L'e-marketing politique a-t-il de l'avenir en France ?
La récente campagne massive d'e-mailing de l'UMP a soulevé la question : doit-on s'attendre au développement d'un e-marketing politique ? Au vu de l'expérience américaine et de la prise en main progressive du Net par les hommes politiques, le monde politique pourrait être un client potentiel pour les acteurs du MD.
Fin septembre, des internautes ont reçu, en plusieurs vagues d'envois, un
e-mail
de Nicolas Sarkozy pour les inciter à “participer au débat de l'UMP pour 2007.
« Il y avait déjà eu des bannières, des pétitions en ligne ou encore des sites
événementiels, mais c'est la première fois que l'on constate en France un vrai
e-marketing politique faisant appel à des méthodes professionnelles,
du ciblage et de la location de fichiers », analyse Jean-Baptiste Clément, l'un
des fondateurs du site associatif NetPolitique.net qui se veut un observatoire
des pratiques politiques en ligne.
Controverses et questionnement
La campagne en elle-même a rapidement suscité la polémique. Il faut dire que la complexité de la chaîne de l'adresse n'a pas aidé à sa compréhension : la campagne a été orchestrée par l'agence L'enchanteur des nouveaux médias, mais le plan fichiers a été géré par Directinet, qui a fait appel à Maximiles, I-média et Impact Net. E-mail vision a joué, lui, le rôle de routeur. Les réactions des internautes recevant pour la première fois dans leur boîte, à la manière d'un message commercial, une incitation à politiser de cœur avec l'UMP, ont parfois été épidermiques. De nombreux internautes - certains ayant porté plainte auprès de la Cnil ou de tribunaux - se sont insurgés d'être victimes de spam, déclarant n'avoir pas donné leur accord pour être sollicités par e-mail, ni avoir été prévenus de l'éventuelle réception de messages à caractère politique. La Cnil suit le dossier. Elle avait déjà épinglé une société sur la question politique en juillet 2002, Impact Net. La Commission avait dénoncé la société au Parquet, suite aux plaintes d'internautes ayant reçu dans leur boîte, entre les deux tours des élections présidentielles, une enquête se présentant sous la forme d'un sondage politique. Au-delà des plaintes, nombre d'internautes, inscrits en opt-in aux programmes, ont été choqués de recevoir sur leur adresse e-mail personnelle un message politisé. Maximiles a d'ailleurs dû communiquer rapidement, devant le flot de critiques et certains raccourcis réalisés entre son programme et ses participants, comme le site voyages-sncf par exemple. “La société Maximiles SA a décidé de suspendre immédiatement la location d'adresses de ses membres à des associations politiques. La société tient à présenter ses excuses à ses membres qui auraient pu être froissés par cette campagne”, indique un communiqué du 30 septembre dernier. Cette affaire aura du moins lancé le débat en France de l'e-marketing politique. « Elle va surtout permettre de clarifier les règles avant les campagnes 2007 », estime Jean-Baptiste Clément. Cette action de MD révèle nettement les particularités de l'e-mail, comparé au publipostage politique traditionnel contre lequel les citoyens ne s'insurgent pas outre mesure. « Ce qui est très regrettable dans cette histoire, c'est que l'e-mailing est, a contrario du mailing postal, d'une transparence absolue : vous savez précisément qui vous envoie l'e-mail ; vous pouvez en un clic vous désabonner et vous pouvez répondre aussitôt. Dans le postal, vous ne savez pas qui a loué votre adresse, vous ne pouvez pas répondre à l'envoyeur et vous désabonner est difficile », analyse Thomas Chatillon, Dg de Maximiles. Faudra-t-il un opt-in spécifique à la communication politique ? Cela paraît difficile à mettre en œuvre. Du point de vue légal, des marges d'appréciation existent entre la délibération de la Cnil de décembre 1996, portant sur l'utilisation des fichiers à caractère politique, la loi LCEN et la loi Informatiques et Libertés.
Le développement d'un Web politique
Le monde politique investit, à petits pas, la sphère du Web. Dans d'autres pays, aux Etats-Unis en particulier, il ne fait plus de doute que les partis politiques sont des cibles de clientèle pour les acteurs du MD en ligne. Joe Trippi, ex-manager de l'e-campagne du démocrate Howard Dean aux primaires américaines de 2004, déclarait au site NetPolitique.net : « Internet est un outil de la base vers le sommet qui pose un challenge à tous les candidats de premier plan et les partis politiques qui gèrent habituellement leur campagne de haut en bas, de manière très hiérarchique. » Les candidats et partis américains utilisent déjà massivement le Web comme un média complémentaire, jouant sur la proximité avec les internautes, leur donnant la parole en ligne et leur permettant de cibler sur des zones géographiques précises. Une autre façon d'investir le Web, et la France n'est pas en reste, c'est le développement de blogs d'hommes politiques. Si la droite a lancé le coup de sifflet de l'e-mailing, en termes de blogs, les deux principales branches politiques françaises sont à égalité. Sur un blog, qu'il soit ou non politique, le ton utilisé n'est pas institutionnel, le discours se veut non étudié et les propos libres. Celui de Dominique Strauss-Kahn a souvent été cité en exemple, car un des premiers du genre. La revue socialiste Temps Réel a mené une enquête en août dernier sur les blogs au sein du PS. Olivier Ferrand, conseiller de Dominique Strauss-Kahn y expliquait que, depuis la création du blog de DSK, le site enregistre en moyenne 950 connexions par jour et lors de la campagne référendaire, des pics de 3 500 connexions quotidiennes ont été atteints. Le blog est géré par une équipe de cinq personnes. Le conseiller explique que, « pendant la campagne référendaire, DSK avait coutume de dire que le blog lui permettait de “toucher' un public différent et au total beaucoup plus large que dans les meetings. Cet aspect de diffusion de l'information et des messages est fondamental. Dans l'autre sens, la remontée de réactions, d'idées et de propositions est déjà utile mais pourra être renforcée dans le cadre de la préparation des échéances futures. » Concrètement, du côté des acteurs du MD français, la demande issue de partis politiques ne se fait pas encore sentir. « Le politique, ce n'est pas un marché que nous prospectons, remarque Frédéric Guilmain, directeur commercial du groupe Wegener DM. Nous avons quelques demandes, issues de mairies notamment, qui nous questionnent beaucoup sur les déménagés, par exemple. Il nous est arrivé pour les partis politiques de faire du one shot, mais ce sont des dossiers éclairs. On retrouve beaucoup plus ces demandes dans le monde de l'éditique. Ceci dit, ce sont des marchés difficiles. Par expérience, je sais qu'il faut se faire payer tout de suite, car les bureaux de campagne sont aussi vite montés que démontés. » Quand on s'intéresse de près au client politique, on peut un peu se brûler les ailes - Maximiles a fait les frais de son implication pourtant modérée dans la campagne UMP -, mais nous ne sommes qu'à l'orée d'une tendance en termes de communication politique. Et le marketing direct devra trouver ses marques par rapport à ce nouveau potentiel de clients.
Le dérapage marketing d'Alain Carignon
L'UMP, décidément, teste les différentes techniques du marketing de proximité, en provoquant la polémique. Ainsi, le 20 septembre dernier, des Grenoblois ont été appelés en pleine nuit dans le cadre d'une
opération de marketing téléphonique automatisée. La voix enregistrée d'Alain Carignon, ancien maire de la ville et actuel président de l'UMP Isère, interpellait l'interlocuteur sur un projet local abandonné par la municipalité de gauche. Vigivi, la société organisatrice, a déclaré qu'il s'agissait d'un bug informatique, qui n'a concerné que 37 personnes sur les 50 000 appels passés.
Les faux blogs politiques ont la cote
Tandis que les hommes politiques investissent la Toile avec leurs blogs, militants, partisans ou opposants, font de même. A l'extrémité de la chaîne, on trouve de faux blogs d'hommes politiques, comme celui de Jacques Chirac, www.jacqueschirac.org, qui a dû cependant fermer sur la demande expresse de la Présidence de la République. Un autre exemple est le blog satirique de Lionel Jospin, qui relate les aventures de “Moi, Lionel Jospin, retraité de la politique mais toujours prêt à aider mes camarades du PS” : http://lioneljospinps.canalblog.com/