Jan Löning Fnac Direct : « Le principal frein à lever, c'est convaincre l'internaute d'effectuer son premier achat »
Quatre ans après son lancement, la boutique en ligne de la Fnac atteint des niveaux d'activité comparables à ceux du dixième magasin du réseau français. Ces résultats valident le choix initial du multicanal comme mode de développement sur Internet. Ils offrent une bonne illustration du concept “clic et magasin”, soit la parfaite complémentarité entre le on et le off line, comme l'explique le P-dg de Fnac Direct. En passe d'atteindre la rentabilité dès la fin de l'année, Fnac Direct compte dégager ses premiers bénéfices dès 2004.
Quel bilan tirez-vous du premier semestre 2003 ?
Globalement très satisfaisant. Fin août, nous avons atteint 45 % de croissance
par rapport à l'année précédente et l'audience du site est passée de 125 000 à
200 000 visites uniques par jour. En dépit d'un contexte de marché encore très
difficile, nous sommes en phase avec les prévisions annoncées en 2002, ce qui
est plutôt positif, et nous comptons boucler l'exercice 2003 avec 60 millions
d'euros de chiffre d'affaires.
A quoi attribuez-vous ces taux de croissance ?
A une conjonction de plusieurs facteurs favorables.
Au niveau du marché tout d'abord, nous profitons encore de la croissance
naturelle de la population des internautes, qui entraîne mécaniquement celle
des e-acheteurs. Parallèlement à ce phénomène, nous bénéficions des effets
positifs de la démocratisation du haut débit qui a indéniablement un impact
tant sur la fréquence des connexions que sur l'augmentation des ventes. De
plus, nous le mesurons clairement, l'usage du haut débit contribue à écourter
le délai critique entre la première connexion et le premier achat en ligne. A
tout cela s'ajoute un gain de confiance des internautes dans le commerce
électronique. Nous constatons, en particulier, que le paiement en ligne est de
moins en moins un frein à l'e-achat. Enfin, de notre côté, nous avons mis les
bouchées doubles pour dynamiser la politique marchande du site en accentuant la
pertinence de l'offre et en peaufinant les services. Nous venons d'ailleurs
d'inaugurer une nouvelle interface graphique beaucoup plus conviviale, mais
surtout plus efficace du point de vue commercial.
Avez-vous atteint le seuil de rentabilité ?
Pas encore, mais c'est pour
bientôt. Nous comptons atteindre la rentabilité dès la fin de l'année et
dégager les premiers bénéfices courant 2004.
Comment a évolué votre stratégie marketing au cours de vos quatre années d'exercice ?
C'est l'histoire d'une amélioration perpétuelle. Qui commence en
1999 sur des bases saines puisque, dès le départ, le projet fnac.com a été
pensé avec beaucoup de réalisme en dépit de l'euphorie ambiante de l'époque.
C'est une stratégie de dualité entre les magasins et le site, ce qu'on appelle
aujourd'hui une stratégie multicanal, qui a été très structurante pour
l'enseigne. Si, au départ, il a fallu se focaliser sur les aspects de la
logistique afin de pouvoir disposer de toute l'offre référencée en magasin, les
développements actuels du site sont plus orientés vers le renforcement de la
politique commerciale et l'animation du site. Nous faisons le maximum pour
toujours mieux exploiter la complémentarité entre le site et les magasins. Cela
va de l'élargissement de l'offre au renouvellement des promotions, en passant
par le déploiement de nouveaux services destinés à dynamiser les ventes.
Plus concrètement, comment se traduit cette complémentarité entre site et magasins ?
A travers des avantages très tangibles pour les
clients. Notre programme de fidélisation en est une bonne illustration. Les
points sont cumulés aussi bien en ligne qu'en magasin et, de la même manière,
les avantages sont redistribués aux clients comme aux internautes. Autre
exemple, les services de pré-achat ou de réservation de produits sont proposés
en ligne, mais les articles sélectionnés peuvent, au choix, être retirés en
magasin ou livrés à l'adresse indiquée.
Vous voulez dire que la segmentation de l'offre et la politique de prix du site sont identiques à celles des magasins ?
Globalement oui, puisqu'il s'agit d'éviter
les phénomènes de cannibalisation entre les deux canaux. Les prix pratiqués en
ligne sont donc identiques à ceux que l'on retrouve en magasin, à la différence
près que le site est animé en permanence, en fonction des réalités propres à ce
média, différentes de celles du magasin. Il n'est d'ailleurs pas rare de
trouver en ligne des offres spécialement conçues pour l'Internet, offres que
l'on ne retrouve pas en magasin pour la simple raison que ce média induit des
comportements d'achats spécifiques. Sur fnac.com, nous mettons l'accent, en
particulier, sur les nouveautés en suivant une logique de réactivité et de
rapidité conforme aux comportements des utilisateurs d'Internet. En ligne, par
exemple, la part d'achat d'impulsion est beaucoup plus élevée qu'en magasin
parce que l'internaute réagit, à toute heure et à tout moment de la journée aux
stimulis de son environnement. Voilà pourquoi il est intéressant de faire
levier sur ce type de comportement impulsif, en accélérant au maximum le
renouvellement des promotions, en mettant à disposition de l'internaute tous
les services et toutes les fonctionnalités qui facilitent l'achat
d'impulsion.
Quelle est la part de contribution du site aux ventes réalisées en magasin ?
Si je me base sur les résultats issus d'un
test conduit sur une population témoin, le niveau de ventes additionnelles en
magasin se situe autour de 11 %. Mais il est difficile d'être affirmatif sur ce
point qui mériterait d'être mesuré sur l'ensemble de notre réseau de magasins.
Ce dont nous sommes certains, c'est que les visites répétées sur le site
renforcent considérablement le lien avec la marque. D'où l'intérêt d'avoir
conservé une identité de marque commune aux deux canaux. Aujourd'hui, la
notoriété de l'un se répercute immanquablement sur l'autre. Voilà encore une
bonne illustration de la complémentarité site/magasin.
La rentabilité des activités en ligne est-elle supérieure à celle des magasins ?
Difficile de le mesurer à ce stade puisque nous parlons de deux
schémas différents. La structure économique du site repose sur un modèle avec
des coûts fixes qui, suivant le volume des ventes, peuvent être complètement
amortis. Il est encore trop tôt pour parler de rentabilité structurelle des
activités en ligne mais, pour ma part, c'est un modèle économique auquel je
crois beaucoup.
L'expérience du on line influence-t-elle l'organisation de vos magasins ?
On ne peut vraiment pas parler
d'influence, mais il est certain que nous ne manquons pas de faire jouer les
synergies et d'exploiter le magasin pour faire connaître le site et,
réciproquement, d'utiliser les informations issues du site pour améliorer
certains points de la gestion de nos magasins. A titre d'exemple, le service de
précommande en ligne nous sert d'indice prévisionnel sur la demande à venir.
Nous proposons aux internautes de réserver un article plusieurs semaines, voire
plusieurs mois, avant sa disponibilité sur le marché. La courbe des
précommandes nous offre alors un indice fiable sur les prévisions de ventes.
C'est un excellent indicateur stratégique qui nous permet de rationaliser les
volumes d'achats et d'ajuster le niveau de nos stocks.
Quelles sont vos armes de recrutement en ligne ?
En premier lieu, et
contrairement à certains de nos concurrents pure players, nous bénéficions
d'une notoriété de marque exceptionnelle qui engendre un trafic spontané sur le
site assez important. Toutefois, avec le recul, je peux dire que le meilleur
outil de recrutement, le premier capteur de clients, c'est le site lui-même.
D'où l'importance de sa structure. Sur fnac.com, nous exploitons deux axes de
recrutement : j'ai déjà parlé du premier, l'achat d'impulsion soutenu par la
politique commerciale et le renouvellement des promotions. Le deuxième, c'est
la transformation des visites en achats. Nous travaillons beaucoup sur les
déclencheurs de passage à l'acte d'achat, le meilleur étant la gratuité des
frais de livraison. Et, lorsque cela n'est pas possible, nous multiplions les
options pour que le client ait toujours le maximum de choix. L'autre axe
important sur lequel nous avons appris à faire levier, c'est la newsletter.
Elle est entièrement personnalisable, tant au niveau des centres d'intérêt
qu'au niveau de la fréquence de diffusion et nous permet d'accroître la
répétition des contacts avec nos clients. Nous ne cessons de l'optimiser
suivant une logique de ciblage toujours plus affinée et les retours sont très
satisfaisants. Pour vous donner une idée, actuellement 50 % de nos acheteurs
viennent sur le site au moins une fois par semaine. Enfin, le must des
déclencheurs, c'est le moteur de recherche qui permet de trouver presque
instantanément l'article recherché.
Le panier moyen en ligne a-t-il dépassé celui en magasin ?
Non, le facteur explicatif
étant que, seuls 35 % du chiffre d'affaires en ligne portent sur des produits
techniques, donc plus coûteux. En magasin, ces produits représentent 50 % du
chiffre d'affaires.
Quels sont aujourd'hui les freins majeurs à l'achat en ligne ?
Le principal frein à lever, c'est convaincre
l'internaute d'effectuer son premier achat. D'où notre insistance sur les
services comme la livraison et notre décision de mettre en place un service
clients, qui permet aux internautes d'enregistrer leur commande par téléphone
ou de bénéficier de conseils.
Des contraintes logistiques subsistent-elles encore aujourd'hui ?
Non, puisque nous nous
sommes attaqués en priorité à ces aspects. Nous sommes capables d'assurer plus
de 30 000 livraisons pendant les jours de pointe et nous nous engageons sur un
délai de 24 heures pour les produits les plus demandés. Nous proposons
également plus de 3 000 points relais colis répartis sur l'ensemble du
territoire en nous appuyant sur le réseau Redcats, mais la livraison classique
reste de loin la plus plébiscitée par les internautes.
Et le MD dans tout cela ?
Outre la newsletter, nous nous focalisons sur des
opérations d'e-mailings adressés essentiellement à notre base de membres ou aux
internautes ayant effectué au moins un passage sur notre site. Ceci parce que
nous nous inscrivons en plein dans une démarche opt-in et que nous ne
souhaitons pas saturer les internautes.
Considérez-vous la publicité en ligne comme une arme efficace ?
Sans aucun doute.
Surtout en raison de certaines spécificités de ce support auquel nous
consacrons un budget assez important. La publicité en ligne offre l'avantage de
cibler de manière très fine. En fait, c'est le contexte de la présence
publicitaire qui est intéressant sur Internet puisqu'il permet d'apparaître là
où se rendent les visiteurs dont le profil est le plus en affinité avec le
message.
Quels sont les principaux axes de votre stratégie de fidélisation ?
Je ne vous apprends rien en vous disant que le
premier, c'est l'expérience réussie. Un internaute satisfait dès sa première
commande est forcément moins tenté par la concurrence. Vient ensuite Adhérent
Fnac, notre programme de fidélisation. Enfin, notre capacité à surprendre nos
clients par le renouvellement et l'approfondissement de l'offre.
Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir lancé un service de vente de produits d'occasion, comme l'ont fait certains de vos concurrents ?
Parce que je crois beaucoup à la notion de “core business”. Or,
notre métier, c'est de vendre du neuf à nos clients et, dans ce domaine, nous
avons un potentiel de croissance suffisamment important pour ne pas avoir
besoin de relais externes.
Ne craignez-vous pas un tassement de croissance une fois atteint le seuil de saturation en termes de population d'internautes ?
Je pense que nous avons encore plusieurs années de
croissance structurelle devant nous. Aujourd'hui, il y a 20 millions
d'internautes dont 6 à 7 millions sont des e-acheteurs. Ces données sont
destinées à s'accroître et je suis convaincu qu'il y a encore de nombreux
gisements de croissance à exploiter au cours des prochaines années. D'où mon
optimisme.
L'entreprise
L'entreprise Filiale de la Fnac. Lancement en 1999. Audience : 200 000 visiteurs uniques par jour. Chiffre d'affaires prévisionnel pour 2003 : 60 millions d'euros. 1er magasin en billetterie, recrutement d'adhérents et en DVD. Effectifs entre 50 et 100 personnes. Capacité d'expédition : 30 000 colis / jour de pointe. Centre d'appels : 1 000 à 1 500 contacts par jour (mails et appels).