Conseils et intégrateurs : La confusion des compléments
Depuis la définition des grandes options stratégiques jusqu'aux premiers accompagnements opérationnels, les centres d'appels requièrent l'intervention de deux catégories de spécialistes : les consultants et les intégrateurs. Mais la frontière entre ces deux types d'acteurs est loin d'être étanche. L'interpénétration des expertises fait même force de loi. A tel point que les entreprises se trouvent baladées parmi une offre devenue aussi complexe dans sa forme que dans son fond.
Les centres d'appels font aujourd'hui figure, dans bien des entreprises, de
petits bijoux technologiques. Le développement de l'offre en matière de
téléphonie, d'informatique, de logiciels et d'équipements affriande souvent
plus que de raison les responsables des centres de relation clients, qui
aspirent à faire de leur entité une vitrine en termes d'efficacité et de
qualité. Mais, si l'offre devient de plus en plus riche, les choix à opérer
sont de plus en plus complexes. Et nécessitent l'intervention de spécialistes,
tant en matière d'organisation stratégique que de paramétrages technologiques.
D'autant que les investissements en jeu sont lourds : plusieurs millions de
francs pour des structures correctement équipées. Sans compter
l'investissement-temps : la création ex nihilo d'un centre d'appels de 25
positions nécessite 7-8 mois de mise en oeuvre (hypothèse basse), dont 2-3 mois
de conseil pur. Pour un très gros call center, d'environ 300 postes de travail,
il faut compter 18 mois. Or, face aux besoins de plus en plus affirmés des
entreprises, les interlocuteurs potentiels sont nombreux et leurs attributions
pas toujours bien identifiées. Deux catégories d'acteurs émergent malgré tout.
Les consultants, censés accompagner les entreprises dans leurs choix les plus
stratégiques et dans la maîtrise d'ouvrage. Les intégrateurs, censés aider dans
le choix des technologies à agencer, dans la maîtrise d'oeuvre. Si la plupart
des cabinets de conseil proposent aujourd'hui dans leur palette d'offre une
prestation d'intégration, c'est-à-dire de paramétrage technologique, il n'est
pas un intégrateur qui ne se prévale d'apporter du conseil. Pas facile pour les
entreprises de s'y retrouver, d'autant qu'un certain nombre de facteurs vient
empeser la confusion générale de l'offre. Premier de ces facteurs : le rôle
étendu des fournisseurs qui vendent de plus en plus de service et s'orientent
(pour certains sensiblement) vers l'intégration. Deuxième facteur d'imbroglio :
les accords passés d'une part entre conseils et fournisseurs, d'autre part
entre intégrateurs et fournisseurs, et enfin, plus rarement, entre conseils et
intégrateurs. Troisième facteur de complication : les rapprochements
capitalistiques entre des acteurs positionnés sur l'ensemble des segments du
marché.
OBSERVER LE MARCHÉ ET IDENTIFIER LES OFFRES
Des acteurs positionnés originellement sur des terrains différents peuvent-ils
légitimement revendiquer des services croisés ? Où commence l'intégration chez
un conseil, où finit le conseil chez un intégrateur ? Y a-t-il concurrence ou
complémentarité ? Quel est le crédit que l'on peut apporter à une société aux
compétences apparemment très élargies ? Avant de choisir ou même de lancer un
appel d'offres, les entreprises doivent établir un certain nombre de
distinctions, observer le marché, identifier les offres. Et, pour ce faire,
décrypter voire dépasser le discours commercial des prestataires. En fait, dans
cette confusion générale de l'offre, ce n'est pas tant sur la notion de conseil
qu'il faut s'arrêter que sur celle d'intégration. Le conseil est un concept
large, dans le faisceau duquel les acceptions sont et resteront nombreuses et
souvent complémentaires. A chacun, légitimement, d'y proposer sa définition. En
matière d'intégration en revanche, le vocabulaire doit prendre tout son sens.
Pour mettre fin d'emblée à bien des confusions, il faudrait en effet établir un
distinguo entre deux termes : intégrateur et ensemblier. L'intégrateur assure
chez son client l'implémentation des solutions. L'ensemblier fait pour son
client un choix combinatoire de solutions. Or, la confusion ressentie par les
responsables de centres d'appels vient justement d'une assimilation entre les
deux termes. Assimilation largement entretenue par les ensembliers qui, tous,
préfèrent s'afficher comme intégrateurs. « Les clients doivent poser la
question aux prestataires : que faites-vous, jusqu'où allez-vous réellement, en
direct, dans la mise en place et la maintenance des solutions préconisées ? »,
insiste Philippe Baldin, directeur commercial de Datapoint, intégrateur
français. Loin d'être anecdotique, la distinction entre ensemblier et
intégrateur induit le niveau d'implication de la société dans la prestation
apportée. Que se passe-t-il en effet lorsque le déclaré intégrateur est en fait
ensemblier ? Il fera de la maîtrise d'oeuvre, choisira parmi les offres
technologiques du marché une ou plusieurs solutions, en fonction des besoins du
client, mais confiera au(x) fournisseur(s) retenu(s) le soin d'installer
lesdites solutions. Sans toujours informer le client de cette sous-traitance. «
Paradoxalement, les intégrateurs connaissent parfois mieux les solutions
offertes que les fournisseurs, notamment lorsque ceux-ci ne disposent en France
que de représentations commerciales. Ils ont alors besoin, pour intervenir en
leur nom, de faire appel à des techniciens dans d'autres pays d'Europe, ce qui
prend du temps », souligne Serge des Ligneris, directeur du développement et du
consulting CRM de Sema Group.
"INTERVENTIONNISME" DES FOURNISSEURS
Côté fournisseurs justement, il n'est pas un
fabricant de solutions pour centres d'appels qui ne revendique une offre de
conseil. Sans usurpation d'ailleurs, dès lors qu'il est admis que ce service se
limite à l'offre produit développée par ledit fournisseur. Il n'est pas
davantage de fournisseurs pour exclure a priori un service d'intégration. Une
intégration qui, par définition, regroupe un certain nombre de niveaux
d'intervention : le paramétrage téléphonie (PABX, ACD...), l'interfaçage entre
les différents composants (hard et software), l'interfaçage avec les systèmes
existants (systèmes comptables, de prise de commande, de logistique...). « Le
premier niveau peut être pris en charge par les fournisseurs, le deuxième
pourquoi pas aussi, le troisième en aucun cas », explique Marc Thiollier,
responsable des activités centres d'appels d'Andersen Consulting. Une opinion
que ne partage pas (et pour cause), Antoine Dumas, consultant CRM chez IBM
Consulting : « Nous sommes en mesure de couvrir l'ensemble de la chaîne, depuis
le conseil stratégique jusqu'à l'intégration. Notre atout par rapport à des
cabinets de conseil, c'est que nous sommes opérateurs pour notre propre compte,
ce qui est un gage de sécurité pour nos clients. » Quant aux objections
d'impartialité dans la prescription, Antoine Dumas les rejette : « Tout le
monde passe des accords de partenariat. Si l'offre avance masquée, elle n'est
plus crédible. Avec nous, le client sait à qui il s'adresse, il sait que nous
allons plutôt proposer des solutions IBM. Même si nous sommes capables de nous
extraire de nos propres produits. » Cette question des partenariats constitue
l'une des pierres d'achoppements dans la compréhension qu'ont les entreprises
de l'offre en matière de conseil. Dès lors qu'elles passent des accords avec
des fabricants, comment les sociétés censées accompagner les projets
peuvent-elles apporter un service réellement impartial ? En matière de
positionnement, on rencontre deux types d'arguments. Celui de sociétés à
l'image de la SSII Cap Gemini, qui rejettent tout a priori face à la palette
d'offres disponibles sur le marché. Celui de conseils, comme Andersen
Consulting ou PricewaterhouseCoopers, qui revendiquent un principe de
labellisation et de partenariats privilégiés avec un certain nombre de
fournisseurs. Ce deuxième cas de figure prévalant largement. Le groupe
Micropole, qui vient de signer un partenariat avec Siebel, signale dans sa
plaquette commerciale qu'il est le premier revendeur européen d'un logiciel de
Clarify. ELoyalty, filiale de TSC, a passé des accords avec Vantive, Siebel,
Clarify, Lucent, HP. Le cabinet conseil Télépartenaire s'est fixé comme
objectif de se rapprocher d'au moins trois sociétés majeures sur chaque segment
de marché. Un positionnement qui lui confère, selon son directeur général
Jean-Marc Provent, une prestation représentative de l'offre. Autre structure de
conseil, Arthur Andersen Management a passé des accords de partenariats avec
Nortel, Alcatel et Lucent pour la téléphonie, Siebel, Enéide et Clarify pour
les softs métiers, Oracle, SAP pour les bases de données, le réseau et
l'Intranet.
250 ACCORDS DE DISTRIBUTION POUR SIEBEL
Côté fournisseurs, Siebel, leader incontesté du marché des solutions de
customer relationship management (capitalisation boursière revendiquée de 96
milliards de francs) s'avère le roi du partenariat, avec 250 accords passés
dont un grand nombre auprès de sociétés de conseil. L'objectif de ce type de
fournisseur étant clairement d'être distribué le plus largement possible. Quant
aux visées des sociétés partenaires, elles consistent à accumuler les
expériences et donc à gagner des parts de marché sur le parc installé des
fournisseurs. Chez PricewaterhouseCoopers par exemple, on affiche une part de
marché Siebel de 17 %. De même, Datapoint se revendique comme l'intégrateur
leader de Lucent Technologies en Europe. « Les intégrateurs sans partenaires ne
font pas d'intégration, ils font au mieux de la maîtrise d'ouvrage », résume
Philippe Baldin. Très atypique, le cabinet conseil Digiway défend une ligne
radicalement indépendante, exonérée de tout engagement auprès de quelque
fournisseur que ce soit. « Pour apporter un bon service, il faut être
spécialiste, résume Denis Collart, associé chez PricewaterhouseCoopers et
responsable de l'activité CRM. Mais on ne peut pas être spécialiste en tout. Il
existe une soixantaine de progiciels de CRM dans le monde, dont environ
quarante applicables aux centres d'appels. Se spécialiser, c'est choisir et, en
l'occurrence, choisir les meilleurs. Tous les six mois, nous révisons la liste
de nos partenaires. » Les partenariats passés entre les conseils et les
fournisseurs de solutions technologiques peuvent s'avérer plus ou moins
formalisés. PricewaterhouseCoopers et l'éditeur de solutions de front office
Clarify ont ainsi passé fin 1999 un accord mondial visant à la mise en place
d'une solution globale dans la mise en place de solutions de fidélisation
basées sur le web call center. Dans le cadre de ce partenariat, le cabinet de
consultants a mis sur pied une équipe spécialement dédiée à l'offre de
l'éditeur. Les deux associés ont par ailleurs investi dans un centre de
développement commun travaillant à la planification et aux tests sur les
produits.
L'ARCHITECTURE TECHNIQUE AU COEUR DES QUESTIONS
Pour les consultants et les intégrateurs, donc,
l'existence de liens privilégiés avec des fournisseurs ne fait que témoigner de
leur souci de mieux maîtriser l'offre technique. « La question centrale qui se
pose à une entreprise désireuse de mettre en place un centre d'appels est celle
de l'architecture technique. Une question qui induit celle de la performance
dans les temps de réponse et celle de la stabilité et de la pérennité du call
center. Cette question centrale relève-t-elle du conseil ou de l'intégration ?
Indubitablement du conseil, qui est le seul à connaître l'offre et à pouvoir la
mettre en rapport avec l'existant de l'entreprise », avance Marc Thiollier,
responsable de l'activité centres d'appels d'Andersen Consulting. Selon
Philippe Cavat, vice-président d'ELoyalty, l'opposition culturelle conseils/
intégrateurs est spécifiquement française. Traditionnellement, en France, se
côtoient en effet trois types de métiers dans l'accompagnement des entreprises
en matière de mise en oeuvre de centres d'appels. Premièrement, les conseils en
stratégie, qui se positionnent très en amont et font vite preuve de limites dès
que l'on aborde les questions techniques. Deuxièmement, les conseils plus
orientés vers le management et l'organisation, qui prennent le relais ; jusqu'à
ce que le niveau de compétence technologique requis devienne trop flagrant.
Troisièmement, les SSII, qui bouclent le processus dans sa dimension la plus
matérielle. « Force est de constater que ces trois métiers, qui n'existent plus
déjà en tant que tels aux Etats-Unis, disparaissent en France. Nous allons
assister à l'émergence de ce que les Américains appellent des "solutions
providers", c'est-à-dire des sociétés aptes à fournir une solution globale.
C'est le positionnement d'ELoyalty », explique Philippe Cavat. « Si l'on fait
intervenir les techniciens dès l'amont du projet, on se plante dans 90 % des
cas. Il y a un fossé culturel entre les gens du conseil et les gens de
l'intégration. D'où l'avantage, non seulement de réunir les deux offres au sein
d'une même société, mais surtout, ce qui est plus rare, de disposer d'un homme
ou d'une équipe en interne capable de faire le lien », explique Serge des
Ligneris, directeur du développement et du consulting CRM de Sema Group.
Avantage d'une formule globale : elle assure aux entreprises clientes un gain
de temps non négligeable. Grosso modo, on considère, dans une hypothèse de
succession des trois métiers considérés, que la création d'un centre d'appels
important induit six mois de conseil en stratégie, six autres mois de conseil
en organisation et six encore de mise en oeuvre technique. « Avec un acteur
global en matière de service, les questions techniques et d'organisation seront
considérées dès l'amont. Ce qui permettra d'étaler l'ensemble de la prestation
sur huit mois : deux pour une première phase de définition, deux autres pour ce
qu'on appelle le "design", autrement dit l'organisation et quatre pour
l'implémentation », précise Philippe Cavat. ELoyalty, qui s'affiche comme le
seul conseil global et exclusivement CRM, compte parmi ses clients en France
une dizaine de grandes entreprises (Club Méditerranée, Cegos, Yves Rocher) ou
de start-up (Travelprice.com). « Nous nous inscrivons dans une stratégie de
clients et pas dans une stratégie d'offres. Notre objectif est de travailler
avec une vingtaine de grands comptes au maximum et de leur proposer de faire
appel à nous sur l'ensemble de la chaîne de service », souligne Philippe Cavat.
Par ailleurs, proposer une offre complète permet de dédramatiser la relation
conseil/intégration et, partant, de lisser un certain nombre de différences
dans l'appréciation des deux métiers. Et notamment la tarification des
prestations.
LES CONSULTANTS DEUX FOIS MIEUX PAYÉS QUE LES INTÉGRATEURS
« Une entreprise n'a aucune raison d'aller chercher
un service d'intégration technologique chez un conseil qui le lui facturera 12
000 francs la journée/consultant alors qu'il la paierait deux fois moins cher
chez un intégrateur. Sur la prestation purement technologique, je ne me battrai
pas avec des intégrateurs », remarque Jean-Yves Hepp, manager services
consommateurs chez Arthur Andersen Management. Et pourtant, nombreuses sont les
sociétés de conseil à proposer aujourd'hui une offre d'intégration, du moins
baptisée comme telle. D'abord parce que les entreprises aiment avoir affaire à
un interlocuteur unique, donc généraliste. Ensuite parce que l'intégration est
une véritable manne pour les cabinets de conseil. En France, selon Cesmo, le
chiffre d'affaires de l'intégration est presque quatre fois plus important que
celui du conseil (voir tableau). Une estimation qui "colle" parfaitement au
ratio théorique conseil/intégration en matière de temps passé sur un même
projet : on s'accorde en effet à considérer qu'une heure d'un consultant génère
quatre heures de travail en matière de paramétrage technologique. On ne voit
donc pas pourquoi les cabinets de conseil se passeraient de l'intégration, a
fortiori s'ils lui assignent le même critère central de facturation, à savoir
le temps passé. Ce qui est majoritairement le cas. « Nous sommes positionnés
sur des métiers et des architectures techniques complexes. Il est normal de
tarifer l'intégration à l'instar du conseil », précise Marc Thiollier (Andersen
Consulting). Selon Gartner Group, l'absence de solutions complètes émanant de
fournisseurs uniques coûte cher aux entreprises puisque les intégrateurs en
profitent pour leur faire payer l'installation deux à trois fois le prix des
applications elles-mêmes. « Un consultant senior peut aller jusqu'à 18 000
francs par jour, la moyenne se situant autour des 12 000 francs. Les
intégrateurs prennent eux 5 000 - 6 000 francs pour les meilleurs. Cette
différence d'appréciation est une erreur. Les intégrateurs devraient être payés
au moins autant que les consultants », souligne Serge des Ligneris. Et Fabrice
Moreau, directeur associé de Digiway, de corroborer : « Choisir un intégrateur,
c'est véritablement s'engager. L'implication est sans doute moins grande pour
un conseil. Si celui-ci disparaît, l'entreprise peut toujours s'orienter vers
un concurrent. Lorsque c'est l'intégrateur qui est rayé de la carte, il est
beaucoup plus difficile de le remplacer. »
METTRE EN GARDE CONTRE DES PRATIQUES CONNUES
Ce qui n'enlève rien à l'importance de la
prestation apportée par les sociétés de conseil. Une prestation qui, en France,
est bien souvent sollicitée dans le cadre de stratégies d'externalisation des
centres d'appels. Cette problématique d'externalisation génère une multitude de
questions : où outsourcer, selon quels critères, comment monter le cahier des
charges, quelles notions de pénalité peut-on introduire, quelles limites
doit-on imposer à la négociation ? « Dans le cas d'une stratégie
d'externalisation, il faut surtout mettre en garde l'entreprise sur les
pratiques en cours dans la profession. Pratiques que nous finissons par
connaître parfaitement, et de faire en sorte qu'elle se prémunisse contre
certaines d'entre elles dans le cadre même de la négociation », avance
Jean-Yves Hepp. Exemple souvent avancé par les sociétés de conseil : faire en
sorte que les outsourcers ne puissent communiquer à l'extérieur les données
stratégiques dont leur client reste propriétaire. Une précaution d'autant plus
indispensable qu'elle est juridiquement délicate et difficilement imparable.
L'intervention d'une société de conseil, ne serait-ce que dans l'identification
du détail de la facturation proposée par l'outsourcer, peut vite s'avérer
pertinente. Un conseil pourra apporter la juste mesure des différences
tarifaires constatées sur le marché (l'heure d'outsourcing est en effet
facturée de 150 à 450 francs selon les prestataires). Il pourra également
identifier de manière précise ce qui se cache derrière un chiffre. Un exemple.
On estime qu'un téléconseiller travaille en moyenne 1 600 heures par an. Dans
ce cas de figure, une différence de tarification de 20 francs par heure génère
une disparité annuelle de 30 000 francs par téléconseiller. Ce qui, pour un
centre d'appels de 25 téléconseillers (taille moyenne en France) revient à un
écart de 750 000 francs. Et 750 000 francs, c'est l'équivalent en
investissement de trois téléconseillers supplémentaires. Soit, toujours sur un
call center de 25 personnes, la somme nécessaire à un renforcement de plus de
15 % des effectifs. « La qualité des outsourcers en France est mauvaise. Nous
le savons tous. Les sociétés de conseil ne vont-elles pas, de ce fait, finir
par intégrer une prestation d'outsourcing, afin de pallier ce piètre existant ?
Ça n'est pas à exclure. », explique le responsable du département CRM au sein
d'un important cabinet de conseil. Ce qui pose immédiatement la question de
l'indépendance des cabinets de consulting.
SANCTIONS FINANCIÈRES : JUSQU'OÙ ?
Une question qui se pose d'ailleurs d'ores et déjà.
Imaginons qu'un outsourcer en appelle aux services d'une société de consulting.
Comment garantir ensuite l'impartialité de cette dernière dans le cas d'une
stratégie d'externalisation de centre d'appels ? Certes, les consultants
pourront toujours argumenter qu'un partenariat avec une société de
télémarketing équivaut dans le principe à une labellisation. Principe qui
prévaut déjà largement avec les fournisseurs technologiques. Pour se prévaloir
d'un certain nombre de pratiques courues dans la profession, les conseils
recommandent aux entreprises de mentionner dans leur cahier des charges des
barèmes de pénalité. Il s'agit premièrement de fixer les règles de sanction
financière pour le prestataire au cas où ce que l'entreprise est en droit
d'attendre ne serait pas respecté, deuxièmement de faire accepter ces règles
par le partenaire. Une règle qui, si elle vaut pour l'ensemble des postes
d'intervention d'un conseil ou d'un intégrateur, est rarement appliquée. « Tous
les prestataires ne sont pas en mesure d'assumer une clause de pénalité qui
peut, pour de très gros projets, porter sur une amende de 100 à 200 000 francs
par jour », signale Philippe Baldin, directeur commercial de Datapoint. Si les
prestataires peuvent être pénalisés, pourquoi ne seraient-ils pas, à l'inverse,
associés aux résultats positifs enregistrés par leurs clients ? « Encore
faudrait-il alors pouvoir identifier le surplus de chiffre d'affaires
directement imputable à l'intervention du prestataire », souligne Marc
Thiollier (Andersen Consulting). Une option délicate dans la mesure où elle
porte en elle un fort potentiel de disputes sur les indicateurs à
comptabiliser. Il n'empêche, le conseil ne se limite pas à une réflexion
stratégique en amont. Pour être crédible, et surtout reconnu des entreprises,
il doit intégrer tout ou partie de la dimension de suivi. Chez Arthur Andersen
Management par exemple, dans un contexte d'accompagnement d'une politique
d'outsourcing, des consultants sont dépêchés durant trois ou quatre mois en
relais sur le centre externalisé, afin de s'assurer du bon respect du cahier
des charges dans ses différents aspects. « Nous pouvons également nous aider
d'une société tierce pour la réalisation d'appels mystère », affirme Jean-Yves
Hepp. Conseil en amont, soutien et accompagnement en aval : l'offre de service
des consultants et des intégrateurs va dans le sens d'une prestation globale,
sans doute de plus en plus packagée. Reste que, pour convaincre les entreprises
que l'on cherche à leur simplifier la tâche, encore faudrait-il commencer par
clarifier l'offre.
Le marché des centres d'appels
Selon une étude menée par le cabinet d'études britannique Datamonitor, la France comptait, en 1998, 1 840 centres d'appels et quelque 75 000 positions de travail. En 2000, le développement du marché devrait porter ces chiffres à 2 420 entités et 105 000 positions, ce qui traduit une croissance moyenne de l'activité de 20 %. Datamonitor place le marché français, à l'horizon 2002, en troisième position avec 2 800 postes de travail derrière la Grande-Bretagne (5 370 postes) et l'Allemagne (3 300 postes), mais devant les Pays-Bas (1 100 postes). Premier secteur d'activité pénétré par les centres d'appels : les services financiers, qui représentaient en 1998 20 % du marché (en volume), devant l'activité cumulée de l'industrie, de la grande distribution et des produits de grande consommation (19 %), les télécoms (18 %) et le tourisme (13 %).
American Express Bank : intégration autour d'une première technologique
American Express Bank vient de lancer, dans le cadre de son service Bourse, une carte d'identification des appelants. Objectif : pallier la perte de temps et la mauvaise qualité de service qu'induisent les outils "classiques" d'identification. A l'image du CTI (connexion téléphonie informatique) et de la transmission orale au téléconseiller d'un code personnel. La première solution n'est probante que dans le cas où le client appelle depuis le poste téléphonique référencé dans la base de données clients de l'entreprise (c'est-à-dire, généralement, le poste de son domicile privé). Résultat : 70 % de déchets dans la reconnaissance d'appelants qui téléphonent la plupart du temps de leur bureau. La seconde solution induit une perte de temps de 20 à 30 secondes pour l'énoncé oral du code confidentiel. D'où l'option d'American Express Bank : une carte remise à la clientèle et qui, par simple contact avec le combiné téléphonique, permettra au téléconseiller d'identifier immédiatement (en un peu plus d'une seconde) l'appelant. Cette carte, qui devait être diffusée, dans un premier temps, à 5 000 exemplaires, a nécessité le recours à une intégration pointue dans la mesure où il s'agit, selon le responsable de l'établissement, d'une première en matière de téléphonie. « Intégrer à un centre d'appels une technologie novatrice implique le recours à des compétences technologiques pointues. Nous avons lancé un petit appel d'offre et retenu la Compagnie des Signaux pour l'intégration du logiciel d'identification (Audio Smart Card). La mission de CS aura nécessité un travail de deux mois », explique Philippe Jeangeorges, directeur des services financiers aux particuliers d'American Express Bank.
Forte progression du conseil
Le marché français des centres d'appels se chiffrait en 1998, selon le cabinet Cesmo, à 3,7 milliards de francs, affichant une croissance de 25 %. L'activité de conseil est encore relativement modeste en France avec un chiffre d'affaires attribué de 130 millions de francs (soit 3,5 % du marché). Mais, de manière générale, la France est encore peu friande de conseil puisqu'elle ne pèserait que 4 % du marché mondial. En matière de centres d'appels, on enregistre cependant une très forte progression : + 87 % par rapport à 1997. Une croissance qui, selon Cesmo, devrait se confirmer dans les années à venir. En effet, parallèlement aux sociétés spécialisées dans le conseil stratégique aux entreprises et qui ont bien évidemment intégré la dimension centre d'appels, une grande majorité d'acteurs concernés par ce marché (fournisseurs, intégrateurs) développe et va développer une offre de conseil. Un call center regroupe des briques technologiques disparates, que l'intégrateur doit rendre compatibles.Source : Orda-m
Intégrateurs : les perspectives de développement
Selon le cabinet d'études, Cesmo, il faut prévoir parmi les facteurs d'évolution et de restructuration du marché le rôle grandissant des intégrateurs, directement imputable à la complexification de l'offre technologique, même si, toujours selon le cabinet d'études, les solutions prépackagées devraient être de plus en plus nombreuses. En 1998, l'intégration technologique en France représentait déjà 13 % du marché des centres d'appels avec un chiffre d'affaires de 480 millions de francs. Par ailleurs, d'après une projection de Gartner Group, en 2004, 70 % des sociétés qui développeront une activité de customer relationship management (CRM) externaliseront la majorité des fonctions à mettre en oeuvre chez un intégrateur. Quand on sait que les centres d'appels représentent 40 % du marché du CRM, on imagine bien toute l'importance que les sociétés d'intégration devraient être amenées à revendiquer. Gartner Group qui s'est en outre attaché à imaginer le profil du futur leader sur ce marché des intégrateurs : il devrait réunir plus de 600 consultants dédiés au CRM, afficher au moins 20 références d'architectures technologiques, développer une grande maîtrise d'oeuvre dans les ventes, le marketing et les services. Selon Gartner Group, l'intégrateur destiné à détenir le leadership se trouve parmi une liste regroupant les Big Five du consulting, ainsi que des SSII comme IBM et Cap Gemini.
Crédit Agricole des Côtes d'Armor : faire converger l'autonomie régionale et les préconisations nationales
13 millions de francs : c'est la coquette somme qui aura été investie fin 1998 par le Crédit Agricole Mutuel des Côtes d'Armor pour la mise en oeuvre d'un système composite de distribution de ses produits. Système englobant un certain nombre de services regroupés sous le sigle BAM (Banque à accès multiples). Le centre d'appels de la caisse régionale, qui emploie aujourd'hui quarante téléconseillers, repose sur une architecture technique associant trois fournisseurs majeurs : Genesys pour l'ACD (point des appels), le CTI (Connexion téléphonie informatique) et le GDA (générateur d'appels) ; Alcatel pour le PABX (routage des appels) ; Bull pour le SVI (serveur vocal interactif). « Nous avons fait appel à Bull pour l'assemblage des composantes technologiques, explique Benoît Lucas, responsable BAM au Crédit Agricole Mutuel des Côtes d'Armor. Le cahier des charges de l'appel d'offres précisait que nous souhaitions une intégration qui respecte à la fois les choix autonomes de la caisse régionale et les préconisations nationales du groupe en matière d'homogénéité des fonctionnalités. Notre condition étant de n'avoir qu'un seul interlocuteur à qui confier la maîtrise d'ouvrage. Une banque ne peut avoir, en interne, la maîtrise de ce type de paramétrage technique. » Cette mission d'intégration aura représenté pour Bull une année de travail, l'objectif de l'établissement bancaire étant pluridépartemental, avec une perspective d'ouverture de plusieurs centres d'appels dans l'Ouest de la France. « Le rôle de Bull fut un rôle d'ensemblier, d'assemblage de solution et pas de conseil stratégique en amont. La société n'avait en effet pas une grande expertise sur ce type d'approche, ni la vision stratégique nécessaire. Je crois même que cela a été leur premier véritable chantier. Ensuite, ils ont pu rebondir sur cette expérience pour développer ce type de services auprès d'autres clients », souligne Benoît Lucas.