Dell change-t-il de modèle économique ?
Le fabricant d'ordinateurs texan Dell a annoncé, le 23 août, qu'il allait vendre ses PC sous marque blanche *, via un réseau de revendeurs. Changement de stratégie pour le numéro 2 mondial, dont le modèle économique est fondé sur la VAD ? Jack Mandard, créateur de CompuBase, société spécialisée dans les BDD sur les partenaires informatiques et télécoms, donne son avis.
Pourquoi Dell, qui a fondé son business model sur la vente directe, se met-il à l'indirect ?
Jack Mandard : Le mouvement de
Dell dans le modèle indirect provient plus d'une analyse du portefeuille
clients que d'une volonté stratégique forte. Dell vend aux revendeurs depuis
plusieurs années. Ce ne sont pas de grands revendeurs, souvent des VAR
(revendeurs à valeur ajoutée) ou des ISV (éditeurs de logiciels indépendants)
qui ne représentent que près de 400 points de vente. Ses dirigeants ont dû
finalement le remarquer et se poser la question : si certains revendeurs
achètent du Dell, c'est que la marque répond à certains besoins. Parallèlement,
Dell a plus que réussi dans le modèle direct, grignotant année après année les
parts de marché des autres constructeurs. Mais le système a aussi ses limites,
surtout dans un marché qui se tend. Dell va donc profiter de cette demande
spontanée pour ajouter une nouvelle carte de distribution et surtout arrêter de
déclarer sans arrêt que "les revendeurs ne servent à rien".
HP, IBM, Fujitsu, Nec doivent ils s'inquiéter de cette annonce ?
JM :
C'est manifestement une pierre dans leur jardin et Dell prend l'initiative,
poussant ainsi les autres à se défendre. Cependant, on ne change pas une
culture d'entreprise, d'ailleurs les ambitions mesurées de Dell dans ce modèle
(380 M$ pour les Etats-Unis) montrent qu'en interne, on reste prudent. Mais la
machine se met en route, et on peut prévoir qu'une simple bonne communication
et quelques points de marge permettront de doubler rapidement le nombre de
revendeurs, surtout dans les segments "intégration" et ISV. Il s'agit cependant
plus d'une adaptation d'un modèle logistique et financier conçu pour la vente
directe à certains segments de la vente indirecte. Mais, en attaquant les
segments Intégration et ISV, Dell s'attaque à des segments stratégiques car
financièrement plus sains que les revendeurs traditionnels.
Quel intérêt un revendeur a-t-il de vendre du Dell ?
JM : Il est lié à
la difficulté qu'ont les revendeurs en général à vendre des systèmes. L'achat
de PC et serveurs constitue souvent un élément initial de la relation qu'a un
revendeur avec son client. Si ce dernier est une entreprise, la vente de
systèmes sera pour lui l'occasion de vendre des périphériques, des consommables
et, surtout, du service. Le système, c'est un peu un produit d'appel. Mais il
coûte cher, occupe de la place et consomme du temps, qu'il est difficile de
facturer. Un revendeur se trouve donc souvent coincé entre la nécessité de
vendre des systèmes et sa volonté d'alléger ses coûts de structure, dont une
partie non négligeable est imputable à la vente de systèmes. Dell a construit
son modèle de vente sur une relation complète avec le client utilisateur,
c'est-à-dire qu'il a su gérer tous les besoins et surtout les contraintes du
client liées à la vente de systèmes. Pour nombre de revendeurs, Dell représente
une solution idéale : la marque est prévendue, a une bonne image en termes de
prix, sait gérer des problèmes logistiques complexes et peut même prendre en
charge le financement. Reste au revendeur à convaincre le client d'acheter du
Dell, à gagner quelques points de marges comme apporteur d'affaires et à vendre
tout le reste (installation, maintenance, logiciels...). Les autres
constructeurs ont perdu peu à peu le sens du client final, déléguant tout
d'abord la vente au revendeur, puis au grossiste et, dans certains cas,
l'assemblage à des assembleurs, détruisant de fait un savoir-faire interne dans
les domaines qui font aujourd'hui le succès de Dell : traiter beaucoup de
clients, raccourcir les délais entre construction et vente, réduire le stock
des revendeurs, gérer une logistique complexe.
Est ce pour Dell un changement stratégique ?
JM : Non. Dell ne remet pas en question
son modèle économique. La firme texane pense pouvoir augmenter ses ventes en
regardant comment adapter son modèle de vente directe aux besoins des
partenaires informatiques et télécoms. Dell compte donc sur ces partenaires
pour vendre à de petites structures qui n'ont pas de département informatique
interne et qui ont recours à la sous-traitance. Sous-traitance qui, au lieu
d'acheter des PC chez les assembleurs, les achèterait chez Dell. Quant aux
prix, ils seront inférieurs, puisque le service sera différent. Reste que cette
stratégie n'est, pour le moment, destinée qu'aux Etats-Unis. * Les ventes
d'ordinateurs sous marque blanche représentent 30 % du marché.
En France aussi
Dell n'a pas de réseau de distribution en France. Cependant, nombre de revendeurs déclarent Dell comme leur premier fournisseur. Fin 1999, une enquête Distributique/CompuBase faisait apparaître que 246 revendeurs vendaient avant tout du matériel Dell. Quinze mois plus tard, ce chiffre passait à 373, soit une progression de 50 %. 70 % d'entre eux réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 4 500 000 euros. 80 % sont des VAR, des SSII ou des revendeurs indépendants, dont les compétences sont dans les réseaux, le client/serveur, l'interconnexion de réseaux et Internet.