Les outils de l'anticipation
«Les responsables de centres d'appels se préoccupent d'ACD, de CTI, de CRM.
La planification arrive en fin de liste. » François Rey, directeur marketing et
communication de l'éditeur de solutions de planification Holy-Dis, reste lucide
quant à l'association gestion des ressources humaines/outils logiciels dans la
réflexion et les choix d'investissement des patrons de services clients. Et,
même si ce constat vaut surtout pour les centres d'appels internalisés, ceux-ci
n'en représentent pas moins la très grande majorité du marché. Et pourtant, on
serait tenté de penser que les outils censés faciliter la gestion des
ressources humaines, obsession déclarée des managers, sont répertoriés en
première place dans les consciences manageriales. Qu'après le PABX, l'ACD, le
CTI, le CRM, ce sont sans doute le dimensionnement et la planification qui
devraient capter tous les investissements futurs. Bref, qu'il y a de beaux
jours pour les éditeurs spécialisés. Car les outils existent. Si l'expérience
d'une part, les réajustements d'autre part président largement aux choix des
managers dans le dimensionnement des centres d'appels, des méthodes
standardisées ont pu être modélisées par des logiciels aujourd'hui éprouvés.
Mais c'est vrai, la France a pris du retard sur les pays anglo-saxons dans
l'intégration d'outils de dimensionnement. « Lorsque les premiers ACD sont
arrivés sur le marché, ils présentaient des manques notamment dans la prise en
compte et la gestion des temps de pause. Puis sont arrivés les premiers outils
de planification et de dimensionnement. Tous anglo-saxons, raconte Philippe
Baldin, consultant et co-fondateur de la société de conseil Affluence. Mais les
managers français sont encore réticents à confier leur dimensionnement à un
outil logiciel.» "Aucun outil standardisé ne peut répondre à mes besoins
spécifiques", entend-on encore souvent sur les plateaux. « Le tout informatique
n'est pas en mesure de prendre en considération toutes les finesses de la
gestion d'un dimensionnement », avance Dominique Berthelot, directeur
commercial Europe de l'outsourcer Call Center Alliance. Dans le travail
d'adaptation en temps réel ou quasi réel, seul le superviseur est en mesure de
procéder aux ajustements nécessaires. Pourtant, les outils sont plus
"intelligents" qu'il n'y paraît. Tous permettent un pourcentage (de 0 à 100 %)
de prévisionnel que l'on peut adapter manuellement.
Des accros d'Excel dans les grandes entreprises
Cet état de fait devrait
pouvoir rassurer définitivement les accros de la méthode Excel. Qui ne figurent
pas nécessairement parmi les entreprises les plus artisanales. Direct
Assurance, filiale à 100 % du groupe Axa, s'est toujours refusée depuis cinq
ans à mettre en oeuvre un logiciel standard, ayant préféré développer un outil
propriétaire, exploité sur Excel. Et ce, pour la gestion d'un centre d'appels
de deux plateaux, complètement virtuel, employant au total 400 personnes, avec,
qui plus est, des contraintes de dimensionnement particulièrement nombreuses
pour cause de politique de gestion des ressources humaines particulièrement
pointue. Pour les amateurs d'Excel, la méthode la plus répandue est on ne peut
plus prosaïque, reposant sur un découpage serré du temps. Prenons le cas d'une
campagne menée dans la presse TV. Il faudra, dans un tel cas de figure,
disséquer la semaine, évaluer le nombre d'appels que l'on compte recevoir le
lundi, le mardi, le mercredi... Débiter ensuite chaque jour en estimant le
trafic entrant heure par heure. Puis, après avoir défini le temps moyen du
contact avec l'appelant, on arrêtera le premier cadre du dimensionnement, en
tenant compte des objectifs de qualité de service que l'on se fixe (taux
d'appels traités, temps moyen de décroché, part maximale d'appels perdus). Une
fois ce stade atteint, le manager du centre d'appels pourra intégrer le tout
dans son outil de dimensionnement maison et l'informatique délivrera le
calcul.
Planification n'est pas workflow
Pour ceux qui
préféreraient investir dans des outils plus standardisés, quels sont les
éditeurs présents sur le marché français ? La plupart des fournisseurs de
solutions de CRM prétendent intégrer à leur offre des modules de planification.
Mais attention, il s'agit en fait de modules de workflow, conçus pour aider à
la distribution des tâches en fonction de la disponibilité des agents. Les
statistiques ne se font pas alors sur les volumes mais sur les missions ou sur
la nature des appels. Il s'agit de routage d'appels. On est dans le rapport,
pas dans la planification. Les moteurs de calcul sont nombreux, mais sans
grande valeur ajoutée ou différenciante. Tous utilisent la loi d'Erlang C. Or,
le vrai problème, de l'avis de certains professionnels, serait qu'Erlang ne
peut pas gérer la multicompétence en simultané. « Personne jusqu'à présent n'a
eu le courage de payer une équipe de mathématiciens pour retravailler sur
Erlang, affirme ce responsable au sein d'une société spécialisée. Parce que
cela coûterait une fortune en R & D. » Et, parce que, peut-être, ça n'en
vaudrait pas la peine. Car cette multicompétence dont tout le monde parle, de
plus en plus d'entreprises en reviennent. Pas probant en termes de qualité, et
pas assez rentable. « Banque Directe a cessé la multicompétence après avoir
constaté qu'il y avait trop d'erreurs dans les ordres de Bourse », affirme un
éditeur de solutions de planification.
Deux éditeurs se démarquent : Genesys et Holy-Dis
Pour le dimensionnement, les outils de
calcul ne suffisent pas. Parmi les fournisseurs référencés sur le marché du
dimensionnement : Diags, Holy-Dis, Manatom, Blue Pumpkin TCS, Genesys, ou
encore l'Allemand In Vision qui arriverait sur le marché français, avec un
produit précédé d'une bonne réputation. La plupart sont en fait des éditeurs de
logiciels de planification. Deux d'entre eux sont cités quasi-systématiquement
devant tous les autres, en tout cas comme étant les plus au point dans la
complétude de leur approche : l'Américain Genesys et le Français Holy-Dis. Le
premier ayant intégré la planification à son outil de dimensionnement, alors
que le second travaille à l'intégration d'un module de prévision d'activité à
son outil de planification. En matière précise de planification, TCS a vingt
ans d'âge. Holy-Dis a dix ans d'expérience dont cinq sur les centres d'appels.
Sur ce marché, Genesys fait office de petit nouveau. Son handicap réside d'une
part dans cette jeunesse et donc dans une plus faible part de marché, d'autre
part dans le fait que son offre est avant tout une "traduction" en français
d'un outil américain. « Nous faisons en sorte que l'outil soit le plus ouvert
possible aux contraintes et paramètres de la législation sociale française. On
avance. Mais on ne peut pas encore être exhaustif », reconnaît Philippe Mouret,
directeur avant-vente de Genesys. La nationalité d'un fournisseur de solutions,
dans ce domaine aussi complexe et sensible que le dimensionnement, n'est pas
indifférente. Une société française aura a priori une plus forte capacité de
compréhension et de réactivité par rapport à des demandes spécifiques de
paramétrage ou de R & D. « Demandez à des informaticiens aux Etats-Unis de
prévoir des développements spécifiques pour répondre au fait que les femmes
préfèrent ne pas travailler le mercredi, il n'est pas sûr que vous vous fassiez
bien comprendre », affirme François Rey.
Prévision, planification, adhérence
Au discours culturel, Genesys répond avec l'in extenso.
« Notre outil de dimensionnement comprend trois volets complètement intégrés :
la prévision, la planification et l'adhérence », affirme Philippe Mouret, qui
insiste sur l'importance de ce troisième pan. Ce que les éditeurs d'outils de
dimensionnement appellent adhérence, c'est le rapport quantifié entre la
planification et l'état réel de la production. Ce rapport se mesurant soit en
temps réel - ce qui constitue une aide précieuse à la supervision -, soit en
historique. « Cette dimension d'adhérence constitue la grande différence entre
notre outil et celui d'Holy-Dis », avance Philippe Mouret. Et explique
peut-être aussi la différence de prix entre ces deux offres. « Pour un centre
d'appels de 50 positions, il faut compter 200-220 000 francs », précise
François Rey. « Nous avons acheté l'outil Planexa il y a un an pour une somme
avoisinant les 100 000 francs », nuance Gérard Thierry, directeur organisation
et systèmes d'information d'Elvia, leader sur le marché de l'assurance de
voyages. 100 KF pour une centaine de positions. Genesys, de l'aveu de son
directeur avant-vente, est « beaucoup plus cher qu'Holy-Dis ». Les logiciels
disponibles sur le marché sont généralement facturés au nombre de postes. Pour
plusieurs centaines de positions, il faudra compter plus d'un million de francs
(licences et paramétrages). Mais le développement d'un outil propriétaire
probant peut s'avérer très long et, donc, également très cher. En dessous de 15
personnes, l'investissement dans l'un des outils standard du marché n'est pas
nécessaire. « Les outils logiciels de dimensionnement n'ont pas de valeur sur
les petites structures dans la mesure où celles-ci vivent, en termes
d'effectifs, sur un minimum incompressible », affirme Dominique Berthelot. Chez
Genesys, on reconnaît que la base installée concerne avant tout des centres
d'appels de 75 salariés et plus. « Notre outil Workforce Management serait
adapté à des structures plus petites. Reste à savoir quel intérêt elles
pourraient y trouver », affirme Philippe Mouret.
Deux écoles pour un principe simple
Quel est le principe fonctionnel des logiciels
de planification ? « Il n'est pas vraiment sioux, lâche François Rey. On prend
des périodes de référents, on les découpe, on les croise et on élabore des
modules prévisionnels. » En matière de planification, il existe deux grandes
écoles : la programmation par continuité (PPC) et le "recuit simulé". La PCC
consiste à définir un horaire à partir d'une charge de travail donnée. Le
"recuit simulé" va choisir un horaire optimal après avoir balayé un nombre
d'informations quasi infini. Ainsi, pour un centre d'appels de 70 conseillers,
le nombre de combinaisons possible en termes de modèles de planification sera
de 50 milliards puissance 70 ! Rassurons- nous, l'outil d'Holy-Dis, Planexa,
conçu sur le "recuit simulé", ne peut en fournir "que" 50 000... Théoriquement
en moins de trois minutes. De facto semble-t-il en deux fois moins de temps.
Les outils de dimensionnement brassent des quantités de données. « Il faut
intégrer des algorithmes qui permettent de concevoir une planification
optimale, c'est-à-dire rapidement paramétrable. Avec l'outil de Genesys, le
temps nécessaire à la définition d'un planning pour un centre d'appels de 5 000
agents avec une quinzaine d'activités va prendre de 20 à 25 minutes », prétend
Philippe Mouret. PPC et "recuit simulé" ont chacun avantages et inconvénients.
La PPC s'avère très pertinente quand on travaille sur un modèle en
annualisation définitive. Mais on sait bien que dans la gestion des centres
d'appels, le définitif n'existe pas. Pour un call center important, le "recuit"
sera préférable. « Pour la simple raison que c'est l'impondérable qui prime et
que la contrainte humaine sera plus forte au final que la contrainte légale »,
note François Rey. L'éditeur travaillant à la conception d'un outil, le
premier, avance-t-on chez Holy-Dis, conjuguant les deux méthodes en vigueur.
La compatibilité : une limite de plus aux outils standardisés
Les outils de d'aide au dimensionnement sont-ils
compatibles entre eux ? Imaginons une entreprise qui aurait opté pour le
développement d'outils propriétaires et qui sous-traiterait une partie de son
service client à un outsourcer intégrant pour sa part un logiciel standard.
Hypothèse loin d'être fantasque. « Lorsqu'une société gère en interne plusieurs
sites, elle doit nécessairement travailler avec les mêmes outils, affirme
Maurice Cautela, consultant chez CSC Peat Marwick. Dans un cas d'outsourcing,
le problème se pose différemment. Tout est alors défini contractuellement, et
notamment la prévision d'activité. » Le schéma classique est alors le suivant :
l'outsourcer et son client s'accordent sur une prévision d'activité de trois
mois, le prestataire devant confirmer durant le premier mois en cours les
données ainsi définies. A lui de déployer les combinaisons les plus probantes
pour atteindre les objectifs et répondre au cahier des charges. « Il est
impossible de mettre des outils de dimensionnement en réseau. On sait faire du
centre d'appels virtuel au niveau de la téléphonie, du CTI, mais pas du
dimensionnement. Pour la simple raison que l'ACD n'est pas en réseau. Ou alors,
il faudrait imaginer un module que l'on puisse accoler au CTI. Peut-être cela
existe-t-il chez Genesys. Mais pas de manière intégrée », souligne Philippe
Baldin.
Les perspectives d'une intégration toujours plus poussée
Les développeurs ont encore du travail s'ils veulent
rendre leurs outils toujours plus convaincants. Et c'est sans doute dans
l'optimisation de l'intégration que se trouvent les perspectives les plus
riches. « Mon rêve demain, ce serait de bénéficier d'un outil qui permette
d'interfacer en temps réel la gestion des compétences au sens ACD avec la
gestion des compétences au sens RH. Je sais que des éditeurs y travaillent, que
c'est technologiquement probant. Et aussi que cela coûte une fortune », affirme
Bertrand du Réau, directeur des opérations d'assurance chez Direct Assurance.
C'est en effet ici l'un des grands intérêts des outils développés non pas en
stand alone mais de manière intégrée avec une offre globale : ils peuvent
permettre un lien direct et opératoire de la planification avec les modules de
routage des appels, autrement dit, avec la distribution des flux en fonction
des niveaux de compétence des agents. Et la boucle est bouclée : le
dimensionnement programme, en fonction du niveau d'adhérence, l'orientation
d'un appel vers tel ou tel agent, en tenant compte bien sûr des contraintes de
planning de celui-ci (déjeuner, pauses, etc.).
Etats-Unis : la planification et ses perspectives
Selon un rapport publié en août 2001 par le cabinet AMR Research et portant sur les solutions de dimensionnement et leur utilisation dans les centres d'appels aux Etats-Unis, six éditeurs émergent en matière de planification : Aspect, Blue Pumpkin, CenterForce, IEX, Genesys, Pipkins. Mais les éditeurs de solutions globales de CRM s'intéressent de très près à ce marché, à l'image de Siebel Systems avec son nouveau portail d'ERM (Employee Relationship Management). AMR Research ne doute pas que les fournisseurs CRM devraient bientôt aller jusqu'à intégrer à leur offre de véritables outils de planification. Et si, en termes de chiffre d'affaires, le marché des outils spécifiques est encore marginal par rapport au marché du CRM, les outils disponibles n'en sont pas moins immédiatement convaincants dès lors que le centre de contacts emploie plus de 60 agents. La société d'études cite le cas d'une entreprise dont les managers de call center passaient 80 % de leur temps à travailler à la planification des effectifs. Après implémentation d'un logiciel, ce ratio aurait été réduit à 20 %. Une autre société a vu son niveau de qualité de service augmenter de 9 %.