Quel avenir pour les bases de données comportementales ?
Quelques mois après le rachat de Claritas, c'est au tour de Consodata de
passer dans le giron de l'américain Acxiom. La firme de Little Rock (Arkansas)
devient ainsi, en quelques mois, le leader européen des mégabases de données
comportementales. Dans un marché extrêmement concurrentiel, la nouvelle a fait
l'effet d'un coup de tonnerre. Pourtant, tout le monde savait que Claritas et
Consodata étaient à vendre. On a longtemps reproché à leurs bases de données -
alimentées par des questionnaires annuels, envoyés aux domiciles des foyers
potentiels ou encartés dans des magazines de presse grand public - leur péché
originel : elles étaient déclaratives, et en fait de mégabases, ne portaient
que sur 15 % des foyers français. Avec ces deux fichiers, Acxiom est à la tête
d'une vraie mégabase, pour peu qu'il n'y ait pas trop de recoupements entre les
deux. Et devient, devant le Groupe Wegener, Bertelsmann et Experian, le leader
européen des mégabases de données comportementales.
Petits questionnaires ?
Pour Thierry Vallaud, directeur des études
d'Arvato Business Intelligence, « les mégabases sont toutes en difficulté, car
la collecte d'un grand nombre d'informations sur le client coûte cher, et il
faut la renouveler en permanence. Or, peu nombreux sont les individus qui
actualisent l'information qu'ils ont donnée la première fois. » Les foyers
ayant été très souvent touchés par ce type de questionnaire, l'information
devient de plus en plus difficile à collecter sur de nouveaux foyers. Ce
explique pourquoi Consodata et Claritas ont été rachetées à bon prix. Reste un
constat incontournable : entretenir une mégabase coûte de plus en plus cher. Et
si, du fait de la concentration des deux plus importants acteurs, le marché de
l'adresse devrait dans un premier temps augmenter ses prix, cela ne sera sans
doute que pour peu de temps. Pour Thierry Vallaud, les acteurs de ce marché
vont tous chercher à créer des fichiers exhaustifs des foyers français, soit en
les enrichissant de critères déduits en prenant comme base le fichier France
Télécom, de scores géographiques, d'appétence aux promotions ou encore à
l'achat en VPC. Ou encore, à partir d'une base constituée par des compilations
de fichiers. Ces traitements sont moins efficaces pour prévoir les retours que
lorsque l'on utilise des fichiers issus de questionnaires, mais ils coûtent
beaucoup moins chers à entretenir. En définitive, selon Thierry Vallaud,
globalement, la valeur de l'adresse va chuter inexorablement, ainsi que tous
les traitements classiques de RNVP. Les acteurs de ce marché devront soit se
borner à proposer de petits questionnaires, soit à tracer des comportements
réels. On peut facilement imaginer que les grands distributeurs, qui sont à la
tête de bases de données ultra-qualifiées de comportements, seront amenés à les
louer sur le marché. Jean-Michel Moulié, directeur général d'Apollinis,
filiale du Groupe Wegener DM France spécialisée dans les bases de données
comportementales mutualisées, fait un peu le même constat que Thierry
Vallaud.
Saturation
Les mégabases, qui ont comme
modèle la collecte via un questionnaire, ont bientôt dix ans et sont arrivées à
saturation. Elles sont quasiment obligées de se lancer dans la mutualisation
des données. Ce qui est le modèle d'Appolinis, lancée il y a deux ans. Le
groupe Wegener, avec ses filiales Altria, Sagone et Apollinis, dispose d'un
portefeuille lui permettant de répondre à la quasi-totalité des appels d'offres
en matière de traitement de la donnée. « Le métier change. Il était atomisé.
Cette concentration, logique, n'en est qu'à ses débuts, précise Jean-Michel
Moulié. Notre groupe va se réorganiser pour constituer une entité homogène,
grâce aux synergies qu'il peut réaliser. »
Géomarketing
Même son de cloche chez Rozen Fontanel,
directrice business consultant chez Experian : « Les bases de données de
Claritas et de Consodata sont complémentaires sur certains secteurs. Cette
fusion va permettre de disposer d'une vraie mégabase. » Cette dernière ne voit
pas le nouvel Acxiom comme un concurrent dangereux car, si l'Américain est un
concurrent important dans le domaine du traitement de l'adresse, ce marché
n'est pas le cœur de l'activité d'Experian. Elle précise : « Ce rachat ne va
pas bouleverser le monde du géomarketing. Les études et les applications
logicielles ne sont pas très développées chez Acxiom en France. Notre force,
c'est l'enrichissement par le géomarketing. Et Acxiom, même si Claritas avait
re-signé avec l'éditeur de SIG MapInfo, ne possède pas notre savoir-faire. »
Si, au niveau européen, l'arrivée de l'américain Acxiom change la donne, la
situation française est différente. Wanadoo Data est un des acteurs les plus
importants du secteur. Et la prochaine introduction en bourse de sa maison
mère, Pages Jaunes, devrait susciter de nombreux appétits, pas forcément
nationaux. Des acteurs comme ETO, DPV ou IOS (également filiale de Bertelsmann)
ne doivent pas être oubliés. L'on voit également arriver de nouveaux entrants,
comme Atos, qui nouent des partenariats. Sur un marché où le ticket d'entrée
est de plus en plus élevé, la concentration n'en est qu'à ses débuts. Et
l'arrivée en force d'Acxiom sur ce marché pourrait ouvrir la voie à d'autres
acteurs américains.