Hémisphère droit
Père fondateur de l'agence Duke Interactive, Matthieu de Lesseux cultive labeur et plaisir créatif, en toute autonomie. Focalisé sur un seul média, Internet, il développe sur mesure la stratégie et le territoire d'expression des marques sur le Net.
C'est un grand brun volontaire, baraqué, regard droit, avec cette barbe
dense qu'il porte comme un roi de la jungle. On le devine opiniâtre,
autoritaire à ses heures et parfois même absolutiste, si la situation l'exige.
Sans doute ambitieux, certainement passionné, il se dit « homme de convictions
». On peut le croire : c'est le minimum syndical pour s'offrir la liberté, plus
qu'il n'en faut pour cultiver l'indépendance. L'autonomie pour moeurs, telle
est sa devise. C'est sur ce piédestal, volontairement isolé du prêt-à-penser,
que Matthieu de Lesseux a posé la première pierre de l'édifice Duke : son
agence, sa boîte à idées, créative, réactive, interactive. Evidemment ! « Sur
Internet, la communication a fini par fusionner avec ce que l'on appelle
désormais le "marketing services", qui couvre les actions directes ponctuelles
entre la marque et ses clients, mais qui tient compte, en amont, de la
stratégie d'image de la marque et de son territoire d'expression. » L'idée
n'est pas nouvelle. Lui n'est pas un novice en la matière. En 1998, alors qu'il
se prend de passion pour le multimédia chez Gédéon, une société spécialisée en
création audiovisuelle où il transfère des pans entiers d'art et de culture sur
CD-Rom, il assiste à l'entrée en scène d'Internet. Pour voir la "bête", l'homme
se rend place de la Bourse, dans un des premiers lieux cyberbranchés de la
capitale. Ce ne sont pas tant les contenus en ligne de l'époque qui le
fascinent, plutôt l'interactivité du média. Séduit, conquis, il ne lui en
faudra pas davantage pour convaincre Gédéon. Il lâche alors le multimédia pour
se consacrer au développement de sites de marques prestigieuses. Voici venu le
temps de la "création pure" ! Et en effet, à l'époque, il n'est pas encore
question de conjuguer stratégie et design. Du pain béni pour cette âme
d'esthète. L'opportunité lui est alors offerte par l'agence Havas Advertising
au moment du lancement de leur première filiale interactive, ConnectWorld.
Trois ans aux commandes d'un navire promis à un tour du monde, mais qui tarde à
quitter le port. Les résultats sont bons, mais la croissance « schizophrène ».
La pression monte. Trop vite. Tandis que les clients se bousculent au
portillon, les équipes s'épuisent sous un trop plein de travail. La décision
est prise et la porte se ferme sur « cette agence où le plaisir n'a plus sa
place, mais qui veut devenir leader de la marge brute ! » De cette ambiance «
cauchemardesque », il aspire à un monde meilleur, où les agences auraient peu
de clients, mais haut de gamme, et où les projets prendraient forme suivant
l'inspiration. Une agence indépendante, un rêve, aujourd'hui réalité. « Je
sentais qu'il y avait de la place pour une agence différente, qui ne
sacrifierait pas la création sur l'autel de la marge brute. » Dans cette
manière qu'il a de poser le décor, d'autres pourraient y entrevoir une pointe
d'arrogance, un soupçon d'impertinence. Il n'en a cure, lui qui s'avoue habité
par les doutes, en permanence. « Ce métier est une histoire d'instinct, mais un
instinct qui passe par le filtre de la sensibilité et de la culture »,
théorise-t-il. Ces accointances avec, il cite, « le Capital Culturel », ils les
tirent des théories de Pierre Bourdieu, selon qui, les acquis de départ
favorisent l'amplitude du développement. Cela le passionne. Il s'en imprègne
comme un buvard et pointe du doigt cette société fracturée entre ceux qui
bénéficient d'un accès aux produits de la culture et les autres qui en sont
privés. Là est la plaie sociale. Mais s'il glorifie le rôle de l'art et de la
culture, il ne dédaigne pas d'autres exercices. « J'adore l'acte de vente,
transmettre mes idées. » Les idées sont le fond de commerce de Duke, comme de
toutes agence de "créa", à la différence qu'ici, elles sont forgées sur mesure.
« Nous ne proposons jamais plusieurs réponses, mais LA réponse aux attentes des
clients. » Nombreux sont ceux qui s'en étonnent. « Cela ne nous empêche pas
d'avoir des clients », rassure-t-il. Son tableau de chasse en témoigne : Dior,
McDonald's, Rolex, Nissan... Bref, que des belles marques. C.Q.F.D.
Parcours
36 ans, marié, père de William et de Jeanne, licencié en Droit, Matthieu de Lesseux a lancé, à 20 ans, une société d'édition de logiciels qu'il a revendue au Groupe Sage. En 1993, il rejoint Gédéon où il développe des projets multimédias. En 1996, il passe dans le giron de Havas Advertising pour diriger ConnectWorld, l'agence interactive de Havas, qu'il quitte en 1999 pour créer, avec Christine Santarelli, Duke Interactive .