Les ventres ronds, coeur de cible
Quand Bébé paraît, rien n'est trop beau pour lui ! La naissance d'un enfant est, pour un annonceur, l'occasion rêvée d'entrer en contact avec les jeunes foyers, dont la consommation va exploser. Premières en ligne de mire, les mères font l'objet d'un nombre croissant de sollicitations. Toujours plus précoces, ces tentatives de séduction n'émanent plus seulement de marques typées bébé, mais de tous les secteurs de grande consommation intéressés par les familles. Comment les annonceurs engagent le dialogue dans les laboratoires médicaux, dans les cabinets des gynécologues et à la maternité.
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Pouponner, c'est tendance ! Top models enceintes à la Une des magazines,
célébrités trimballant leur bambin dans les soirées, alors que leurs consoeurs
anonymes tentent plus prosaïquement de réconcilier vie professionnelle et
maternité. « La société change de sexe. Les valeurs maternelles sont porteuses
: sécurité, santé, gaieté, générosité, authenticité... », reconnaît Bertrand
Tiburce, dirigeant de Baby Adgency, la « première agence de communication
spécialisée sur la cible des jeunes parents... jusqu'au moment où l'enfant
commence à donner son avis ». Son emblème : un couple de manchots, archétype de
l'amour parental, avec leur petit. Premier constat : le marché des naissances
est en perpétuel renouvellement. Tous les ans, quelque 750 000 nouveau-nés
viennent modifier les habitudes - et le niveau ! - de consommation de leurs
parents. « Alors qu'un célibataire consomme à un niveau indiciel 100 et un
couple sans enfant au niveau 190/200, un couple avec bébé passe à l'indice 360
», estime Valérie Spéra, directrice marketing de Family Service, qui gère le
programme Cadeaux Naissance. Une évolution favorisée par l'élévation de l'âge
moyen des parents (voir encadré p. 46), une donnée qui, à son tour, influe
favorablement sur leur solvabilité. L'arrivée de l'enfant - du premier, en
particulier - est un point d'entrée marketing. « On passe de l'esprit de
découverte à l'esprit de famille, soit d'un gros plaisir type trekking à deux à
une somme de petits plaisirs au quotidien. Pris isolément, les parents se
mettent à consommer plus pour eux », analyse-t-elle. De très sérieux
professeurs de Harvard ont d'ailleurs mis en évidence, dans les années 70, que
les marques les plus "costaudes" (celles qui croissent le plus quand tout va
bien et celles qui résistent mieux dans les crises) communiquaient sur la cible
des jeunes familles ! Selon Family Service, toutes formes de communication
confondues, 1 F investi sur une cible de célibataires et de jeunes couples
rapporte en moyenne 1,5 F. Le retour sur investissement sur les parents d'un
premier bébé grimpe à 2,5 F. Les annonceurs le savent bien. Et pas seulement
ceux qui vendent des tétines, poussettes et autres matériels destinés aux
poupons, dont le seul marché est estimé à 20 MdF par Baby Adgency. Mais ce
dernier est en fait potentiellement "illimité". La preuve en est qu'un nombre
croissant de marques grand public choisissent l'arrivée d'un enfant pour
s'imposer dans un foyer. En plus d'un échantillon de Cajoline "doux et pur",
Skip offre des tablettes de lessive dans la Boîte Rose, un cadeau remis à la
maternité par Cadeaux Naissance. Sur fond de chou et de rose en pâte à modeler,
la Société Générale propose un prêt à la consommation et le cybermarché
Houra.fr appâte les mères rivées au foyer.
Implication et fidélisation
Cette inflation subite du budget familial profite à
quasiment tous les secteurs. L'arrivée d'un enfant est l'occasion d'un
changement de véhicule dans 33 % des cas, d'un déménagement et de l'achat de
photo-ciné-son dans 40 % des cas. 61 % des foyers investissent dans
l'aménagement de leur maison et 73 % recourent au crédit à la consommation
(source Consodata). Sans omettre le créneau des produits anti-âge (crèmes,
coloration...). Une manne illimitée, d'autant que le potentiel de fidélisation
est important. D'abord parce que la mère est très impliquée : ses achats
deviennent réfléchis. En hyper, elle peut passer cinq minutes à scruter la
composition de compotes pour traquer les OGM ! « Et puis la maman est tournée
vers l'avenir. Ce qui est une promesse de croissance à long terme pour la
marque qui saura la capter », analyse Bertrand Tiburce. Or, précisément, capter
la cible des jeunes mères n'est pas trop difficile. Les 36 supports médias et
hors-médias (programmes d'échantillonnage, MD adressé) existants permettent de
couvrir 100 % de la cible, de la grossesse au postnatal en passant par la
maternité. Segmentés par circuit, ces médias sont "étanches". Seules les mères
sont exposées à ces médias. Ce qui permet aux annonceurs de tenir un double
discours sans risque de brouiller leur image sur d'autres cibles. Comme ce
constructeur automobile qui met en avant le côté féminin et sûr de son véhicule
auprès des jeunes mères, tout en continuant de parler de performance dans la
presse auto. Second facteur incitatif, « à savoir-faire équivalent, le
marketing direct ciblé sur les mamans donne des résultats trois fois supérieurs
à n'importe quelle autre cible comparable », juge Bertrand Tiburce. A condition
de miser sur ces médias spécifiques : un message maternel y sera renforcé par
l'effet de contexte. Pour simplifier, un annonceur qui souhaite s'attaquer à
la cible a le choix entre trois types de "médias" : les coffrets avec asilage,
les magazines spécialisés et la location d'adresses. Sachant que le hors-médias
attire la majorité des investissements (80 % pour les clients de Baby Adgency).
A leur tour, ces vecteurs peuvent être activés à trois moments clés : la
grossesse, l'accouchement et le postnatal.
La naissance, moment clé
Les programmes d'échantillonnage, multi-annonceurs, sont
distribués à la maternité ou en prénatal lors d'un contact médical de la mère.
Les principaux prestataires sont Family Service (Cadeaux Naissance), SMF (Happy
Trouss) et France Maman. La raison de leur succès ? « Quand on pouponne, on
couponne », affirme Bertrand Tiburce. Et même avant l'arrivée de bébé. La
majorité des marques ont intérêt à engager le dialogue dès la grossesse. Family
Service et SMF distribuent depuis quelque temps un dossier maternité et une
Trouss'maternité à l'occasion des visites de contrôle. Bébénet, activité
spécialisée sur les jeunes parents de Lifestage, envoie 200 000 paniers de
Maman Bébé en prénatal, entre les sixième et septième mois de grossesse.
Family Service vient de remonter d'un cran dans la conquête des futures mères
en faisant remettre par les laboratoires médicaux - à 3 mois de grossesse - 600
000 petits livrets intitulés "En attendant Bébé". Mixte, son contenu offre des
informations sur la grossesse et l'arrivée de Bébé et des offres commerciales
(Nivea, Parents, Sodilac, Vert Baudet...). Mais l'endroit le plus recherché
est la chambre de la jeune accouchée. C'est là que les prestataires annoncent
les meilleurs taux de couverture : respectivement 750 000 pour la Boîte Rose et
700 000 unités garanties pour la Happy Trouss de SMF (2001). « L'idée est
d'offrir un cadeau à la mère le lendemain de la naissance, à un moment où elle
est boulimique d'informations et a besoin d'être rassurée. La boîte est
cautionnée par les puéricultrices et sages-femmes qui distribuent nos colis et
par la présence de grandes marques », explique Valérie Spéra. De fait, même les
femmes CSP + percevraient le coffret comme un cadeau et non comme une action de
marketing direct ! La pression des annonceurs est telle sur le colis maternité
que les prestataires doivent parfois, par manque de place ou concurrent oblige,
les inciter à échantillonner sur d'autres envois de leur programme. Après la
phase de recrutement, les prestataires poursuivent le dialogue sous forme
d'envois à domicile. Family Service engage alors un cycle d'envois : "La Boîte
Bleue" est distribuée aux mères à 3 mois, puis "Mon dossier Bébé" à 5-6 mois et
"La Boîte Verte" avant un an. Un seul chiffre suffit à mesurer l'attractivité
de ces programmes de fidélisation : les 750 000 Boîtes Roses distribuées en
2001 devraient susciter 700 000 remontées à l'origine des envois de Boîtes
Bleues ! Même logique chez SMF qui, après avoir engagé le dialogue en prénatal
(550 000 unités en 2001), puis à la maternité (700 000), envoie la Lady Trouss'
(300 000) aux 3 mois de l'enfant. Tous ces coffrets sont assortis de
publications conseil, tels que le Guide "Mes 12 premiers mois" (SMF) et les
deux versions de "Happy Baby" (Family Service), qui hébergent des campagnes de
notoriété des annonceurs des colis et trousses. Ou permettent à des concurrents
de marques asilées dans le colis maternité d'être présents malgré tout... « Sur
une offre d'une marque puissante, associant échantillon, bon de réduction et
des avantages liés à l'entrée dans un programme relationnel, les taux de
remontées oscillent entre 25 et 30 % », estime Valérie Spéra. Mais ils peuvent
dépasser 50 % ! Témoin, cette offre de La Vache qui Rit, dotée d'un coupon de
réduction d'une valeur de 2 F et asilée dans la Boîte Verte, qui a suscité un
taux de retour de 58 % ! « Pour couvrir toute la cible, certains annonceurs
recrutent via la Happy Trouss en maternité, puis complètent leur fichier en
louant des adresses de notre base, qui compte plus de 1 million d'adresses de
jeunes mères d'enfants de 0 à 24 mois », confie Christian Gérard, président de
SMF. De fait, les remontées d'un prestataire - asilage d'un questionnaire en
leur nom propre, recrutement sur médias spécifiques - sont bien plus élevées
que celles des marques, même puissantes. Family Service annonce 1 million
d'adresses de foyers avec enfants de 0 à 2 ans et un accroissement de 700 000
nouvelles adresses par an (remontées Boîtes Roses et recrutement via dossier
maternité et presse prénatale). Nouveau venu issu du monde de la base de
données, la filiale Bébénet de Lifestage a mis en place une base de données de
900 000 foyers de jeunes et futurs parents (jusqu'à 36 mois). Le recrutement
des adresses (400 000 nouvelles par an) se fait essentiellement sur une offre
d'abonnement gratuit sur 6 mois à Bébénet, remis en maternité à différen- tes
occasions. Cette base peut être louée (1,20 F l'adresse + 10 centimes par
critère) pour Bébénet, par exemple. Parmi les critères disponibles figurent
primipare/multipare, l'âge des parents et des enfants, CSP, les données
géographiques. Le prestataire anime aussi son fichier pour le compte
d'annonceurs. Bébénet propose une série de supports (programmes
d'échantillonnage en prénatal et à 1 an, magazines, sites web) permettant de
communiquer à des moments clés du cycle de consommation. En version prénatale
et postnatale, le mensuel Bébénet Mag permet d'échantillonner et de proposer
des coupons. Bébénet a également démarré une base de données de 40 000 adresses
e-mail (avril 2001), collectées sur bebenet.com et des sites partenaires.
Mi-avril 2001, carrefourbeauté.com (180 000 visites par mois dont plus de la
moitié sont uniques) a lancé une campagne de recrutement test par e-mailing sur
40 000 adresses issues de quatre fichiers d'e-mails (Bébénet, Consomail, i
Base, Eldorawin). « La sélection sur la base Bébénet - ndlr : jeunes foyers
avec bébés de moins de 2 ans - s'est faite de façon aléatoire. Sur les bases
généralistes, nous avons procédé à de simples extractions par tranches d'âge
18-25 et 25-40 », explique Céline Guéganou, chef de produits Carrefour Beauté
en charge du MD. L'offre comporte trois paragraphes : une réduction de 30 F
pour 290 F d'achats sur le site, un jeu-concours et un lien spécifique selon
l'origine des prospects. Ceux de la base Bébénet étaient renvoyés sur la gamme
Avent (petite puériculture), ceux des bases généralistes sur les produits
minceur du site. Bébénet et Consomail généreraient un meilleur taux de
remontées sur les 25-40 ans.
Rester en contact avec la cible
Paradoxalement, dans un domaine affectif propice à la
personnalisation, la plupart des programmes relationnels se cantonnent à
utiliser des données, telles que l'âge et le prénom du poupon ainsi que le
critère primipare/multipare. « Le temps de la relation est trop court, la
taille de la base trop limitée pour rentabiliser une segmentation fine »,
répond Marie-Fleur Dubroca, chef de produit senior Nivea Baby. L'idée est de
rester en contact le plus proche avec la cible pour capter l'évolution de ses
attentes. Outre le suivi régulier des remontées du programme (analyses
quantitatives), Nestlé utilise ses relais Bébé pour dialoguer avec les mères,
Blédina les accueille dans les salons Jeune Maman. Nivea Baby est présent sur
les salons Baby et gère les panels de dialogue et des focus groupes. Sans
omettre les lignes de conseil à disposition des consommatrices qui permettent
de recueillir leurs préoccupations. La marque de baby food de Danone y puise
ses meilleures idées de sujets pour sa newsletter Blédi'Info. Ces capteurs
laissent entrevoir le profil - réel et rêvé - du bébé d'aujourd'hui. « Il est
un bébé-Moi. Sa mère exprime sa personnalité, ses valeurs, notamment à travers
l'habillement. D'où le succès de gammes de vêtements enfants issues des marques
pour adultes, comme Gap et Zara », explique Michel Montrosset, responsable pôle
Connaissance de Tequila. Plus Bébé-Roi que jamais, le bambin exprime un nombre
croissant de besoins "légitimes". « Bébé est un être à part entière dès le
départ. Nestlé est devenue la marque porte-parole d'un bébé actif », analyse
Chantal Milot, directeur marketing nutrition de Nestlé France. Il s'impose de
plus en plus franchement. Y compris dans le nouveau nom du programme "réformé"
début 2001 : "La vie côté Bébé". Dans la précédente publicité de la marque à
l'ourson bleu, Bébé dégustait le "menu des Grands". Aujourd'hui, il demande
"Devinez pourquoi on sait dire "Petit navarin printanier" avant "Papa-Maman" ?"
Dans la foulée, de plus en plus d'annonceurs en font leur porte-parole auprès
de leur maman, voire lui adressent leur message. Les plus habiles d'entre eux
donnent la possibilité à la mère de se mettre dans la peau de son bébé. Comme
Pampers, qui a collé sur sa boîte d'échantillons un miroir qui réfléchit des
contours troubles. Du coup, la maman se voit comme son bébé, âgé de quelques
jours, la perçoit !
Ce qui fait fuir les jeunes mères
Aucune cible n'apprécie d'être dévalorisée ou tournée en dérision. Mais les mamans se caractérisent par un humour inversement proportionnel à leur sensibilité épidermique. Le bébé ensanglanté de Benetton ne leur plaît pas du tout, ni la photographie de cette jeune accouchée sur la table de travail en sandalettes dorées du chausseur Harvey Nichols ! Mais là où le bât blesse encore plus douloureusement, c'est lorsqu'il s'agit de campagnes spécifiques. La proposition d'un pétrolier, "Si vous ne supportez pas d'avoir un bébé qui pleure, changez-le", est très mal reçue. Règle d'or : ne jamais porter, même avec humour, de jugement négatif sur l'enfant. Seule la mère peut le faire. Dévaloriser la future mère en la faisant passer, au choix, pour une garce ou une ignorante se paie très cher. Un assureur vie photographie une femme enceinte (vue plongeante peu flatteuse) avec l'accroche "Nous savions depuis longtemps que le mari de Madame Martin ne voulait pas d'enfant", se poursuit sur la page de droite avec "L'homme est imprévisible. C'est prévu". Aïe... Judicieusement orientée sur l'idée de sécurité, "Le premier monospace qui a subi un crèche-test", la campagne d'un constructeur automobile allemand commet l'erreur d'évoquer le tabou de la mort du bébé (nourrissons placés en désordre sur un drap, pour figurer les urgences ?). Enfin, même accueil frisquet pour la campagne du monospace Nissan qui compare une famille nombreuse (dont la mère est à nouveau enceinte) à des lapins. Les protagonistes sont en effet photographiés sur fond de page d'annuaire ouvert à "LAP".
Les mamans en chiffres
778 900 naissances en 2000 (en hausse depuis 5 ans). 45 % des naissances sont issues de primipares. Age moyen : 29 ans et 3 mois. Plus de la moitié des naissances primipares se produisent hors mariage. Environ 70 % des couples avec un ou deux enfants ont un double revenu. Marché du bébé, dit "captif" (baby food, articles de puériculture, poussette,...) : 20 MdF, soit 27 500 francs par bambin. Source : Baby Adgency