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LE PATIENT

À 43 ans, Jean-Baptiste Rudelle dirige une entreprise qui, en trois ans, a connu une croissance fulgurante. Une rapidité qui ne reflète pas le tempérament de son dirigeant A chaque étape importante, il prend son temps avant de concrétiser ses projets.

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Jean-Baptiste Rudelle / Criteo

Jean-Baptiste Rudelle / Criteo

À la sortie de Supelec, Jean-Baptiste Rudelle préfère se forger une expérience professionnelle avant de se lancer dans l'entrepreneuriat. « Pendant dix ans, j'ai enrichi ma formation d'ingénieur en acquérant des compétences techniques, business, stratégiques, marketing et commerciales », explique-t-il. Il commence en tant qu'ingénieur développement dans une filiale d'EDF, travaille ensuite pour la branche Télécom de Philips dans l'export en Asie-Pacifique, puis intègre une société de conseil en stratégie dans laquelle il intervient sur les nouvelles technologies, en pleine période émergente de l'Internet. En 1999, il débauche deux anciens collègues consultants et part au Japon pour s'inspirer des tendances et des innovations du moment. Il monte alors sa première société, baptisée K-Mobile Kiwee. « Nous avons initié le marché des logos et sonneries sur le mobile en France. A l'époque, ce service était totalement novateur. D'ailleurs au démarrage de ce projet, nous n'avons pas suscité l'engouement dans notre entourage », se souvient Jean-Baptiste Rudelle. Qu'importe, l'ingénieur croit en la personnalisation du téléphone portable. Et il a raison. En 2004, la société, qui s'est développée en Belgique, en Espagne et en Angleterre, génère 20 millions d'euros de chiffre d'affaires et emploie 60 personnes. La même année, American Greetings Interactive propose de racheter la start-up française. « Nous étions entrés dans une nouvelle phase du marché où les contenus devenaient de plus en plus riches et nécessitaient des droits, essentiellement avec Hollywood. Cela devenait compliqué de rester indépendant, nous avons donc revendu K-Mobile Kiwee », ajoute-t-il. Le Parisien s'accorde alors une parenthèse et se lance un challenge avec sa femme, informaticienne: développer un concept de restauration rapide autour des soupes et des salades à Paris. « Je me trouvais un peu trop jeune pour prendre ma retraite et passer le reste de ma vie à boire des bières devant la télé », plaisante-t-il. Pour autant, Jean-Baptiste Rudelle n'a pas pour ambition de détrôner les grands de la restauration rapide et d'y faire carrière. Six mois plus tard, il décide donc de revenir à son vrai métier entrepreneur dans le monde de l'économie numérique. Dans l'arrière-boutique de son restaurant, il planche sur une idée: analyser la navigation des internautes pour déterminer, en fonction de leur historique, quels produits pourraient les intéresser. En arpentant les couloirs d'un incubateur, il rencontre, par hasard, ses futurs associés, Franck Le Ouay et Romain Niccoli, deux ingénieurs des Mines. « C'est en racontant mon projet que je fais la connaissance de deux personnes qui ont eu la même idée que moi. Nous avons décidé de nous réunir pour ne monter qu'une seule boîte. Nos projets et nos compétences étaient totalement complémentaires Cela fait désormais sept ans que nous travaillons ensemble et je ne regrette pas cette décision », raconte-t-il.

En 2005 naît Criteo. Pendant trois ans, une équipe de 20 personnes s'affaire en R&D et se concentre sur le business model. « Nous avons préféré prendre notre temps pour réfléchir à la manière de vendre notre technologie » souligne Jean-Baptiste Rudelle.

UN PARI RÉUSSI

A cette époque, l'entreprise ne gagne quasiment rien. Son approche repose sur le reciblage publicitaire (retargeting). Cette technique consiste à personnaliser les bannières en fonction du comportement de l'internaute. « Nous avons choisi de prendre le risque à la place de l'annonceur: nous ne le facturons que lorsque la bannière génère des clics. En proposant de placer la bonne bannière au bon moment, au bon endroit et auprès du bon visiteur, les taux de clic sont sept à huit fois supérieurs à la moyenne du marché » explique-t-il. Une fois la solution mise au point et prête à la commercialisation, Criteo réalise un test avec Price Minister qui s'avère tout de suite positif. « À partir de 2008, nous avons connu une croissance extraordinaire. Au bout d'un an, nous avions couvert la quasi-totalité de l'Europe. La deuxième année, nous nous sommes attaqués aux États-Unis, puis nous avons investi des marchés en Amérique du Sud, en Asie et en Océanie. Aujourd'hui, nous avons 15 bureaux à travers le monde, employons 700 personnes et commercialisons notre solution auprès de 3 000 annonceurs. Notre seule difficulté était de devoir recruter rapidement », souligne Jean-Baptiste Rudelle.

Jean-Baptiste Rudelle aime le turquoise des lagons de Nouvelle-Calédonie

Jean-Baptiste Rudelle aime le turquoise des lagons de Nouvelle-Calédonie

AN AMERICAN LIFE

Pour accompagner le développement de son entreprise aux Etats-Unis, le quadragénaire emménage, en 2009, à Palo Alto, en Californie, avec son épouse et ses deux enfants de 8 et 10 ans. Dans cette région mythique de la Silicon Valley qui a vu s'installer Mark Zuckerberg (Facebook), Larry Page (Google), Marc Andreessen (Netscape), Larry Ellison (Oracle), mais aussi Léo Apotheker (Hewlett-Packard), JeanBaptiste Rudelle a choisi de vivre comme il le dit lui-même: « Lamerican way of life. Mes enfants sont allés à l'école américaine, car il était important de s'immerger pour bien comprendre la culture locale. » Très souvent en déplacement et investi à 100 % dans son travail - l'entreprise, installée partout dans le monde, fonctionne 24 heures sur 24 - Jean-Baptiste Rudelle ne se plaint pas de son rythme de vie, bien au contraire « Évidemment, je ne m'ennuie jamais En plus, le travail n'a jamais été une contrainte. » Son seul moment de détente: le kitesurf, qu'il pratique dans la baie de San Francisco ou en Normandie. « Je pratique la même activité sportive que la plupart des entrepreneurs du domaine du high-tech Cette discipline impulsée par Richard Bronson présente plusieurs avantages: peu réglementée, elle se pratique n'importe où et procure une grande sensation de liberté et dadrénaline, ce qui reflète plutôt bien l'état d'esprit des entrepreneurs du Web » explique JeanBaptiste Rudelle.

Après trois années en Californie, le président de Criteo vient de rentrer en France, où il poursuit le développement sa société. En juin dernier, il a inauguré le nouveau siège social et le pôle de R&D Criteo Lab dans un espace de 10 000 m2, à Paris, rue Blanche. Plus récemment, l'entreprise a levé 30 millions d'euros, pour développer notamment sa présence sur le marché asiatique. Tout en prenant le temps qu'il faut, Jean-Baptiste Rudelle a réalisé son ambition: créer sa société. Une entreprise, qui en 2011, a généré un chiffre d'affaires de 200 millions d'euros, résultat qui devrait quasiment doubler en 2012.

CE QU'IL AIME

* Le sport
LE KITESURF POUR LES SENSATIONS FORTES ET LE SENTIMENT DE LIBERTE.
* Un lieu
LA NOUVELLE-CALEDONIE, POUR SES PAYSAGES ET SES LAGONS.
* Des livres
RACE AGAINST THE MACHINE, D'ANDREW MCAFEE ET ERIK BRYNJOLFSSON (REFLEXION SUR L'IMPACT DE LA TECHNOLOGIE SUR L'ORGANISATION DU TRAVAIL) ET WHAT TECHNOLOGY WANTS, DE KEVIN KELLY (REFLEXION SUR LE DETERMINISME DU PROGRES TECHNIQUE).
* Une personnalité
BERTRAND RUSSEL, PHILOSOPHE ET LOGICIEN, POUR SA RIGUEUR ET SA BRILLANTE CAPACITE A RELIER PHILOSOPHIE ET MATHEMATIQUES.

Claire Morel

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