Le XXIe siècle sera fidélisé ou ne sera pas !
Ce siècle qui s'achève voit-il la fin de la mode de la fidélisation ? Ou bien l'intérêt suscité par ce sujet est-il le signe d'une profonde évolution des industriels pour leur marque et des distributeurs pour leur enseigne ? Tel pourrait être le sens des "devoirs de vacances" que livre ici Dominique Henri Perrin*. Qui a mené une analyse sur près de 250 marques ou enseignes, engagées dans un programme de fidélisation, en phase de réflexion ou d'études sur ce qu'elles sont en droit d'attendre dans la valorisation de leur relation client.
De plus en plus d'industriels s'intéressent à la fidélisation et se sont
engagés dans des processus de connaissance de leurs clients finaux, de
construction d'entrepôts de données concernant ces derniers, de création de
Numéro Vert de contacts consommateurs, d'édition de consumer magazine... sans
pour autant céder à la tentation de court-circuiter leurs distributeurs. « Nous
sommes un groupe industriel qui ne doit pas se lancer dans la distribution », a
d'ailleurs déclaré Lindsay Owen-Jones, le président de L'Oréal, à ce sujet.
Près de 10 % des points du mapping correspondent à des industriels qui sont à
la recherche d'une connaissance plus fine et plus directement personnalisée de
leurs clients finaux. S'il s'agit d'une démarche normale pour l'automobile -
tous les constructeurs, de Peugeot à VAG, y sont confrontés -, c'est un
phénomène plus nouveau pour les produits de grande consommation. Danone, en
capitalisant sur le Bingo des Marques et sur Danoé, s'est constitué un fichier
qualifié de plus de 2,5 millions de consommateurs, certes particulièrement
"promophiles" et féminins ! Et Unilever, P&G ou Nestlé ont engagé des actions
ou des tests. C'est dire que les panels et les analyses comportementales ne
suffisent plus pour garantir la progression des parts de marché, la permanence
de l'innovation en réponse aux goûts évolutifs des consommateurs ou la maîtrise
satisfaisante des paramètres des négociations commerciales. Le foisonnement des
technologies (GSM, Internet, messagers, appareils ménagers intelligents,...)
représente une potentialité nouvelle de relation directe entre les industriels
et le consommateur final. Bien qu'aucune de ces technologies ne puisse avoir
une position monopolistique - il sera bien plutôt question de "bouquet" de
solutions -, le côté high-tech fascine. Mais les risques d'un choix déjà
obsolète ou créant un "enfermement marketing" pourraient bien conduire à de
sérieux désenchantements. Surtout si l'outil de la fidélisation n'est pas
solidement ancré dans la stratégie marketing et ne constitue pas un élément
parmi d'autres du mix-marketing.
UN OUTIL QUI SÉDUIT ET OÙ LES PRÉTENDANTS AFFLUENT
A en juger par le nombre de cartes qui
gonflent nos portefeuilles, ce n'est pas la variété des programmes de
fidélisation liés à la carte qui favorise la différenciatio... Parmi les
marques ou enseignes étudiées, près du quart ont en projet un programme de
fidélisation de leur clientèle. Ce qui, d'ailleurs, fait le bonheur des
chasseurs de tête qui possèdent désormais une nouvelle cible : celle des
"directeurs de fidélisation". Ils recherchent pour leur client un responsable
marketing qui ait l'expérience du lancement d'un programme de fidélisation,
celle de la gestion de la relation avec une clientèle, la maîtrise d'un système
d'information "orienté client". Si l'on y ajoute une pincée de datawarehouse et
de data mining, avec une idée précise sur le montage et le fonctionnement d'un
centre d'appels ou de contacts clients, on a une idée du profil de cet oiseau
rare. La connaissance des technologies cartes devient également un plus. Il
serait en effet inconcevable de ne pas disposer de la faculté de travailler
avec les technologies de demain et prendre ainsi le risque de passer à côté de
la carte à mémoire ! Tous les secteurs sont concernés : l'optique, la presse,
les chèque-déjeuners, les pétroliers en attente de l'expérience des autres, les
voyagistes - attentifs à l'expérience de Nouvelles Frontières - les services en
ligne pour lesquels la fidélisation de l'Internaute demeure un problème
majeu... Quant aux banques qui n'ont pas encore démarré, elles se bousculent, à
la suite de la réussite du Crédit Lyonnais, dans les starting-blocks de la
course aux clients fidèles.
UNE LAME DE FOND QUI LAISSE PEU D'INDIFFÉRENTS
Le choix stratégique de ne pas se lancer dans une
démarche fidélisante est l'exception. Encore pourrait-il se justifier par une
image très forte qui peut s'affranchir d'être le énième programme à points !
Dans la majorité des autres cas, ne rien faire n'est pas synonyme de
désintérêt. D'autres urgences ont pris le pas sur la tentation de faire une
copie conforme du programme du concurrent. Le poids de la marque, la réputation
de qualité, l'image prix ou un niveau de service qui s'apparente au
one-to-on... peuvent justifier d'avancer sans précipitation, d'améliorer un
haut niveau d'exigence de qualité de produits ou de services et de s'attacher à
trouver une véritable différenciation qui permette à une démarche fidélisante
de se démarquer de ses concurrents. La plupart des marques présentes dans la
zone située en bas et à gauche du mapping ne sont pas des leaders. La
sauvegarde des parts de marché n'est pas prioritaire : il s'agit d'acteurs
majeurs sur des niches (gestion patrimoniale, voyage...) ou d'un positionnement
de challenger en attaque sur des bastions largement majoritaires.
LE GROS DE LA TROUPE EN ORDRE DE BATAILLE
C'est sur les
programmes en régime de croisière que l'on trouve le gros de la troupe. Avec
près de 80 % des réalisations, c'est le secteur où l'on rencontre tous les
programmes mono-enseignes ou multi-partenaires. La distribution y occupe une
place de choix, avec des programmes très élaborés réunissant un grand nombre de
participants. Tant en hypers qu'en grande distribution spécialisée. Si tous les
secteurs sont bien représentés, les enseignes de grande distribution sont
concentrées sur des programmes mûrs, avec un fort degré de diffusion, même si
l'exploitation des informations clients laisse encore de larges potentialités.
On note toutefois peu d'innovation et une perception du consommateur qui se
sent souvent "piégé" par une carte privative se limitant à des caisses
prioritaires ou des remises. En regardant le cas Carrefour, qui a retiré sa
carte S2P du florilège des programmes à points, on peut par ailleurs
s'interroger sur le recours à un habillage aussi classique de la part d'une
enseigne disposant d'une forte expérience de la relation client.
VERS UNE DEUXIÈME GÉNÉRATION
Dernier carré de la
représentation des tendances d'évolution de la fidélisation (en haut à droite
du mapping) : les programmes qui ont atteint le maximum de leur développement,
après avoir souvent innové. Mais leur espace de différenciation - afin de
demeurer innovants et attractifs - se rétrécit. Les programmes de voyageurs
fréquents des compagnies aériennes en sont l'exemple type. Créés pour assurer
le remplissage des avions, en raison des crises du début de la dernière
décennie, ils coûtent cher aux compagnies aériennes sachant que les taux de
remplissage sont remontés au plus haut, en raison des techniques de gestion et
de la reprise économique. Des prestataires associés identiques, des offres de
services qui se ressemblent, un alignement vers le haut quasi automatique et
instantané du niveau de récompense et de service... impliquent une faible
différenciation. Même si toutes les enquêtes concordent pour donner aux
programmes de voyageurs fréquents un fort facteur de fidélisation. Les
programmes des opérateurs de téléphonie mobile s'y retrouvent également. Il
s'agit d'un outil vital pour la rentabilité d'un secteur où l'infidélité du
client (le churn) est chronique. Les opérateurs ont la capacité d'apporter une
réponse très attendue par les usagers : la fidélité peut être observée. Le
client n'a plus à la prouver en dépensant pour accumuler des points : le compte
de points est dans la carte SIM ! Ou plus concrètement sur le relevé détaillé
des communications. D'autres entreprises de cette zone - à l'exemple de Kiabi
et du recadrage de son programme avec sa stratégie marketing - se posent la
question de repenser leurs programmes existants. En veillant à ce que ceux-ci
ne se soient pas développés indépendamment de la stratégie marketing et que les
risques de distorsion soient maîtrisés. L'intégration de l'outil de
fidélisation dans la stratégie marketing de la firme, comme dans sa stratégie
de relation client, constitue désormais un avantage compétitif déterminant.
Avantage que de plus en plus d'entreprises prennent en compte en décidant de
remettre à plat leur politique de fidélisation. Et ce, pour reconstruire un
outil qui constitue une véritable valeur ajoutée pour le client. Le ciel de la
fidélisation est donc chargé. Projets, réalisations ou passages à une nouvelle
dimension occupent l'espace de ce qui dessine déjà le monde du XXIe siècle de
la fidélisation.