Potentiels à qualifier
Avec quatre millions de petites et moyennes entreprises, la France abrite
un creuset très hétéroclite de structures aussi diverses dans leur forme que
dans leur activité. Si l'on s'en réfère aux critères de l'Insee, une PME
emploie entre zéro et 500 salariés. Un spectre dont l'amplitude témoigne de
l'extrême disparité des profils, des positionnements, des configurations et des
besoins. Outre cette complexité objective, les PME s'avèrent d'autant plus
délicates à circonscrire au sein d'une même catégorie que les entreprises qui
les ciblent ont développé des critères spécifiques de définition. Un fabricant
de machines à imprimer, un opérateur télécom et un loueur de véhicules longue
durée projetteront sur le sigle PME des réalités bien différentes, directement
conditionnées au potentiel commercial.
Reste aux entreprises à ne pas faire d'erreur initiale dans la circonférence de
leur cœur de cible. Et force est de reconnaître que beaucoup ont essuyé
quelques déconvenues avant de trouver le bon périmètre de prospection. Beaucoup
d'éditeurs de la sphère logicielle ont ainsi connu des déboires, imputables à
une insuffisance stratégique ou de ressources, à une
méconnaissance de la nature de la demande. Ou encore à une mauvaise
qualification de la cible. Et certains acteurs de l'informatique de rappeler
les déconvenues d'un grand éditeur d'ERP, parti sur une cible initiale de deux
millions d'entreprises pour un objectif de 300 nouveaux clients par an, alors
que son véritable cœur de cible se limite à 50 000 PME.
Fiabilité aléatoire des bases
Pour atteindre cette cible aussi volumineuse qu'atomisée, les entreprises
disposent de sources de données très diverses en termes de profondeur de
qualification et de fiabilité. « C'est une vraie galère. Si l'ensemble des
fichiers d'entreprises de plus de 100 salariés sont de bonne qualité, il existe
de grands décalages dans la nature de l'offre en ce qui concerne les sociétés
plus petites », affirme Thierry Meynlé, directeur commercial et marketing
d'Interlogiciel, éditeur de logiciels de gestion dédiés aux petites et moyennes
entreprises (de 10 à 400 salariés). « Un vrai cauchemar : une multitude de
sources et une fiabilité très aléatoire », confirme Jean-Philippe Barleaza,
manager distribution de Computer Associates. L'éditeur aura mis près de quatre
mois à se constituer une base à partir d'une quarantaine de critères.
Chez IBM, l'affaire est claire : les adresses d'entreprises de moins de 50
salariés sont systématiquement “tuées”, celles de sociétés employant entre 50
et 100 personnes font l'objet d'un filtrage très circonspect.
L'ensemble des données conservées faisant l'objet d'un grand nettoyage annuel.
« Au final, nous parvenons sur notre base PME à un taux de qualité de 70 %, ce
qui est bien », commente Alain Bernard, directeur marketing France.
Easynet, fournisseur de services internet doit, lui, faire appel à une dizaine
de fournisseurs et brokers pour couvrir un marché cible idéal
de 50 000 entreprises. « Il n'existe pas aujourd'hui un acteur sur le marché de
l'adresse qui soit en mesure de couvrir l'ensemble des besoins d'une entreprise
dans sa stratégie de conquête des PME », assure Régis Bryman, directeur de la
communication.
Location ou achat des données ? La réponse est intimement liée à l'activité de
l'entreprise utilisatrice et, partant, à la nature de sa cible. Moins celle-ci
a de chance d'être identifiée dans les fichiers disponibles, plus ces derniers
devront faire l'objet de qualification
et d'enrichissement. Et plus l'achat s'avérera nécessaire. « On ne trouve pas
sur le marché de sources référençant les responsables de flotte au sein des
PME. Nous sommes donc contraints d'acheter des données, juste l'adresse et le
téléphone, que nous qualifions ensuite par vagues
de phoning », explique Emmanuel Foreau, responsable des ventes de DCS Fleet.
Les informations achetées par le loueur de véhicules lui serviront également à
rafraîchir sa propre base.
Le titre ne fait pas toujours la fonction
Qui dit PME dit cycles de décision raccourcis et spectre
décisionnaire resserré. Mais, en-deçà de 50 salariés, la simplification trouve
son seuil critique : si la décision ne repose plus qu'entre les mains d'une
seule personne, celle-ci - sauf à désigner d'emblée le Dg ou le P-dg - est
rarement identifiée par sa fonction. Si les fournisseurs de solutions
technologiques sont assurés de pouvoir toucher un “M. Techno” au sein de
l'entreprise, celui-ci peut se cacher derrière le directeur administratif et
financier ou le responsable des services généraux. A partir de 100 salariés,
les attributions s'identifiant fonctionnellement, les risques d'erreur dans le
ciblage s'amenuisent et la facture s'allège.
« Pour toucher la cible des PME, le meilleur modèle reste la vente indirecte »,
lance Thierry Meynlé. Et de justifier ce postulat par l'ampleur du tissu des
PME, difficile à circonscrire avec des moyens propres, sauf à disposer de
forces de vente pléthoriques. Depuis vingt ans, cette société strasbourgeoise
de 50 salariés, dont 15 au département commercial-marketing, s'est constitué un
réseau de 150 partenaires distributeurs, qui lui assurent une force de vente
indirecte de 1 200 revendeurs. Un atout lorsqu'il s'agit de prospecter un cœur
de cible de 50 000 entreprises. Computers Associates s'est récemment lancé à la
conquête des PME. Un enjeu stratégique pour le quatrième éditeur mondial de
logiciels, qui, depuis sa création en 1976, a toujours orienté son business sur
les grands comptes. L'offensive vers les PME a débuté il y a quinze mois. Et
c'est sur ce segment que la société new-yorkaise réalise ses plus fortes
croissances, autour de 30 %. « La part des PME dans le chiffre d'affaires de
Computer Associates atteint d'ores et déjà 20 % en France. L'objectif monde est
fixé à 50 % », précise Philippe Delaval, responsable des relations publiques.
L'éditeur a investi quelque 13 millions d'euros dans la mise en oeuvre de son
dispositif de prospection des PME.
A quoi s'ajoutent des investissements plus ponctuels, comme l'achat d'espace
dans la presse européenne : 3 ME.
Constituer un réseau de revendeurs
« Dans nos univers, le mode d'adressage est lié à la
“granularité” du marché. Si nous attaquons les grands comptes en direct, nous
sommes mécaniquement obligés de passer par une distribution indirecte pour
cibler les PME », souligne Jean-Philippe Barleaza. La France compte environ 12
000 revendeurs informatique.
Pour les éditeurs et fournisseurs, la première étape consiste à analyser le
tissu de la distribution afin d'opérer segmentations et sélections. Computer
Associates a retenu quatre grossistes généralistes dont le spectre de
distribution recouvre un ensemble représentatif du réseau des revendeurs.
L'éditeur s'est parallèlement constitué une équipe de 15 commerciaux pour
proposer un partenariat aux revendeurs : “Si vous adhérez à notre programme,
nous vous certifions et vous bénéficiez de tous les services que nous sommes en
mesure de mettre à votre disposition pour booster votre chiffre d'affaires”. «
Nous agissons comme une agence marketing », lance Jean-Philippe Barleaza.
Chaque adhérent peut faire son marché parmi un certain nombre de médias, par
exemple commander tant d'heures de prospection téléphonique sur une cible de
PME dans tel secteur d'activité. Sur un réseau actif de 1 000 revendeurs, 200
ont déjà adhéré, qui réalisent
sur leur cible PME un niveau moyen
de croissance de l'ordre de 50 %.
Forte demande sur les fichiers
Editeur de sites d'information technologique à destination des décideurs, CNET Networks a constitué au fil des années une base d'un million d'adresses en Europe (pour moitié en PME) et de 6 millions dans le monde, avec une croissance organique annuelle de 15 à 20 %. « Nous sommes
encore loin des volumes revendiqués par les mégabases, mais nous ne commercialisons que des données en double opt-in », avance Stéphane Parcheminal, directeur de CNET Direct, la division marketing direct de CNET Networks France. La demande sur les PME enregistre depuis le second semestre 2004 une croissance marquée, confirmée au mois de janvier 2005 (+ 50 % par rapport à janvier 2004). « Nous travaillons beaucoup avec les éditeurs de high-tech. Il semblerait que tous se soient passé le mot pour attaquer la cible des PME. »
Les données collectées et entretenues chez CNET Networks recensent des dizaines de critères. Des éléments descriptifs standards : secteur d'activité de l'entreprise, code NAF, fonction du contact, localisation géographique, taille de l'entreprise. Mais aussi des indicateurs comportementaux, notamment via les centres d'intérêt déclarés.
Avec un tarif catalogue à 600 euros du mille, CNET Networks se situe dans la moyenne haute du marché. Mais le contrat est forfaitaire et complet, incluant routage, tracking et un volant significatif de critères de segmentation.
« Les annonceurs rodés à la logique grands comptes commencent à intégrer les spécificités du monde des PME : cycles de décision plus rapides et moins partagés, besoin permanent de pragmatisme.
Les décideurs au sein des petites entreprises doivent être sollicités fréquemment, avec un apport réel d'information », remarque Stéphane Parcheminal.