Loi sur l'économie numérique : coup d'arrêt ou opportunité ?
Un syndicat professionnel qui s'interroge sur les applications de la loi. Un fournisseur de services interactifs et mobiles qui y voit une chance. Autant dire que les réactions vis-à-vis de la LEN sont contrastées.
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Les faits sont là : il sera désormais impossible - après publication des
décrets au JO - de mener une campagne de prospection par e-mail, fax, centres
d'appels, MMS ou SMS. C'est le point le plus notable des nouvelles disposition
de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique (LEN), adoptée fin mai
2004 par les deux assemblées. Parmi les nombreux articles qui la constituent -
dont certains lui valent un recours devant le Conseil constitutionnel -, on
note trois dispositions qui s'appliquent spécifiquement au e-commerce et qui
risquent de perturber pour de longs mois le milieu du MD.
Six mois de transition
La première, et la plus emblématique, c'est
l'obligation pour l'émetteur d'une campagne d'e-mailing, de fax-mailing et de
SMS, d'obtenir le consentement préalable du consommateur avant de lui envoyer
un message dématérialisé. Dans un premier temps, le SNCD (Syndicat national de
la communication directe) réagit favorablement à cette injonction. Et “se
félicite que la nouvelle loi oblige désormais au recueil d'un consentement
libre, spécifique et informé”. Le syndicat se plaît également à rappeler qu'il
avait anticipé, dès 2002, le besoin d'offrir une totale transparence, une
information loyale et une désinscription simple et effective, avec la
publication de son code déontologique de l'e-mailing. Cependant, il demande
que ne soient pas remises en question les données collectées loyalement -
c'est-à-dire en conformité avec la loi informatique et libertés de 1978 - mais
antérieurement à la loi LEN. Il estime qu'il serait excessif qu'une loi ait des
effets rétroactifs et qu'elle pourrait atteindre durement les sociétés ayant
consacré des investissements majeurs à la collecte des données. Le SNCD
souhaite obtenir rapidement confirmation par les autorités compétentes sur ce
point. En outre, le syndicat souhaite voir élargir le terme “consentement” à
“toute manifestation de volonté”. Dans cet esprit, le SNCD actualisera son code
de déontologie “afin de préciser (…) dans les limites fixées par la loi, les
modalités pratiques recommandées pour la mise en œuvre de ces manifestations de
volonté”. En tout état de cause, le SNCD recommande à ses membres de procéder à
une collecte de consentement actif auprès des consommateurs enregistrés dans
leurs bases de données e-mails. Car, dans sa grande bienveillance, la loi
laisse une période de six mois aux titulaires de base de données e-mails pour
se mettre en conformité en recueillant le consentement express de chaque
inscrit.
Personnes morales
La deuxième disposition
vise la prospection des personnes morales (B to B) qui, elle, est autorisée
sans consentement préalable. Reste une inquiétude pointée par le SNCD. La
prospection directe des personnes morales adressées à des personnes physiques
est-elle autorisée ? « Il demeure une ambiguïté entre l'utilisation d'une
adresse professionnelle personnalisée et d'une adresse générique du type
info@sncd.org, précise Alain Gosset, président du SNCD. Nous souhaitons
élargir la notion de personnalité morale pour que la prospection
professionnelle soit possible via une adresse mail personnalisée. » La
troisième disposition concerne la fidélisation. Elle autorise la communication
avec des clients à partir du moment où celle-ci propose des produits ou des
services analogues à ceux qu'ils ont achetés. Là encore, le SNCD s'inquiète de
la définition du terme. Et souhaite que “l'interprétation du terme analogue
soit entendue tant par rapport à la notion de catégories ou de familles de
produits ou de services, que par rapport aux attentes légitimes du consommateur
pour des produits ou des services dérivés”. Entendre par là qu'un fabricant
d'automobiles ayant vendu une voiture n'aurait que le droit de proposer une
autre voiture et non des accessoires ou le financement de cette voiture. En
tout état de cause, le SNCD compte prendre contact avec tous les acteurs de la
chaîne du marketing direct électronique afin de coopérer à l'élaboration d'une
charte associée à un label qui permettrait aux fournisseurs d'accès de séparer
le bon grain de l'ivraie. Reste que, si certains abordent cette nouvelle loi
avec une attitude circonspecte, d'autres y voient une formidable opportunité
marketing. C'est le cas d'Alexis Helcmanocki, patron de Buongiorno France,
spécialiste des services interactifs et mobiles.
Opportunité marketing
Constatant qu'il reste six mois pour solliciter le
consentement des personnes présentes dans des fichiers, il préfère adopter une
attitude pragmatique. « La Belgique - dont le marché de l'e-mailing et du SMS
était en train de mourir à cause du spamming - a adopté cette formule. Et
depuis, son marché est normalisé », confie-t-il. Il considère que l'obligation
d'obtenir confirmation du consentement du consommateur permet tout d'abord de
rafraîchir les coordonnées digitales du client, d'en profiter pour collecter
des informations comportementales et se doter d'une vraie base de données
marketing. D'établir un point de contact récurrent et qualifiant avec le
client, et de prolonger cette qualification par l'envoi de newsletters,
e-mails, SMS ou encore MMS. Et enfin, de requalifier sa base de données. « Les
bases de données mises en conformité avec la LEN sont entre 35 et 50 % plus
performantes, ajoute-t-il. Même si vous n'atteignez que 60 % de
requalification, vous y gagnerez en contacts utiles, car vos taux d'ouverture
et de clics seront plus forts. »
Prime au premier
Cependant, selon lui, il ne faut pas perdre de temps. La prime au premier
acteur à se lancer est très importante et il cite voyages-sncf, qui s'est lancé
depuis plus d'un mois dans la requalification de son fichier. S'y prendre tôt
permet de rendre les opérations fluides. Il est en effet inutile de lancer la
requalification en une seule phase. Pour lui, la qualification client est un
processus itératif qui exige de prendre son temps pour arriver aux meilleurs
résultats. Dernière précision, la phase de fin de la période légale va être
l'occasion d'un “bruit” défavorable au succès des campagnes marketing. Dans le
jeu des chaises musicales, mieux vaut ne pas être le dernier. Charité bien
ordonnée commence par soi-même et Bungiorno France saisit la balle au bon en
proposant un service, le “Pack LEN”, permettant de se mettre en conformité avec
la loi tout en garantissant des résultats très significatifs en
requalification. Et, pour confirmer son propos, Alexis Helcmanocki cite une
opération menée dans le secteur automobile, qui a abouti à 53 % de
requalification sur une base de données “dormante”. Qui tirera le premier ?
La Fevad s'inquiète
La Fédération des Entreprises de Vente à Distance s'inquiète de l'article 6 bis de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique. Celui-ci renforce le régime de responsabilité des vendeurs à distance dans la mesure où ceux-ci ont une responsabilité automatique et de plein droit sur la bonne exécution de leurs obligations contractuelles, sous réserve des voies de recours qu'ils pourraient exercer sur leurs prestataires. Or, souligne la Fevad, certains prestataires - notamment dans le domaine de la livraison des colis - bénéficient de limitations de responsabilité. Elle souligne l'incohérence d'un texte qui fait référence à la possibilité d'exercer des voies de recours alors que d'autres textes ne le permettent pas.
Le ministre délégué à l'Industrie se réjouit
Patrick Devedjian, ministre délégué à l'Industrie, a fait le point sur l'action engagée par le gouvernement pour soutenir le développememnt de la vente à distance. Il a noté qu'au cours des deux dernières années, la France a connu la plus forte croissance européenne en matière de connexion à l'Internet haut débit. Ainsi, la vente sur Internet représente désormais le tiers du chiffre d'affaires de la vente à distance. Il a ajouté que la LEN va permettre de clarifier les règles du jeu pour les fournisseurs et protéger plus efficacement les internautes. Enfin, il a fait allusion à la Loi sur la régulation postale, en première lecture au Sénat. Celle-ci aborde la question de la responsabilité applicable aux envois postaux. Le régime actuel de La Poste étant un régime d'irresponsabilité en la matière.