Adresses e-mails : Prudence, à défaut de Jurisprudence
D'ici fin 2001, les entreprises devraient au moins compter avec cinq bases, pour des volumes allant de 100 000 à 150 000 adresses. Mais, si l'offre se constitue, nul ne connaît encore son degré de viabilité.
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E-mailing Selon une étude Forrester Research, dès 2001, 72 % des
entreprises utiliseront les technologies e-mail pour leur service client. Et
l'on compterait, d'après Messaging Online, 75 millions de boîtes aux lettres
électroniques professionnelles en Europe. Le marché de l'e-mailing existe bel
et bien. Quant à celui de l'e-mail... « J'ai déjà été sollicité pour des
volumes de 110 000 adresses. Malheureusement, il n'existe pas à ma connaissance
d'offre de cette taille sur le marché », souligne Dominique Golia, directeur du
département fichiers de Cifea DMK. L'un des facteurs freinants du développement
du marché de l'adresse e-mail est sans doute son manque de visibilité. Chacun
sait que la constitution de bases représente de réels investissements. « Pour
capter de l'adresse e-mail, il faut un pôle d'attraction, de création de
trafic, qui soit si possible attrayant, autrement dit un bon site internet.
C'est un investissement lourd », note Patrick Visier, président de DPV.
L'e-mailing n'est en effet intéressant que pour les entreprises disposant
d'ores et déjà d'un site. Ce qui ne suffit pas nécessairement. L'idéal étant en
effet, par un premier message bref, de susciter le trafic vers une page URL qui
soit spécifiquement créée pour accueillir les internautes contactés. Il sera
ainsi possible de connaître le taux de clics directement imputables à la vague
d'e-mailing, mais aussi de proposer aux visiteurs une communication appropriée,
donc plus efficace et, partant, plus rentable.
VERS UNE CHARTE DÉONTOLOGIQUE DE L'E-MAILING ?
Mais, en matière de fichiers
électroniques, nul n'est encore en mesure de connaître ne serait-ce que la
longévité d'une adresse. « Elle pourrait bien être beaucoup plus brève que
celle d'une adresse postale, remarque Patrick Visier. Pour la simple raison que
la demande est surdimensionnée par rapport à l'offre, et que les fichiers
existants ont des chances d'être saturés très vite. Il va nous falloir, nous
autres professionnels du fichier, être des "écolos de l'adresse" ; ce que nous
n'avons jusqu'ici jamais été. Sinon, nous allons très vite lapider nos sources
de revenus. » Selon le SNCD, qui réfléchit à une charte déontologique de
l'e-mailing, une adresse e-mail ne devrait pas être utilisée plus de huit fois
par mois, tous émetteurs confondus. Adresse opt-in s'entend. Voulant montrer
leur souci de ne pas alimenter toute course à la surexploitation des données,
les fournisseurs de fichiers d'adresses e-mail déclarent imposer à leurs
clients un imprimatur avant l'envoi de tout message. « En ce qui nous concerne,
on ne nous a jamais rien demandé de tel », répond Marjorie Guivarch,
responsable marketing et Internet de Dell France, qui a testé les offres
principales du marché. Parmi ces offres, celle de Reed Exposition France,
ex-Miller Freeman (racheté en juillet dernier par le groupe Reed Elsevier pour
3,6 MdF). La société affiche des ambitions très claires sur le marché de
l'adresse e-mail B to B. Il y a quelques semaines, l'organisateur de salons
mettait en avant son fichier de 130 000 adresses électroniques qualifiées
(adresse, nom, prénom, civilité, fonction, taille de l'entreprise...). « Nous
avons réalisé que cette base comportait de 30 à 35 % d'adresses non abouties.
Or, même si nous facturons toutes nos adresses à l'abouti, cet état de fait
était problématique en termes d'image », explique Emmanuel Armand, responsable
du département marketing direct de Reed Exposition France. L'éditeur a alors
lancé une action exhaustive auprès de son fichier. 90 000 des 130 000 adresses
étaient valides, sur lesquelles 5 000 ont été retirées du fichier à la demande
de leurs propriétaires. Aujourd'hui, le fichier de Reed Exposition France
compte donc 85 000 adresses e-mail, dont 56 000 appartenant à des Français.
L'OBLIGATION DU VOLUME
Si 85 000 adresses ont le mérite
de constituer ce qui est sans doute à ce jour l'une des plus importantes bases
de ce type en France (avec celles d'Eurobase et d'Impact Net), elles n'en
demeurent pas moins une base de prospection passablement limitée. Si le fichier
comptait, par exemple, en août dernier, 6 000 directeurs commerciaux, il ne
recensait que 7 ingénieurs informaticiens ou 37 directeurs des ressources
humaines. Trop peu pour construire une campagne monofonction. L'objectif d'un
fournisseur est bien évidemment ici de grossir son fichier. Et celui de Reed
Exposition France, en l'occurrence, est de proposer 150 000 adresses à la fin
de l'année, avec une agrégation de 150 000 à 200 000 nouvelles adresses par an.
« Nous réfléchissons aux méthodes de recueil que nous pourrions conjuguer pour
étayer le fichier. Avec 45 salons et donc 45 sites différents, nous disposons
d'une importante base de recrutement, souligne Emmanuel Armand. Je souhaite
ainsi mettre en place rapidement un système de questionnaire d'identification
en ligne. » Reed Exposition France devrait, par ailleurs, amender la qualité de
la saisie des adresses e-mail, qui demeure l'un des facteurs d'altération des
fichiers. Avant fin 2000, Dun & Bradstreet serait en mesure de lancer son offre
en matière de fichier d'e-mails. 60 000 adresses au départ, 150 000 à échéance
fin 2001 (avec un objectif intermédiaire de 110 000 en mars 2001). « Nous
visons les 200 000 adresses en rythme de croisière », précise Jean-Baptiste
Sassolas, directeur commercial business marketing services. Pour constituer sa
base, Dun & Bradstreet va s'associer avec l'un des trois grands fournisseurs
existants, Reed Exposition France, Eurobase, Impact Net. « Ce partenaire
assurera également le conseil et le routage. Quant aux deux autres, ils
commercialiseront nos adresses », poursuit Jean-Baptiste Sassolas. Qui précise
que chaque adresse e-mail sera rattachée à la base générale de Dun &
Bradstreet, et à aucune autre. Ce, afin de proposer un service homogène et
maîtrisé en matière de segmentation et de ciblage. De son côté, Kompass
travaille également à la constitution d'un fichier d'e-mails. Pour ce faire, la
filiale à 100 % des Pages Jaunes (ex-ODA) mise sur son site Internet
kompass.fr. « Contrairement aux sites des autres fournisseurs d'adresses B to
B, kompass.fr est un portail spécialement conçu pour les entreprises avec une
dimension de service qui, dans l'architecture même, constitue un atout pour la
constitution d'un fichier d'adresses e-mails », souligne Marc Thévenin,
responsable des produits off line de Kompass France. Le site devrait très
bientôt proposer au sein de ses différentes "chaînes thématiques" des
questionnaires d'identification que les visiteurs devront remplir pour accéder
de manière privilégiée à certains services.
KOMPASS TESTE L'EXTRAPOLATION
Autre technique étudiée pour la constitution d'un
fichier d'adresses électroniques : l'extrapolation. Kompass part ici du constat
que, dans la majorité des cas, les adresses e-mails au sein d'une même
entreprise sont construites selon la même norme (initiales, prénoms,
patronymes, ponctuation...). En croisant une seule adresse électronique
recueillie sur son site avec les noms des responsables de la même entreprise
recensés dans sa base, Kompass pense pouvoir réécrire les adresses
électroniques correspondantes. Une démarche qui pourrait être systématiquement
généralisée par un croisement avec les 800 000 contacts que Kompass recense
dans sa base centrale de 500 000 entreprises clientes. Reste que les données
obtenues devront alors faire l'objet de vérification. Mais, surtout, Kompass
devra mettre en oeuvre un moyen d'obtenir desdits contacts leur accord à la
constitution d'un fichier. C'est précisément ce à quoi la filiale des Pages
Jaunes travaille, en partenariat avec X-Pedite. Car la technique de
l'extrapolation enfreint d'emblée les règles élémentaires de l'opt-in. Or,
l'opt-in (voir encadré) constitue une condition sine qua non de l'efficience
des fichiers d'e-mails. De l'avis de tous, les taux moyens de remontée sont
nettement plus élevés avec l'e-mailing qu'avec le message postal. « Il n'est
pas rare de voir des taux de création de trafic sur sites de l'ordre de 15 à 20
%. Quant aux taux de transformation, il est encore trop tôt pour établir des
données fiables », avance Emmanuel Armand, qui précise également que la
proportion de "râleurs" n'est que de 1 à 2 %. La performance de l'e-mailing est
bien sûr aussi liée au niveau de la personnalisation et, partant, au degré de
qualification des adresses. Or, Selon Peppers and Rogers Group, seulement 20 %
des campagnes e-mail personnalisent autre chose que le nom du destinataire. «
Nous allons personnaliser davantage nos e-mails. Mais, pour ce faire, il nous
faut attendre de multiplier les occasions de création de trafic sur notre site
», avance Marjorie Guivarch. Technique choisie par le fournisseur de matériel
informatique : l'"e-mail désigné", c'est-à-dire la facture la plus proche d'un
mailing papier. Le message est envoyé sous format HTML, proposant deux offres
spécifiques, chacune présentée avec un visuel qui fait aussi fonction de lien
avec la boutique du site de Dell.
L'E-MAIL PERÇU COMME VECTEUR D'ÉCONOMIES
« L'adresse e-mail a ceci d'intéressant qu'elle suit
son propriétaire dans ses déplacements sur son micro-ordinateur portable,
remarque Xavier Creuze, directeur de DBI France. Il est également possible,
depuis un ordinateur tiers, d'interroger sa boîte à mails. » Peut-être, demain,
le Wap se fera-t-il également le relais de l'e-mailing. On n'en est pas là...
Et pour l'heure, l'e-mail est avant tout perçu au sein des entreprises comme un
vecteur d'économie. Un fournisseur relate à ce propos l'étonnement de certains
de ses clients, et pas des moindres, lorsqu'on leur explique qu'une adresse
électronique est payante, et à un prix assez élevé. En fait, souplesse et
réactivité obligent, l'e-mailing est considéré comme une démarche anodine, peu
impliquante pour l'émetteur et pour le destinataire. Or, l'e-mailing est tout
sauf un acte banal. Notamment parce que, dans ce cas de figure, le destinataire
est aussi le payeur : la consultation de la boîte à mails, c'est son entreprise
qui la finance à l'opérateur télécom. « L'adresse e-mail représente encore pour
nous une part mineure en termes de chiffre d'affaires, mais ce fichier devrait
rapidement supplanter le total de l'activité fax et téléphone, et arriver ainsi
en deuxième position derrière l'adresse postale, remarque Emmanuel Armand.
Chaque jour, je reçois de deux à trois demandes de la part d'entreprises,
portant parfois sur des volumes importants. Mais le marché en est encore en
phase d'observation. Une bonne partie des fichiers commandés ne sont, dans les
faits, pas utilisés. » Chez Reed Exposition France, le prix unitaire de
l'adresse e-mail à la location est de 1,50 franc. Même tarif vraisemblablement
chez Dun & Bradstreet, qui fera payer autour de 30 ou 40 centimes (en tout cas
moins de 50), le conseil et le routage. Reed Exposition France a mis en oeuvre
des forfaits multi-usage : 3 francs l'adresse pour trois utilisations, 4,50
francs pour six utilisations. Les adresses e-mail de Reed Exposition France
étant, selon le fournisseur, renseignées à 100 % en données postales et à 80 %
en numéros de téléphone et de fax, il est possible de louer les données
postales en complément de l'adresse e-mail. Données qui devront se payer plein
tarif, c'est-à-dire 1,20 franc. Ce, dans le cadre de campagnes mariant le
mailing papier et l'e-mailing. Ou encore pour les entreprises qui souhaitent
d'abord contacter leurs cibles par message postal, tout en leur faisant
comprendre qu'elles les considèrent aussi comme des internautes, qu'elles
connaissent leurs besoins et qu'elles se proposent de les contacter
prochainement via leur mail. Car les fichiers d'adresses électroniques,
lorsqu'ils constitueront en France une offre digne de ce nom, et dans
l'hypothèse où ils débouchent sur un marché viable, loin de constituer une
menace pour les adresses postales et les données télécom classiques, devraient
au contraire être le ferment d'une redynamisation du marketing direct.
Opt-in/opt-out, par-delà les options lexicales
« Nous n'avons pas trouvé un seul fournisseur d'adresses e-mail dont l'offre tienne la route. C'est pourquoi nous ne préconisons, à cette heure, ni la location ni l'achat de fichiers », lance Amy Porter, directrice marketing de MessageMedia. En l'occurrence, le problème ici soulevé est celui du "marketing de permission", autrement dit du fameux opt-in. Le SNCD (Syndicat National de la Communication Directe), qui réfléchit à une charte déontologique en matière d'e-mailing, fait à cet égard un distinguo entre trois types de données : l'opt-out, l'opt-in et l'opt-out dit "à collecte légale". La différence entre ces deux derniers tenant dans le niveau d'implication de l'internaute dans son accord pour la diffusion de l'adresse. En fait, selon le SNCD, l'opt-in correspond à une formulation du type : "J'accepte que mon adresse soit diffusée". L'opt-out "à collecte légale" à une formulation tacite qui serait plus proche du "Je ne suis pas opposé à ce que mon adresse soit diffusée". Mais, selon la directrice marketing Europe de MessageMedia, le véritable opt-in, celui par lequel on accepte formellement de communiquer son adresse e-mail, n'est respecté que par des entreprises qui constituent leur propre fichier client et/ou prospects, sans intention aucune de le commercialiser un jour. « Il faut tuer le Spam avant même que cette pratique n'apparaisse », insiste Amy Porter, pour qui les adresses recueillies sur des salons professionnels ou sur de nombreux sites internet relèvent au mieux dans les faits de ce que le SNCD qualifie d'"opt-out légal". Le véritable opt-in induit de fait la formulation clairement et positivement exprimée par la personne concernée qu'elle accepte (sous certaines conditions, elles aussi exprimées) que son adresse e-mail soit utilisée à des fins commerciales. Et il est vrai qu'en la matière, certaines méthodes de collecte semblent plus sûres que d'autres : création de trafic sur des sites internet ou mailing courrier incitant la cible à décliner son adresse électronique (le téléphone étant encore l'outil le plus aléatoire, notamment pour la qualité de la saisie). United Airlines demande ainsi à certains de ses clients, via un mailing papier, de lui communiquer leur adresse, en échange de quoi ils se voient offrir des miles. Une démarche d'autant plus intéressante que, si l'on en croit IMT Stratégies, les programmes d'e-mail basés sur la permission ont un taux de retour cinq fois plus élevé que celui du marketing direct postal.
Dell : premiers essais concluants
Dell France a initié, il y a quelques mois, une phase de tests des vertus de l'e-mailing. Avec, pour l'heure, une perception plutôt positive. « L'avantage de l'e-mailing sur le mailing, c'est qu'il génère à la fois de l'achat immédiat et de l'achat en deux temps. Je pense qu'il pourrait s'agir d'une technique très probante en termes de retour sur investissement », remarque Marjorie Guivarch, responsable marketing et Internet de Dell France. Si Dell se donne jusqu'à la fin de l'année 2000 pour arrêter un avis quant au bien fondé d'une systématisation de l'e-mailing dans ses actions de prospection et de fidélisation, il semblerait que les premières vagues soient concluantes : en mai et juin dernier, la société a lancé deux campagnes à partir d'extractions du fichier Eurobase. Les retours et les transformations ont été "sensiblement" plus élevés qu'avec un mailing postal. « Il faut rester prudent. Nous voulons surtout tester la manière dont les internautes réagissent. Et puisque nous visons ici une cible que nous travaillons également via mailings papier, il nous faut être très circonspects afin de limiter les risques de saturation. Mais les taux de rejet sont très faibles, de l'ordre de 2 à 3 % », signale Marjorie Guivarch. La prudence s'impose également du fait de la limitation de l'offre en matière de fichiers. Car, sous le poids d'une demande quelque peu inflationniste, les sources existantes pourraient très vite être épuisées. Après avoir essayé le fichier Eurobase, Dell France se lançait, en août, dans un test du fichier Miller Freeman. Avec, là encore, des résultats concluants. Et, là également, des petits volumes de prospection : pas plus de 10 000 adresses à chaque vague. De toutes les manières, l'offre ne permet pas de procéder à des envois massifs. Et, remarque la responsable marketing et Internet de Dell, « c'est bien là le problème. Quand la source la plus importante disponible sur le marché ne propose que 150 000 adresses, les perspectives s'en trouvent limitées. »