L'écrit : un long passé. Quel avenir ?
Depuis le cunéiforme, l'écrit a toujours vécu dangereusement, à la merci des modes et des nécessités. Les supports ont changé. Paroi des cavernes, terre cuite, tablette de cire, papyrus, parchemin, papier… Aujourd'hui, la liste s'allonge avec les écrans de la modernité: télévision, ordinateur et téléphone portable.
Comme toute époque, la nôtre cumule les
paradoxes. D'un côté, des journaux courent après les lecteurs et un équilibre
financier; des industriels les rachètent ou les maintiennent sous perfusion. De
l'autre, des gratuits séduisent un lectorat croissant. D'un côté, des maisons
d'édition gémissent sur la dureté des temps. De l'autre, les mêmes se rachètent
à prix d'or. Longtemps oubliés par les
financiers, des groupes de presse se mettent soudain à passer de main en main…
Pourquoi l'écrit échapperait-il à la marchan-disation généralisée ?
Moyen d'échange, d'information, de conviction, l'écriture s'adapte aux
nouvelles technologies. En retour, ces nouveautés modifient nos comportements
de lecture et, partant, les règles de la communication papier. Mais, dans ce
changement, demeurent toujours les “fondamentaux”. Il s'agit des constantes qui
guident nos gestes et nos actions, de ces comportements indépendants des modes,
de tout ce qui préexiste et dépasse le présent.
L'homme des cavernes courait nu-pieds à la poursuite de son aurochs. Le
sprinter d'aujourd'hui porte des Nike ou des Adidas. Les deux ont un point
commun: ils courent toujours en mettant un pied devant l'autre.
Quand un enfant dessine, le soleil est naturellement jaune, l'eau est forcément
bleue,
l'herbe verte… Quand vous lisez, votre œil
a tendance à filer vers la droite et à tomber dans l'angle inférieur droit. Il
y a ainsi une multitude de détails qui tiennent à notre
nature même, au mode de fonctionnement
de notre corps et à notre mental.
Le métier de concepteur-rédacteur consiste précisément à concilier le besoin de
nouveauté qui caractérise l'époque et les fondamentaux auxquels nous obéissons.
Et cela concerne aussi bien les mots que les visuels, les formats que les
couleurs, les arguments commerciaux que leur mise en scène.
Au-delà des couleurs, des polices de caractères “tendances”, il y a les
impératifs fonctionnels et culturels de notre œil. Au-delà d'une infinité de
visuels possibles pour montrer un objet, une ambiance, des personnages, il y a
l'impression ressentie psychologiquement, l'adhésion ou le rejet selon l'angle
de vision, la couleur, l'expression, le type même de visuel (photo,
illustration, infographie…).
Tout est écriture, tout est signe. Y compris, comme l'indique son nom, le sens
d'un document. Vertical ou horizontal, debout ou couché, il parle déjà : le
domaine de la construction appelle, par exemple, la verticalité, alors que
l'horizontalité s'applique de préférence au voyage, au monde de l'agriculture.
Il en va de même pour la forme et le placement des visuels, par exemple pour
l'orientation à donner à un paquebot en partance.
L'horizon temporel, inscrit en chacun de nous, veut que la proue se dirige vers
la droite. Subtilités ? Non, évidence.
La couleur ? “Des goûts et des couleurs…” Pourtant, les camions des pompiers
sont
rouges, comme les panneaux routiers qui marquent un danger ou une interdiction;
les croix des pharmacies sont vertes ; le ciel est toujours bleu… Et chaque
couleur produit une impression particulière. L'une apaise, l'autre excite, une
autre encore nous baigne de chaleur bienfaisante. Aucune ne laisse indifférent.
Mais il en est de la couleur comme de l'alcool : l'abus est dangereux.
Nous n'entrerons pas ici dans les techniques de l'écriture appliquées à la
vente, qui mériteraient un volume à elles seules. Mais les mots nous parlent
aussi par leur typographie. Leur dessin donne une coloration
au texte. C'est ainsi qu'il y a les lettres qui commandent, celles qui
chantent, celles qui rient, celles qui pleurent…
Téléphone portable, ordinateur et télévision transforment notre regard sur le
monde et notre façon de communiquer. L'écriture au sens large s'habille
aujourd'hui différemment
d'hier, les supports évoluent, les contenus et les mises en scène aussi… Le
danger serait d'oublier que nous courons toujours en mettant un pied devant
l'autre. n