Dans le Nord, le marketing direct fait toujours recette
Le bon vieux mailing papier a encore de l'avenir, si l'on en croit les agences localisées dans le Nord, berceau de la vente par correspondance. Ces structures tirent profit de leur situation géographique, à proximité des entreprises de VPC, grandes consommatrices de mailing en tout genre. Et comptent bien occuper le créneau du marketing direct, un peu délaissé par les grands groupes qui lorgnent sur le marché du CRM.
Le Nord serait-il le dernier réduit du marketing direct "pur et dur" ? Sans
doute, si l'on en croit les définitions de leur métier que proposent les
grandes agences et les groupes parisiens, qui rejettent peu ou prou ce terme
historique. Dans la capitale, on parle plus facilement de marketing relationnel
que de mailing. A Roubaix, Tourcoing ou Lille, en revanche, on n'a pas honte de
s'afficher comme spécialiste du marketing direct. C'est par exemple le cas chez
Caribou. Cette agence de 13 personnes a été créée en 1995 par deux anciens de
Split Run, elle-même basée dans le Nord.
Eric Sarazin (Palo Alto)
: "Nos équipes ont toutes baigné dans le
marketing direct, chez l'annonceur ou en agence, et certains sont titulaires du
magistère de marketing direct".
Après avoir servi pendant deux ans de sous-traitant aux grosses structures
parisiennes, Caribou attire ses premiers budgets. Valérie Gisberti, directrice
associée, arrive en 1997, après dix années passées chez l'annonceur, en
l'occurrence Cofidis. « Notre positionnement est clairement orienté sur le
marketing direct. C'est ce que nous savons faire et les clients aiment ce côté
authentique », explique la directrice associée. Pour elle, la spécificité de
Caribou tient à son recrutement, puisque l'agence est composée de créatifs "à
98 %". « Mêmes les chefs de publicité sont d'anciens créatifs », revendique
Valérie Gisberti. Ce qui permet à l'agence de se concentrer sur son vrai
métier, c'est-à-dire le conseil. Exemple avec Damart, qui vient de relancer sa
carte de fidélité sur sa cible des seniors. « Ils n'attendaient pas qu'on leur
parle d'Internet, mais de leur clientèle spécifique », explique l'associée de
Caribou. Ce qui n'empêche pas l'agence de posséder des compétences en matière
de marketing on line. Caribou a ainsi élaboré une opération de trafic sur le
Web pour les Parfumeries Douglas, chaîne de cosmétiques d'origine allemande
possédant quatre-vingt points de vente en France (sauf Paris). Comme l'enseigne
n'exploitait pas son adresse douglas.fr, l'agence nordiste lui a conseillé de
réaliser des mini-actions commerciales, sur trois ou quatre pages web maximum,
une fois par mois, en relais du mailing papier. « A notre grand étonnement, je
dois dire que cela a créé du trafic dans les magasins. Mais on ne se vante pas
pour autant d'être une web agency », relativise Valérie Gisberti. D'ailleurs,
l'agence roubaisienne n'a pas jugé bon de recruter des professionnels du Net.
Une rédactrice s'est elle-même spécialisée dans ce domaine, et un graphiste a
été formé à la création on line.
Militante du MD
Etre
une petite agence ne semble pas trop pénaliser Caribou, même si les gros
budgets ont encore tendance à la négliger. L'agence compense par des tarifs
moindres, grâce à des frais de structure plus légers, et une plus grande
réactivité. Généraliste du marketing direct, Valérie Gisberti se félicite de
décrocher des budgets dans différents secteurs économiques. « On peut faire du
spécifique pour les clients qui ont un fort besoin de reconnaissance dans leurs
messages », estime la directrice associée, qui se dit « militante du marketing
direct ». Avec 5 millions de francs de marge brute en 2001 (760 000 euros),
l'agence a été approchée par des groupes, mais préfère rester indépendante. «
Nous sommes une équipe soudée, sans hiérarchie, nos locaux sont ouverts. C'est
notre originalité », conclut Valérie Gisberti. Tout-Atout, autre agence
nordiste, se dit également courtisée par les mastodontes parisiens. Benoît
Camelot, le manager, est lui aussi un ancien de Split Run. Il a monté
Tout-Atout en 1996 à Roubaix, qu'il qualifie de « capitale de la VPC ». « Nous
travaillons à 70 % avec les vépécistes. D'ailleurs, quand nous sommes reçus par
des clients parisiens, être originaire de cette région nous apporte une
crédibilité. » Centrée sur la communication opérationnelle, l'agence revendique
un positionnement axé sur l'efficacité. « Nous n'avons pas un sens de l'ego
démesuré, comme certaines agences parisiennes. Un message moche peut donner de
très bons résultats », avance Benoît Camelot. Modeste, le manager de l'agence
roubaisienne ne prétend pas répondre aux besoins stratégiques des gros
annonceurs, mais traiter ce qu'ils ne savent pas faire, c'est-à-dire la partie
création. De même, Tout-Atout ne rentre pas en compétition avec les grands
groupes sur le CRM ou Internet. « Cela demande une approche à moyen et long
terme, donc des moyens financiers, que nous n'avons pas. Nous occupons une
niche de marché, le mailing, qui a été délaissée par les grosses agences »,
analyse Benoît Camelot. Etre petit (5 MF de marge brute en 2001) ne constitue
pas un handicap pour Tout-Atout, qui envisage de se développer tranquillement
jusqu'à atteindre une taille critique. La question se posera alors de
l'affiliation à un groupe. Sans complexes, l'agence du Nord mise sur sa
souplesse, ses tarifs moins élevés et ses compétences pour assurer sa
pérennité. « Celles qui ne cherchent pas à aller dans la cour des grands et
restent sur leur créneau spécifique ont toutes les chances de s'en sortir »,
affirme Benoît Camelot.
Designer de relation
Autre
agence nordiste, basée à Lille, Palo Alto a déjà entamé sa métamorphose vers le
statut d'agence moyenne. Elle emploie environ 70 personnes entre Lille et
Paris, avec une petite antenne commerciale à Bruxelles. Le print est traité
dans le Nord, le on line à Paris. Palo Alto s'est construite par acquisitions
successives : Jazz, agence de MD, Séville, studio graphique, et Place du
Concert, spécialisé dans les bases de données. En 2000, c'est au tour de Palo
Alto (qui a donné son nom au groupe) et 25e Heure, deux web agencies. La
nouvelle entité se positionne comme "designer de relation", avec comme mission
d'assurer la stratégie opérationnelle pour ses clients. Elle s'est constituée
en trois pôles : direction commerciale, direction produits (conseil, création,
data mining, Internet) et direction administrative. Les fondateurs détiennent
90 % du capital. L'agence lilloise a réalisé ses 5,34 ME de marge brute 2001
(35 MF) avec des annonceurs issus de la banque (Crédit Agricole Ile-de-France,
Robeco), la distribution (Ikea, Leroy Merlin, Kiabi), l'automobile (Citroën,
pour qui elle gère le marketing opérationnel sur le lancement de la C3) et bien
sûr la VPC (VertBaudet, Cyrillus). Contrairement à ses confrères, l'agence ne
se contente pas d'une expertise en marketing direct, mais propose à ses clients
de gérer l'ensemble des canaux de la relation entre la marque et ses
consommateurs.
Laurent Duprez (ETO)
: "Nous n'avons plus le complexe de la petite
agence roubaisienne".
Tout en restant dans le registre de l'efficacité. « Nous sommes une agence qui
cherche à apporter des résultats concrets à ses clients », affirme Eric
Sarazin, directeur produit. En revanche, comme ses collègues, Eric Sarazin se
félicite lui aussi de son ancrage dans la région historique de la VPC. « Nos
équipes ont toutes baigné dans le marketing direct, chez l'annonceur ou en
agences, et certains sont titulaires du magistère de marketing direct. » Quant
à la concurrence des groupes nationaux ou internationaux, Palo Alto ne semble
pas la redouter. « Le marketing relationnel reste l'affaire de spécialistes.
Les groupes sont devenus des généralistes. Nous sommes mieux placés car plus
opérationnels », estime Eric Sarazin.
Un réseau provincial
Persuadé qu'il existe une place pour les agences moyennes, il met en avant
le fait d'être désormais consulté par des marques grand public, qui ne viennent
pas des trois réservoirs traditionnels d'annonceurs : la banque, la
distribution et la VPC. Le fils de Jean-Claude Sarazin (ancien président de la
Redoute durant l'ère pré-Pinault, puis P-dg du groupe André et qui vient de
rejoindre Palo Alto comme président), reproche aux grandes entités d'avoir
dilué les compétences des petites sociétés qu'elles ont rachetées. « Elles ont
raté l'intégration de tous les métiers du marketing relationnel et se remettent
à créer des filiales spécialisées », analyse-t-il. Ce sont d'ailleurs plutôt
ces entités ou les autres agences indépendantes que Palo Alto rencontre en
compétition. L'agence lilloise est déterminée à garder son indépendance, chose
qu'elle n'est pas sûre de pouvoir conserver dans un grand groupe. Elle compte
pour ce faire sur le père du directeur produit, dont l'expérience et le carnet
d'adresses pourraient constituer un atout non négligeable. Confiante en son
modèle, Palo Alto envisage même d'ouvrir des filiales dans les grandes villes
de province. En attendant l'international. Une des plus grosses agences du
Nord, ETO (88 personnes, 36 MF de marge brute en 2001) est née en 1986. D'abord
centrée sur le marketing direct "classique", elle créée Basalt en 1991, filiale
spécialisée dans la gestion des bases de données. En 1999, l'agence fusionne
ses deux entités et reprend le nom d'ETO. Aujourd'hui, l'agence a élargi son
spectre et se présente comme une « société de gestion de la relation client »,
selon Laurent Duprez, directeur associé et directeur des ressources humaines.
Quatre pôles s'occupent des diverses branches du CRM : création et stratégie,
e-marketing (campagnes d'e-mails, newsletter), traitement des données et des
adresses, call center et édition laser. « Nous avons décidé de nous orienter
vers du marketing direct multicanal, car en continuant à ne faire que des
campagnes classiques, il n'y avait plus d'espace de développement », indique
Laurent Duprez. Depuis sa base de Roubaix, l'agence travaille avec la plupart
des comptes nordistes, et commence à attaquer les clients parisiens. « Tout
notre new business est originaire de Paris », précise Laurent Duprez.
Suffisamment importante en termes d'effectifs pour démarcher de gros
annonceurs, comme Conforama ou Orange, ETO développe des plates-formes
spécifiques pour ces grands comptes, avec des cellules "création" et
"commerciale" dédiées. Ambitieuse, ETO vise comme objectif les 7,2 ME en 2002,
après avoir enregistré une croissance de 60 % entre 2000 et 2001. L'agence mise
sur sa réactivité et son "supplément d'âme" pour conquérir les budgets. « Nous
n'avons plus le complexe de la petite agence roubaisienne. Nous sommes une
société de CRM nationale voire internationale, avec notre bureau de Bruxelles,
et depuis peu de Madrid », conclut Laurent Duprez.