Marier créativité et opérationnel
Un zest de création. Un doigt d'imagination. Quelques bonnes recettes. Et une pincée de mécanique. La communication opérationnelle revendique sa part de libre création au même titre que la publicité. Les agences tentent de s'affranchir des mécanismes du marketing direct et de ses supports pour faire naître une relation forte entre la marque et ses clients. Plongée au coeur des services création des agences.
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«La créativité, c'est l'art d'assembler différemment ce que tous les autres
voient indifféremment. » Définition un rien poétique, concoctée par le
président de l'agence Eccla, Berto Taïeb, mais qui porte haut les couleurs des
métiers de la création. François Calzada, directeur adjoint en charge de la
création et de la stratégie de l'agence Tequila, voit dans l'évolution de la
création en communication opérationnelle,
« la même
opposition qu'entre réclame et publicité dans les années soixante. Coexistent
toujours des propositions datant de l'âge de pierre - du type une pub dans une
enveloppe - et des concepts qui construisent une relation forte entre la marque
et ses cibles. » S'il est vrai que la tendance sweepstake a quasi disparu, la
création en marketing direct reste soumise à nombre de préjugés. Aux premiers
rangs desquels figurent son efficacité. Car voilà bien le dilemme : à être
opérationnel, le marketing peut-il aussi revendiquer sa part de création libre
? « Il y a une méprise par rapport à ce que peut apporter le marketing direct.
Les annonceurs ont tendance à l'utiliser comme un simple support et non comme
un véritable média. On peut aller beaucoup plus loin que la déduplication d'une
pub sur un mailing », fait valoir François Calzada qui enfonce le clou : « Il
n'y a pas de raison qu'une marque s'exprime comme un "clodo" sous prétexte
qu'elle agit en marketing direct alors qu'elle sera, en revanche, très
attentive à la création en matière de publicité. » Il s'agit alors de
repositionner la création à sa place la plus juste. Entre efficacité et
innovation. C'est peut-être là que réside la principale différence entre médias
et hors-médias. Dans cette liaison contrainte entre résultats opérationnels et
libre invention. Alain Delpeut, directeur de création chez Everest, assume
pleinement l'ambivalence de son métier. « On tente de donner de l'émotion à des
choses qui n'en ont pas du tout. Un "30 % de remboursé", a priori, ça n'a rien
d'émotionnel en soi », s'amuse Alain Delpeut, qui, comme beaucoup de créatifs,
s'est d'abord frotté à la communication publicitaire. « C'est comme une pièce
de théâtre. Il s'agit d'imaginer un dialogue fictif entre un récepteur et un
émetteur (le consommateur et la marque, ndlr). » Un dialogue certes, mais un
dialogue un peu forcé. Puisqu'il s'agit, tout de même, de faire rentrer le
produit dans l'univers du consommateur.
Marivaudage
Se
révèle alors une relation triangulaire où l'agence fait office d'interface
entre l'annonceur et ses clients supposés. D'où la mise en place d'une chaîne
où, entre commerciaux, directeur de création, directeur artistique,
concepteur-rédacteur voire planneur stratégique, se joue le destin d'une
campagne. Pas de règles ici. Chacun ayant sa façon de faire monter la sauce. A
peine quelques bases intangibles. La première concerne l'anticipation. Il
s'agit d'intervenir le plus en amont possible afin de mieux comprendre les
exigences de l'annonceur. C'est à ce stade que s'intègre le fameux brief
créatif. C'est ainsi que chez Eccla, on peaufine la "méthode des enfers". Une
sorte de brainstorming où l'on invite, outre commerciaux et créatifs, des
"clients experts" pour comprendre leur relation à la marque et intégrer leurs
attentes. D'autres s'essaient aux jeux psycho créatifs. Chez Everest, on tente,
via une séance de "créastorming", de s'éloigner le plus possible du sujet -
laissant ainsi libre cours à l'imagination - pour revenir, via des chemins
détournés, à la problématique initiale. Dans tous les cas, il s'agit d'aller le
plus loin possible, quitte à ne retenir en dernier ressort, que deux ou trois
idées.
« Nous
présentons au moins deux idées. L'une, en phase exacte avec les demandes
formulées dans le brief. L'autre, plus décalée, plus originale mais qui nous
semble être aussi une réponse possible. Au final, le choix définitif relève
souvent d'un mix des deux. L'originalité du second avec la cohérence du premier
», décrit Michel Toloton, co-fondateur de l'agence Cutty Sark.
Compétition
Les grandes agences ont intégré des métiers
qui, il y a encore dix ans, étaient l'apanage de la publicité. C'est ainsi que
l'on voit, de plus en plus, des planneurs stratégiques mettre leur grain de sel
dans l'évaluation du brief, à l'image du service Planning de DraftWorldwide.
Monique Wahlen, chez Grrrey !, fait partie de ces agitateurs qui transforment
la problématique marketing en pistes créatives ou conceptuelles. « Mon boulot,
c'est d'établir un premier saut stratégique. Je nourris la réflexion des
créatifs en balayant les champs des possibles. » Un métier qu'Agnès Denis,
directrice de création chez Grrrey !, définit comme « une ressource
déstabilisante qui remet en cause et ajuste nos jugements. Une façon d'éviter
les recettes créatives trop communes ». Le brief évalué, s'installe alors "Le"
duo de rêve entre un CR (concepteur-rédacteur) et un DA (directeur artistique).
Encore une fois, il n'existe pas de loi immuable. Et, si chez Grrrey !, Agnès
Denis opte pour des teams permanents, persuadée qu'une idée s'engendre d'autant
plus facilement que les deux pôles de la création se connaissent parfaitement ;
d'autres, comme Cutty Sark, revendiquent, eux, le besoin de bousculer les
habitudes des uns et des autres pour mieux impulser l'idée. On retrouve cette
même volonté chez Baxbé, qui n'hésite pas à faire appel à des free lance pour
relancer le cogitum de ses équipes internes. Quoi qu'il en soit, il faut faire
vite. Car l'agence n'a jamais, en général, le temps de ses ambitions.
« La création,
c'est parfois une semaine. Dans le meilleur des cas, un mois, lorsqu'il s'agit
de revoir la stratégie d'une marque », rapporte Berto Taïeb. Crise oblige, les
annonceurs jouent parfois au parfait petit sadique. Outre des délais très
courts, ils placent en compétition une bonne dizaine d'agences sans même de
véritable brief. Et si certaines agences - souvent les plus importantes -
refusent ce cercle vicieux, celles qui n'ont guère de contrats permanents ne
peuvent s'abstraire du jeu des compétitions.
Nouvelles tendances
C'est une ancienne concepteur-rédacteur qui le dit !
Isabelle
Delatouche, directrice de création chez Rapp Collins, ne supporte plus le
bavardage lénifiant que les professionnels du marketing direct se croient
obliger d'agréger à leurs communications : « C'est comme si on avait un peu
peur de la forme. On ne va pas encore assez loin dans les idées, on ne pousse
pas assez. Et je crois qu'aujourd'hui, de plus en plus de professionnels sont
conscients de ces lacunes. » Se détacher de l'écriture pour mieux se concentrer
sur l'idée. Voilà bien l'enjeu, aux dires d'Isabelle Delatouche, de la création
en communication opérationnelle. « Il faut développer sa clarté. En France, on
aime les sous-entendus. On raconte des histoires. Mieux vaut être plus simple,
plus direct, plus impactant. On a peur d'une belle image avec très peu de mots.
L'efficacité est pourtant du côté de la forme. »
Une opinion à
laquelle répond celle de Joëlle Touïtou, présidente et co-fondatrice de
l'agence Baxbé, convaincue que la création se dirige vers plus d'épuration : «
Nous revendiquons de plus en plus les capacités à créer une image aussi
interpellante que la publicité. » D'où l'apparition en communication
opérationnelle des acheteurs d'art. Un métier qui se développe alors que l'on
cesse peu à peu à faire appel aux photothèques. « C'est tellement facile de
prendre une image toute faite. On prend peu de risque. On mise peu d'argent.
L'image, dans ce cas ? De l'illustration. Du papier peint. On joue sur les
stéréotypes, la standardisation. Créer son image reste pourtant la seule façon
d'être en adéquation avec sa marque », analyse Isabelle Delatouche. Pas
question pour autant de faire dans la publicité. On reste dans l'opérationnel.
Le concret. « Le produit, je m'en fiche. Ma priorité, c'est toujours de
comprendre les cibles auxquelles s'adresse la marque », assure ainsi Michel
Toloton. Là est la force du marketing direct. Qui grignote des parts de marché
à son éternel concurrent, la publicité. «Les frontières deviennent de plus en
plus floues entre médias et hors-médias. L'intérêt, c'est désormais le chaînage
qui s'impose entre les différents supports, mailings, pub, affichage,
événementiel... Ce sont les modalités de contact avec la marque qui bougent.
Notre boulot, c'est aussi d'inventer de nouveaux services, d'autres canaux, des
produits différents. Tous les médias sont de plus en plus encombrés. Ce que
l'on cherche, c'est à sortir du territoire banalisé de la pub pour parler de la
marque différemment », insiste Monique Wahlen. Un nouveau mode de présence pour
la marque que relaie mieux, peut-être, la communication opérationnelle.
Profil : François Calzada Directeur adjoint, en charge de la création et de la stratégie chez Tequila
Il a l'air d'un petit jeune à peine débarqué de son école d'art. La démarche nonchalante - treillis de baroudeur arrimé à des Caterpillar trop neuves - pour qu'on reconnaisse en lui le directeur adjoint en charge de la création et de la stratégie de l'agence Tequila. Titre pompeux pour cet homme de 43 ans, dont l'expérience flirte avec les 20 ans de bons et loyaux services en communication opérationnelle. François Calzada n'imaginait pas d'autre métier que celui de l'image. Peu importe ensuite qu'il s'agisse de publicité ou de marketing direct. L'essentiel, c'est la matière, la vie, le concret. Sans doute est-ce pour cela qu'il choisit d'intégrer l'école Estienne plutôt que les Beaux-Arts, censés incarner, selon lui, la démarche de l'artiste,"seul et introverti". C'est en 1981 qu'il démarre dans la pub comme directeur artistique. En 1984, il intègre l'agence de marketing direct Manuel Noao (groupe Publicis-FCB), aujourd'hui disparue. Viendra ensuite la création de l'agence Caviar Bleu (groupe Havas) en 1986. Puis, il arrive chez Messages (groupe BDDP) en 1989, où il occupe son premier poste de directeur de création. Il y demeure lorsque l'agence fusionne avec Tequila. De son métier, François Calzada pense qu'existe un côté irréductible à tous schémas. D'où, une définition simple : « En communication opérationnelle, la marque ne fait pas que parler d'elle-même. Elle passe à l'action en proposant une opération concrète aux consommateurs. » Reste ensuite à convaincre les annonceurs d'avoir autant d'élans créatifs en MD qu'ils en ont parfois en pub. « Le marketing direct est un métier jeune où se concurrence une vision VPC, aux mécanismes rôdés - lettres, brochures, accélérateurs de retours - et des propositions innovantes et efficaces aussi performantes que les meilleures publicités du monde. »
Profil : Emmanuel Dayré Concepteur-rédacteur, agence FCB 20-80
Pas d'hésitation chez ce jeune provincial de 28 ans. « Je travaille plus par passion que par obligation. Je fais exactement ce que je souhaitais faire. » Un chemin tout tracé qui l'entraîne, au sortir de l'IUT de communication de Bordeaux, vers la création publicitaire. « En fait, j'hésitais entre le concept - et donc l'écrit- ou le graphisme. » Quelques stages en agences, Euro RSCG ou FCB 20-80, et le voilà qui prend ses aises dans la communication opérationnelle. Une première embauche chez JWT Consumer (aujourd'hui ThompsonConnect), où il se frotte au douloureux métier de concepteur-rédacteur "minute" : « Nous avions 24 heures pour tomber des docs avec le maquettiste. » Vient ensuite un passage éclair à l'agence BrannCommunider, « trop classique pour moi », pour, au final, creuser son sillon, depuis trois ans, au sein de FCB 20-80. Lui voit dans le marketing opérationnel « un vrai dialogue qui s'affranchit des techniques du marketing direct pur pour construire un discours de marque créatif et ambitieux. » Et de citer en exemple la campagne "Jeter un grand froid", à laquelle il a participé, pour le fabricant d'électroménager Samsung. FCB 20-80 avait installé des frigos de la marque sur les quais du métro Glacière. L'important dans cette histoire ? « Trouver d'autres moyens de contact entre la marque et ses clients. » Pas de risque d'ennui pour Emmanuel Dayré. Un seul autre projet "à la limite" lui tiendrait à coeur : « Je me verrais bien travailler sur des films d'animation façon Toy's Story. C'est un travail de fou, de perfectionniste. Et ce n'est pas si éloigné de l'univers de la création en communication. »
Profil : Georges Ragueb Directeur de création et directeur artistique chez Uniteam
Pour Georges Ragueb, la création est une passion. Ce mot, pour lui, n'a rien de creux ou de galvaudé. En fait, il a grandi avec. Car, dans sa famille, on a la fibre créative. Un père, "peintre du dimanche", un frère, animé, enfant, du virus du dessin et aujourd'hui professeur de design. Rien d'étonnant alors à ce que Georges Ragueb suivent "naturellement" ce chemin en intégrant l'école des Arts Appliqués de Paris. Comme beaucoup, il démarre sa carrière via la publicité. Deux ans à Marseille comme directeur artistique de la filiale locale d'Euro RSCG. Il bascule ensuite dans la communication opérationnelle parce que, dit-il, « c'est là que se trouvait le boulot. » Un métier qui, au final lui convient bien. « J'aime sa rapidité d'exécution. Le travail conceptuel que l'on y réalise. » C'est pour cela, sans doute, qu'il se refuse à lâcher la direction artistique. Histoire de plonger, encore et toujours, les mains dans le cambouis. « Moi, ce qui m'intéresse, c'est de trouver l'idée graphique. » Pas question, pour lui, de s'en couper. D'où son intérêt déclaré pour les ressources de l'Internet. «C'est pour nous, gens du marketing relationnel, un nouveau média au même titre que la radio ou la télévision l'est pour la pub. » Il réalise des films d'animation sous Flash, nourrissant ainsi son métier de nouveaux supports, de nouvelles idées. « J'ai fait de ma passion un métier. C'est une chance extraordinaire. » Pas de risque donc qu'il s'arrête.
Profil : François Zehrat/Patrice Bauquier Concepteur-rédacteur et directeur artistique free lance
On les cache. Surtout, ne pas dire que l'on travaille avec des free-lance. Pourtant, ils sont ceux que l'on appelle en urgence, lorsque l'agence est charrette. Ceux aussi dont on se repasse le nom lorsque l'on veut renouveler l'esprit créatif d'une campagne. Mais François Zehrat et Patrice Bauquier, respectivement concepteur rédacteur et directeur artistique, ces maîtres en communication opérationnelle, sont aussi connus pour former un tandem idéal. Ils se sont connus chez Directing (aujourd'hui Rapp Collins) en 1992. François Zehrat continuant son bonhomme de chemin en agences jusqu'en 1999 tandis que Patrice Bauquier, lui, sautait le pas, et s'installait à son compte dès 1996. De leur association, l'un et l'autre parlent "d'affinités électives." Car ils n'aiment rien d'autre qu'inventer des concepts. Et, de ce point de vue, leurs personnalités se complètent à merveille. Ce n'est pourtant pas un tandem immuable. « Nous effectuons environ 40 % de nos créations ensemble. » Chacun, au fur et à mesure, donnant le nom de l'autre quand une agence recherche un CR ou un DA. « On recherche rarement un DA seul. Plutôt un team opérationnel immédiatement, capable d'intervenir rapidement sur une campagne. » Pour chacun, travailler en free-lance est une évidence. Sans doute, est-ce la liberté gagnée, cette impression de mesurer son temps qui leur a fait choisir ce mode de travail. Vient ensuite, la revendication d'une certaine efficacité. Pas question pour eux, de se tordre dans les affres créatifs. Il leur faut être "multiple." Pour mieux répondre aux besoins de leurs clients.