Les contenus, enjeu des marques
Délivrer le bon message au bon moment. Certes, mais cette condition nécessaire n'est plus suffisante. Pour faire sens, être crédibles et désirées, les marques doivent occuper l'espace web de manière pertinente. Tel est l'enjeu des contenus, mis à disposition des internautes, de plus en plus exigeants. Reste à trouver le bon équilibre...
Je m'abonneQui n'a pas souri en écoutant une des nombreuses blagues de Johnny Mobile, le héros de la série Les têtes à claques, déclinée pour la marque SFR ? Le fameux «Ca va ouatcher!» s'est répandu sur la Toile à la vitesse de l'éclair pour rassembler, en fin de campagne, pas moins de 470 000 visiteurs uniques sur le site ! Une audience phénoménale comparable à des scores réalisés en télévision. Le succès est tel que Canal + s'est emparée du personnage. «C'est la première fois qu'un contenu on Une était décliné en TV», explique Christian Verger, coprésident de Publicis Dialog. Voilà bien la preuve que le contenu, bien exploité par les marques, est un formidable outil pour créer un univers, parfois exclusif, mais aussi un levier de recrutement, de fidélisation. La souscription au forfait illimité aux moins de 25 ans a progressé de 250 % par rapport à ses objectifs. SFR et Publicis Dialog ont mené là une campagne au succès sans précédent. Et que dire des 6 millions d'internautes qui se rendent chaque jour sur la page d'accueil de MSN pour se nourrir de contenus, là aussi, exclusifs. À l'évidence, les contenus s'imposent comme étant l'enjeu de demain pour les marques et leurs partenaires, les agences conseil, qui vont devoir inventer les scénarios s'y afférant. Si derrière le mot «contenu» se cachent de nombreux éléments, ce qui prime surtout, c'est l'interactivité, plus simplement appelée la conversation.
Raconter une histoire
Que ce soit par le biais de blogs, forums, vidéos, textes, photos... la puissance narrative des contenus repose sur la capacité des marques à «raconter des histoires», pour tisser un lien étroit avec le consommateur. Une fois ce postulat posé, les marques et leurs partenaires agences se retrouvent face à un champ des possibles infini, un espace de liberté qu'il convient d'investir intelligemment pour donner sens à toute démarche «éditoriale». Car le nouveau contrat de lecture participatif voulu par les internautes implique de la crédibilité, de la cohérence et de la légitimité. «Avant de vouloir faire de l'audience, il faut nouer une relation et satisfaire le consommateur La sanction, en cas de déconnexion du contenu avec la marque, c'est l'intérêt du sujet. Dans le cas contraire, avec une bonne perception, il sera prêt à acheter et recommander le produit. On n'est pas là non plus pour le gaver», explique Christine Santarelli, coprésidente de Duke. L'équilibre repose sur la capacité à éveiller le libre arbitre, encourager la critique et pour cela, Internet est un formidable espace de liberté. «Le contenu est au coeur des réflexions des marques, car c'est ce qui va leur permettre de se différencier, d'être en relation directe avec le consommateur par le biais d'un support choisi, que ce soit le Web, le mobile...», témoigne Jean-Marc Buret, directeur associé de Xérès, société de conseil en marketing. «Autant la gestion du contenu est orientée et simplifiée pour les sites marchands, autant elle se complexifie dans le cadre du marketing relationnel, car la marque va vouloir faire passer des messages», poursuit-il. En observateur du marché, Jean-Marc Buret constate la difficulté des marques sur ce sujet et assiste à une course à l'innovation, à l'effet «Wahou», à des effets de suivisme autour de phénomènes de mode, sans pour autant voir se dessiner de méthodes «gagnantes» sur le long terme.
Éditorialiser les marques
Véritable éditeur de contenus, MSN se concentre sur une formule mixant des informations de professionnels et d'internautes. En effet, la crédibilité passe aussi par des intermédiaires qui apportent une caution éditoriale. «Les internautes valorisent toujours l'avis délivré par des médias experts, mais ils apprécient tout autant la possibilité de se faire un avis via leurs propres investigations, pouvoir le partager et exprimer leur opinion», précise Alexandre Michelin, directeur éditorial et des contenus de MSN.fr. Halte aux contenus gratuits! La logique est un peu identique pour des marques qui choisissent de développer des plateformes de contenus. Ainsi, Garnier, Blédina, Danone... proposent des services, de l'information, souvent annexés par des avis de blogueurs, voire des journalistes de la presse féminine ou de l'univers de la santé qui «éditorialisent» les marques. Dans ce contexte, ces dernières doivent accepter de ne pas contrôler le discours autour de leurs produits. «L'enjeu pour les plateformes de marque sera de partager toutes ces informations intelligemment. Mais demain, ce sont les contenus exclusifs qui vont se développer. Et là, au vu des moyens nécessaires, la bataille sera aussi financière», note Christian Verger. En poussant la logique jusqu'au bout, on peut imaginer que les marques vont créer leur propre média. Au coeur de la galaxie digitale depuis des années, Stéphane Amis, ex-Business Interactif devenu directeur général de Digitas France, a vu le changement s'opérer sur le marché. «Ce qui a changé, c'est la prise de conscience des annonceurs face au pouvoir du Web. Ils ont compris que l'on pouvait agréger beaucoup d'audience sur ce canal Le contenu a donc un rôle très important à jouer pour capter et conserver ce public», observe-t-il. Internet est devenu un mass média. Mais aussi un média où l'on peut diffuser du contenu exclusif. Ainsi, Digitas vient de mettre en ligne une plateforme mondiale de réseau communautaire, baptisée «MagnifiqueWomen.com», dont la vocation est de révéler et relier entre elles des femmes de tous âges et tous continents qui sont engagées dans la vie et défient leur destin. Tout d'abord site d'inscription, un vrai site dédié (lancé en mars) rend hommage à ces femmes, choisies et révélées par les internautes, sous forme de portraits vidéos. Des modèles de plateformes qui devraient se développer, notamment dans l'univers du luxe. Autre innovation, dans la même veine, cette fois sous la houlette de Digitas US, une campagne réalisée pour Amex, baptisée «Members Project». L'idée, en créant une communauté entre tous les détenteurs de cartes American Express, était d'échanger des idées d'actions pour améliorer le monde et voter pour élire la meilleure. La vidéo du spot publicitaire, réalisé par Martin Scorsese, était disponible sur Youtube. Toujours dans la besace de Digitas, des mini séries vidéo réalisées pour des marques de Food désirant surfer sur la vague antiobésité. Idem pour Lagardere.com qui accueille sur son site des interviews de sportifs, des vidéos en annexe... Scénaristes et réalisateurs font désormais partie de l'univers Internet pour donner vie à ces contenus exclusifs. «Sans oublier un argument très convaincant pour les annonceurs, le ROI rapide dans l'univers du Web. Tout se mesure avec facilité sur le Net. Et l'investissement demandé est sans équivalent avec les budgets en télévision. Aujourd'hui, pour 300 000 euros, on a déjà un contenu qui fait sens. Et si l'on veut adapter «24 heures chrono» sur le Web, on peut le faire aussi. Cela coûtera 50 millions de dollars», explique Stéphane Amis.
De nouveaux acteurs
Ainsi, face à la demande toujours croissante, les agences se repositionnent. Aujourd'hui, de nombreux opérateurs proposent du contenu spécifique pour le Web et des agences créent des structures ad hoc. Isobar dispose, par exemple, d'une entité dédiée à la production de contenus on line, baptisée Webcontents. «Nous faisons vivre des contenus participatifs pour des clients tels que MSN, Monoprix, Champion... en jonglant avec les canaux et les formats. Le contenu est primordial, d'autant qu'il participe à la crédibilité et à la pertinence de la marque sur le Web», explique Bruno Calvo, directeur général de Webcontents. D'ailleurs, l'agence vient de lancer une offre spécifique, «REFContents», qui propose aux marques la création de contenus usant de techniques rédactionnelles facilitant le référencement sur les moteurs de recherche. Mieux ciblés, mieux qualifiés, certains mots sont savamment utilisés dans les articles pour être cités sur Google. Des méthodes qui s'apparentent à la gestion de «ROI rédactionnel». Voilà qui offre de la visibilité aux marques, mais qui ne rassure pas sur l'objectivité et la qualité des contenus a travers leur chasse au référencement naturel. Selon Bruno Calvo, un bon contenu répond à différents critères: la cohérence avec la charte éditoriale de la marque, une mise à jour régulière et une information interactive. «Il est capital de créer des moments forts pour la marque. Par exemple, nous nous sommes associés à Etam à l'occasion de la Saint-Valentin en créant un site dédié (www.quiaimeautantlesfemmes.com) avec du contenu vidéo, des blogueuses, des reportages, un blog à venir...», raconte Bruno Calvo. Autre agence à intégrer la production, Mediaedge, via sa nouvelle filiale, baptisée «Arthur Schlovsky», dont la mission se résume ainsi: «the finest content for your brand». Ses ambitions s'affichent dans son discours: «Arthur Schlovsky est née de la volonté de dirigeants d'accompagner les annonceurs dans leurs projets et programmes de contenus de marques. Une volonté de placer très haut l'exigence du story telling qui devra répondre à des niveaux de production dignes du nouvel Hollywood digital!». Narration, engagement, interaction, un triptyque sur lequel repose le concept de ce nouveau studio média. L'idée est simple. Il s'agit d'engager les marques dans une narration digitale. Ainsi, une équipe dédiée à la création de contenus pour les marques est centrée sur trois expertises: la conception, la production et le média marketing avec un pool de trois producteurs capables d'activer des réseaux d'auteurs, réalisateurs, en fonction des types de projets (au total, une cinquantaine de partenaires). Ainsi, le studio dispose, en complément d'un concept créatif, d'une mise en scène média. L'agence a illustré sa démarche dans la dernière campagne réalisée pour Eurostar, mi-novembre. A l'occasion du lancement d'une nouvelle ligne, et donc d'une nouvelle gare d'arrivée dans Londres, l'agence a créé www.newlondon.fr, une plateforme interactive. Un site dédié, une Web TV avec une grille de programmes aux émissions 100% originales, des bons plans culture, shopping, business, et quatre experts (les YPE's, Your Personal Experts) qui interviennent en direct pour répondre aux questions des internautes. Bref, du contenu original en quasi direct! «Eurostar a ainsi créé son propre média et défini sa ligne éditoriale pour aboutir à une vraie proximité et un leadership sur son image», explique Stéphanie Jolivot, directrice générale d'Arthur Schlovsky. «Internet est devenu un mass média individualisé. Les annonceurs sont encore frileux, mais dans l'idéal, demain nous verrons des séries sponsorisées par les marques», note, pour sa part, Hugues Cholez, directeur associé de l'agence.
Autre acteur du marché à surfer sur le digital, Nurun. Historiquement une web agency, elle tend vers une démarche marketing plus globale. «Le Web permet de dire tellement de choses qu'il y a une réelle frénésie des marques. Elles ont compris que ce média était arrivé à maturité. Le contenu est un de nos principaux enjeux pour 2008», explique Antoine Pabst, p-dg de Nurun. Ainsi, l'agence a créé une structure en interne, Content Management, qui va travailler exclusivement sur ce sujet. Dirigée par Iona MacGregor, directrice des concepts à l'agence, cette entité aura pour mission de déterminer une stratégie éditoriale selon le canal choisi et de la décliner en fonction du support. «Nous voulons développer des contenus avec notre grille de lecture, à savoir de l'interactivité (en laissant la maîtrise de consommation à l'internaute) et la contextualisation de l'information. Par ailleurs, il faut prendre en compte la multiplication des points de contact liée à la convergence des médias», explique Antoine Pabst. Autrement dit, produire un contenu exportable sur différents supports (mobile, PC, PDA...) de manière à enrichir la relation entre les consommateurs et les marques. Egalement au coeur du nouveau positionnement de l'agence Draft-FCB, reprise en fin d année par Benoit Héry, la gestion des contenus fait partie des priorités. «D'autant plus légitime quand ils s'inscrivent dans un projet d'entreprise», précise le nouveau président. On l'a vu avec Monoprix qui «enchante la vie», Coca-Cola qui renvoie à des expériences positives, McDo qui se positionne sur le «bien manger» ou Danone sur la santé. «Autant de projets qui créent une posture par rapport à une promesse d'entreprise. Ainsi, le projet d'entreprise devient le socle de la relation avec le consommateur», justifie Benoît Héry. Pour accompagner ce conseil aux sociétés, l'agence a mis sur pied un département dédié aux contenus et aux stratégies, confié à Monique Wahlen, directrice générale chez Draft-FCB. Ainsi, dans cette configuration, les patrons de marques deviennent des programmateurs alimentant des plateformes. Pour accompagner cette production, l'agence a créé des studios dédiés au son, à la TV/Vidéo, et aux contenus. «Je veux que l'on voie l'agence comme une sorte defactory avec une forte capacité d'agrégation en son sein», indique Benoît Héry, qui n'entend pas pour autant ne plus faire appel à des sociétés de production et des prestataires extérieurs.
L'internaute de plus en plus exigeant
Certes, le contrat avec l'internaute a changé. Il consomme l'univers de marque en étant mobile, et surtout, il est devenu plus exigeant, plus indépendant par rapport à sa façon de consommer l'information. Le motclé pour nombre d'agences est l'engagement de l'internaute. «Un engagement qu'il faut respecter», prévient Grégoire Baret, directeur associe chez Duke. Qui développe: «Le consommateur a envie d'être plus actif. Il faut donc mettre des outils à sa disposition, en s'inscrivant dans une logique de conversation. Et l'enjeu des contenus est là. Dans la capacité à considérer l'internaute. Mais c'est aussi aller à sa rencontre, au-delà de sites de marque. Les outils à disposition des marques étant des réseaux comme Facebook ou Youtube qui leur permettent d'exister dans un engagement accepté.» Ainsi, au-delà de savoir quel sera le contenu, il convient de s'interroger sur la façon de le mettre en scène, sans gratuité, tout en restant légitime. Ainsi, Duke a imaginé le concept de «Sweet Spots» pour Nike ACG, marque outdoor de Nike. Il s'agit là de créer un univers, une philosophie, une expérience autour de la marque avant d'arriver à l'usage des produits. «C'est une nouvelle façon de raconter des histoires. Le story telling est un des grands chantiers, en termes de contenu», justifie le directeur associé. Nikeacg.com, met en scène des athlètes de ski et de snowboard. Il offre également la possibilité à l'internaute de soumettre son contenu et peut-être d'être retenu pour trouver sa place sur le site aux côtés des athlètes de la marque. Le visiteur, lorsqu'il consulte une vidéo, peut également accéder à des informations complémentaires (l'athlète, le lieu de l'exploit, la figure sportive réalisée, la tenue vestimentaire...).
Tout au long de l'année, de nouveaux Sweet Spots seront ajoutés pour renouveler l'intérêt de l'internaute. Autre vision de la relation entre la marque et le consommateur, celle de Sixtizen, nouvelle filiale de FullSIX, dédiée à «la rencontre du live et du digital». Dirigée par Gaël Solignac-Erlong et Max Pons, deux hommes issus du monde de l'événementiel, l'agence tente une nouvelle approche de la conversation avec les consommateurs. «Nous ambitionnons de creuser un sillon plus profond avec le client en développant un plan d'action sur le territoire de la marque et en allant chercher le consommateur là où il se trouve. Tout repose sur l'engagement de la marque, sur les traces qu'elle va laisser. Pour cela, l'alliance d'Internet et de l'événementiel est salutaire. Plus le consommateur sera acteur, plus il se souviendra de son expérience avec la marque», expliquent les deux cofondateurs. Ce marketing collaboratif permet à la marque de mieux gérer son ROO (retour sur opinion). À titre d'exemple, l'agence a travaillé autour de l'univers musical pour relancer Reebok, une marque en perte de vitesse, très ancrée dans les années quatre-vingt. En nouant des partenariats avec Fun radio, et en lançant un concours sur DailyMotion, intitulé le «Dance Club», elle a permis aux internautes de vivre une expérience unique en participant à un concert. Bien au-delà de la contextualisation et de la façon de délivrer le message, les marques doivent apprendre à offrir un terrain de jeu aux consommateurs et à créer des moments de rencontre. C'est à cette condition qu'elles instaureront une relation équilibrée, crédible et acceptée par le consommateur.
La plateforme Magnifique- Women.com, lancée par Digitas, a pour but de révéler et de relier entre elles des femmes de tous âges qui défient leur destin.
Avis d'expert
Relation à la marque : la “zap attitude”
par Elie Liberman directeur exécutif de Creative Shop et membre du SNCD
Les habitudes de consommation de la communication ont changé. L'adage «sur Internet, vos concurrents ne sont qu'à un clic» est, en effet, plus que jamais d'actualité. La convergence entre le numérique et la multiplication des supports pose un problème réel sur les contenus dans la communication des marques. En matière de marketing relationnel, quel contenu permettra à la marque de garder le contact avec un consommateur zappeur submergé d'informations? Concernant les entreprises qui ont une actualité régulière, comme les voyagistes on line, les promotions et la multitude de destinations leur permettent d'envoyer régulièrement des e-newsletters. Le challenge est de ne pas lasser le destinataire. A l'opposé, de nombreuses marques ne disposent pas de cette «actualité». La question des occasions légitimes de contact se pose alors.
Faute de disposer d'un contenu suffisamment varié en interne, une marque peut s'approprier un territoire de communication pour en faire le fil rouge de sa communication relationnelle. C'est le cas de BNPParibas avec le cinéma. Une thématique qui permet à la banque de communiquer toutes les semaines. L'innovation permet également de faire bouger les lignes. Côté Web, les formes modernes de communication que sont les widgets, les flux RSS, les video-mails et les web-TV sont en plein développement. D'autre part, le Web 2.0, les blogs et outils associés font des consommateurs eux-mêmes des producteurs de contenu. Il est donc prévisible que les spécialistes qui maîtrisent le fond, la forme et les savoir-faire nécessaires ont de beaux jours devant eux!