l'intégrité des données, précise-t-il, et en utilisant nos typologies, on arrivera à mieux reconnaître les clients et répondre à ce qu'il désirent le plus : être traité différemment. » David Coupe prend pour exemple le distributeur anglais Tesco. Après avoir bâti un programme de fidélité, il a analysé la base de données. Cette analyse lui a permis, non seulement de segmenter ses clients (on parle de 110 segments), mais aussi de segmenter ses magasins en fonction de ses clients. En moins d'un an, Tesco est devenu numéro un en Angleterre. Et son principal rival, Sainsbury, qui parlait de “cheap marketing” au lancement du programme de Tesco pour le téléphone, lançait sa propre carte six mois après. Dans ce monde globalisé, la tendance va également à une segmentation internationale. Acxiom, qui possède la plus grande mégabase comportementale, a lancé aux Etats-Unis sa nouvelle segmentation, Personicx International. But de l'opération : disposer d'une segmentation commune à tous les pays du monde afin de proposer aux sociétés internationales un pilotage global de leurs opérations. Cela a permis notamment à BMW de se rendre compte que son cœur de cible était différent d'un pays d'Europe à l'autre. En Angleterre, ce sont plutôt des couples sans enfant, en Allemagne, c'est le contraire. A quand ce même type de segmentation en France ?

FullSix joue le PMU


Pour l'agence de marketing relationnel FullSix, la constitution d'une base de données client est un outil marketing utile pour les entreprises, et les dépenses faites pour la constituer et l'entretenir sont de bons investissements. En revanche, pour en optimiser la construction et l'utilisation, elle recommande de définir ce qu'elle appelle le Profil Marketing Utile, ou PMU. Celui-ci est l'ensemble limité de critères de profil jugés nécessaires pour mettre en place un programme de marketing relationnel ou direct efficace. But du jeu: n'avoir ni trop, ni trop peu de critères, n'utiliser que ceux qui ont une utilité spécifique prévue par le modèle de profiling. Pour un établissement financier disposant de centaines de données sur chacun de ses clients, il permettra de se focaliser sur les vingt ou trente informations clés et évitera de noyer son programme dans des segmentations complexes et sans utilité. Une entreprise qui ne peut collecter qu'un nombre limité d'informations sur ses clients saura lesquelles sont indispensables et évitera de poser des questions inutiles. Les critères retenus pour composer le PMU sont de trois types : “le profil de base”, formé de critères qui sont toujours nécessaires quelle que soit la base de données (identité, coordonnées…) ; le “profil potentiel business et interaction” qui prend en compte les critères permettant de différencier les investissements et les messages marketing (potentiel business, profils de consommation). Enfin, le “profil canal” permet de comprendre et d'utiliser le canal optimal de communication avec chaque individu.

Caritatif : les limites de la RFM


C'est dans le domaine du caritatif que l'on perçoit clairement les limites de la segmentation RFM. Jusqu'à l'année 2001, la plupart des associations utilisaient cette segmentation pour lancer leurs mailings. Le marché était en croissance et, profitant du vieil adage “Qui a bu boira”, le critère de récence permettait, entre autres, d'obtenir des retours acceptables. La rupture de cette croissance date de l'année 2001. Crise, crainte de l'avenir, peur pour les retraites, les donateurs ont soudainement cessé d'être fidèles. « Dans un environnement en expansion, la segmentation RFM est efficace, indique Renaud de Beaucorps, directeur associé du cabinet Oktos. Dans un marché en baisse, ces méthodes ne sont pas suffisantes. Il faut trouver d'autres variables explicatives: le montant des dons, les causes de la mobilisation, la régularité. » Oktos a bâti une méthode, le NeuroData, qui permet de prendre en compte ces variables. Elle peut, en reprenant l'historique des données reçues sur les donateurs dans le temps (jusqu'à deux ans), détecter des populations qui auraient été abandonnées avec une méthode classique. Reste que, pour le caritatif, un nouveau chantier s'ouvre. L'arrivée des dons, par SMS notamment, lors du Tsunami d'Asie du Sud, a fait apparaître une nouvelle classe de donateurs, beaucoup plus jeunes. Cet afflux de dons ne sera-t-il qu'une bulle de générosité sans lendemain ? Gageons que les techniques de data mining aideront à mieux cerner les motivations de cette nouvelle population de donateurs.

Avis d'expert : La segmentation : une affaire de compromis : par Nicolas Grilly, directeur associé de Garden, membre de la commission “Les métiers du CRM” du SNCD


La segmentation consiste à définir des groupes de prospects ou de clients aux profils et aux comportements homogènes, pour lesquels on adoptera une stratégie spécifique. Toute segmentation est un compromis entre un marketing de masse, uniforme, permettant de limiter les coûts, et un marketing one-to-one, individualisé au maximum, mais onéreux. Ces deux solutions, extrêmes, sont rarement les bonnes. C'est pourquoi nous proposons un principe simple : on doit affiner une segmentation, tant que la création d'un nouveau segment rapporte plus (en efficacité) qu'elle ne coûte (en complexité). En conquête, la segmentation offre de cibler les prospects qui réagissent le mieux aux campagnes. Pour cela, l'entreprise doit déterminer le coût d'acquisition de chaque client et identifier les segments présentant les coûts d'acquisition les plus faibles. Cependant, en ciblant systématiquement les segments qui répondent le mieux aux campagnes, l'entreprise risque d'ignorer d'autres segments de marché, jamais sollicités, qui peuvent constituer des gisements de croissance. Elle risque également d'attirer des clients “chasseurs de primes”, dont le coût d'acquisition est aussi faible que la valeur de leurs achats ! En fidélisation, la segmentation permet de mieux connaître ses clients et de personnaliser la relation que l'entreprise entretient avec eux, autour de quatre critères principaux. Le critère produits donne à l'entreprise la possibilité d'adapter son discours aux principaux produits achetés par le client. Le critère canaux permet de sélectionner les canaux pour lesquels le client a une préférence. Le SMS pourra, par exemple, être utilisé pour un segment composé de jeunes clients, tandis que le mailing sera favorisé pour un segment composé de seniors. Le critère valeur autorise l'identification des clients les plus rentables pour l'entreprise et leur prête une écoute plus attentive. Symétriquement, il permet d'identifier les clients les moins rentables, voire ceux qui coûtent davantage qu'ils ne rapportent. Enfin, le critère attrition admet l'identification des clients, dont le comportement révèle un détachement, et engage des actions de rétention auprès d'eux.

Enquête réalisée par Olivier Brusset

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