« Être une banque complémentaire et non une banque de substitution »
Le lancement d'une banque, ce n'est pas si courant, a fortiori d'une banque directe. C'est pourtant ce que tente le groupe néerlandais ING avec ING Direct, qui propose, pour l'instant, un produit d'épargne, l'Epargne Orange. Récit de cette expérience avec André Coisne, son directeur général, qui a orchestré le démarrage de cette nouvelle activité en 7 mois.
La banque ING Direct est lancée par le groupe ING. Pouvez-vous nous présenter ce groupe ?
Il s'agit du premier groupe financier
hollandais et l'un des plus gros en Europe. ING est né, en 1991, de la fusion
d'une compagnie d'assurance hollandaise Nationale Nederlanden et du groupe NMB
Postbank, une des plus importantes banques hollandaises. Depuis, le groupe a
poursuivi sa croissance par des alliances et par des acquisitions d'organismes
bancaires et financiers, comme l'Anglais Barings en 1996, le Belge BBL en 1997
et l'Allemand BHF en 1998. Ces dernières années, ING s'est développé autour de
deux axes : la banque en direct et le courtage en ligne. L'activité de banque
directe, représentée par ING Direct, est présente dans plusieurs pays.
Notamment au Canada depuis 1997, où nous avons 250 000 clients, en Espagne,
depuis mai 1999, où nous avons conquis 30 000 clients, en Australie avec 20 000
clients. Par ailleurs, nous avons une participation à 49 % dans une banque
directe en Allemagne, la Banque Diba, qui possède 530 000 clients. ING Direct a
l'intention de s'implanter aux Etats-Unis cet été, et en Italie pour la fin de
l'année.
Pour quelles raisons investissez-vous le marché français ?
Pour la simple et bonne raison qu'ING n'y est pas présent avec
une banque à réseau. Or la France est au coeur de l'Europe et ING veut être
présent dans tous les pays européens. Nous estimons que ce marché de la banque
en direct va mûrir vite. D'après le sondage qu'Ipsos a réalisé pour nous en
mars dernier sur les Français et l'épargne, 13 % des personnes interrogées se
déclarent seulemen... ou déjà intéressées par les offres des banques sans
agence. Nous pensons que la courbe de croissance va être très rapide, nous
sommes dans un univers qui est en train de se créer. La consommation de
produits bancaires est en profonde mutation.
Quels sont vos principaux concurrents ?
Dans le domaine de l'épargne, puisque
c'est le produit que nous proposons, nous sommes uniques dans notre genre. S'il
fallait nommer des concurrents, on peut dire que l'on se rapproche le plus de
Cortal ou de Robeco.
Et la Banque Directe ?
C'est une
banque transactionnelle, ce qui n'est pas notre cas. Nous n'avons pas la même
approche. Ce que nous avons en commun, c'est le mode de distribution des
produits.
Quel est, plus précisément, le concept d'ING Direct ?
L'idée, c'est de profiter de l'émergence des nouvelles
technologies (téléphone, Internet) pour proposer des produits financiers
bancaires et d'assurances. Notre parti pris est de ne rentrer sur les marchés
qu'avec un seul produit. Ce doit être un produit simple, qui présente un
avantage concurrentiel en termes de prix, et qui doit être susceptible
d'intéresser le grand public. Notre produit, c'est l'Epargne Orange, un livret
bancaire sans contrainte. Il s'achète comme on achète un voyage. L'argent placé
sur ce livret est disponible à tout moment, il suffit d'y déposer un montant
minimum de 100 francs avec un plafond de 5 millions de francs. Par ailleurs, un
des éléments clés du produit est sa rémunération : le taux d'intérêt brut est
de 4,20 % et le net de 3,15 %, c'est-à-dire largement au-dessus des taux
réglementés qui sont de 2,25 % net pour le livret A, Codev... Et à peu près
deux fois plus que ce qu'offrent les livrets bancaires fiscalisés. Car, dans le
cadre de l'harmonisation des banques européennes, la fixation des taux des
livrets bancaires est libre depuis juin 1998. Notre positionnement est d'être
une banque complémentaire, et non une banque de substitution. Pour y accéder,
nous proposons Internet et le téléphone, car beaucoup de clients utilisent
encore le téléphone.
Envisagez-vous, par la suite, de développer d'autres produits ?
Pour son lancement, ING Direct n'avait pas l'ambition d'avoir une gamme étoffée
de produits. Mais ensuite, nous souhaitons effectivement développer d'autres
produits dans l'épargne et le crédit. Le prochain sera probablement un contrat
d'assurance pour la fin de l'année, voire le début de l'année prochaine.
Quelles cibles visez-vous ?
Selon l'expérience acquise
dans les autres pays, deux segments réagissent le mieux à notre offre : ceux
qui ont beaucoup d'argent et ceux ouverts aux nouvelles technologies. Cela
semble se confirmer en France : lors de la première semaine de lancement,
Internet représentait l'outil principal utilisé par les prospects pour
communiquer avec nous.
Vos objectifs pour cette année ?
ING Direct France a pour objectif de lever cette année 3
milliards de francs sur un marché qui représente 2 000 milliards de francs, ce
qui ne constitue pas à proprement parler une déclaration de guerre : notre
approche est différente et complémentaire. Nous visons 40 000 clients pour la
fin 2000.
Comment avez-vous communiqué pour orchestrer votre lancement ?
Nous sommes bien conscients que, dans le domaine
bancaire, il faut avoir une notoriété forte pour acquérir des clients,
notamment pour des produits d'épargne. C'est pourquoi notre vecteur phare,
c'est la télévision. Du 22 mars au 22 avril, ING Direct a été présent à la
télévision avec un mix entre spots d'image et spots de marketing direct, sur
TF1, M6, la Cinquième, Canal+, LCI, RTL 9 et TMC. Les spots d'image ont été
diffusés en prime time et ceux de marketing direct en day time, avec un mix
moins strict le week-end. Dans les spots MD, on retrouve le même esprit avec
des informations plus détaillées. Nous avons mené aussi une autre expérience à
la télévision, en parrainant le film du dimanche soir sur TF1 jusqu'à la fin
avril. Comme deuxième média, nous avons privilégié l'encart presse,
essentiellement dans la presse télévision, avec une diffusion de 25 millions
d'encarts jusqu'à la fin juin. La vocation de l'encart est d'expliquer et
d'inciter à la demande d'information avec un coupon-réponse. Nous testons aussi
le bus-mailing, celui des Echos et d'Investir. Et probablement après, des pages
magazine.
Qu'en est-il de votre expérience de télévision interactive sur TPS ?
Une banque moderne se doit d'essayer ce
genre d'approche, d'autant que nous pensons trouver nos coeurs de cible parmi
ces populations intéressées par le câble et le satellite. Le principe de cet
applicatif est le suivant : un abonné à TPS a la possibilité d'appuyer sur le
OK de sa télécommande quand il voit notre spot publicitaire. Il peut alors
télécharger des pages qui ressemblent à celles d'Internet, avec une
présentation du produit, des demandes de documentation et des possibilités de
simulation. Au sein de ce bouquet de chaînes par satellite, nous avons choisi
les chaînes M6 et LCI. Nous avons obtenu des résultats excellents avec une
centaine de demandes de documents par jour.
Allez-vous également recourir au mailing pour prospecter ?
Des expériences antérieures
m'ont dissuadé d'effectuer des opérations de mailing sur des fichiers froids.
Notre tactique est plutôt la suivante : nous voulons d'abord qualifier des
prospects intéressés par notre offre et ensuite utiliser le mailing pour
convertir les prospects non transformés. ING Direct espère générer, cette
année, entre 150 000 et 200 000 prospects. Ensuite, nous mènerons des tests sur
des fichiers qualifiés, quand nous connaîtrons mieux le profil des répondants.
Pour votre campagne de lancement, à quelle agence avez-vous fait appel ?
Leagas Delanay est notre agence pour la partie image et
Stratélite pour la partie marketing direct. Quant à l'achat d'espace, il est
effectué par OMD. Quels types d'opérations peut-on effectuer sur votre site
Internet, ingdirect.fr ? Ce média est privilégié pour prendre contact avec
nous. Nous travaillons à figurer sur les principaux moteurs de recherche, pour
les bandeaux, nous ne sommes pas pressé... Par ailleurs, nous avons développé
avec Ferri on line, courtier en ligne du groupe ING, un échange de boutons.
Sur notre site, il est possible d'ouvrir un compte, sachant que celui-ci n'est
ouvert que lorsque nous recevons les documents d'ouverture signés, accompagnés
des pièces justificatives. Plutôt que de proposer à l'internaute d'imprimer
lui-même les formulaires, nous les lui envoyons pré-remplis. Quand le compte
est ouvert, le client peut le consulter par Internet et faire des transferts de
ce compte vers d'autres banques. Dès lors que le document initial a été signé,
il n'y a plus de besoin de confirmation écrite, car la signature électronique
est réputée valable. Cela dit, bien qu'ayant souscrit un compte sur Internet,
le client peut quand même faire ses transactions par téléphone. Même si nous
avons davantage mis l'accent sur le téléphone au lancement, nous savons que, de
toute façon, les internautes utiliseront Internet.
Quel dispositif la banque a-t-elle mis en place pour la réception d'appels ?
Pour
mieux identifier les flux téléphoniques et suivre la rentabilité des supports,
nous avons mis en place un Numéro Azur par chaîne de télévision et par média
(presse, bus-mailing, mailin...). Les appels entrants sont réceptionnés, grâce
à une technologie Lucent (avec des logiciels adaptés d'autres unités du groupe
ING) par notre service clientèle, qui comprend pour l'instant 30 personnes. Il
est ouvert du lundi au samedi, 24 heures sur 24. Tous les chargés de clientèle
sont capables de répondre à tous les clients qui appellent. Car toute la
relation client apparaît sur le poste de travail. Nous sommes à 99 % une banque
sans papier. Ce dispositif est complété par deux agences d'intérim et par une
filiale de France Télécom, Opalis, qui assure le débordement, notamment le
dimanche, la réglementation bancaire nous interdisant d'être ouvert le
dimanche.
Avez-vous des collaborations avec d'autres prestataires ?
Nous avons sous-traité le service de retours de coupons à
Dynapost, tandis que Cegedim assure l'envoi des documentations (demande
d'ouverture et relevés de compte). Notre parti pris est d'externaliser à des
professionnels tout ce qui pouvait l'être, en ne gardant que la partie bancaire
et le service clientèle. Par ailleurs, notre effectif de 100 personnes en
France installées au siège, à Val de Fontenay, devrait nous permettre de
pouvoir traiter jusqu'à 120 000 clients. Ce fonctionnement économique nous
permet de proposer des produits à meilleure performance, sans renoncer aux
marges.
Quel est le montant de l'investissement nécessaire au lancement de cette nouvelle banque ?
Au total, l'investissement
est de 100 millions d'euros sur trois ans pour la France, dont une bonne partie
consacrée à la communication.
Biographie
Agé de 38 ans, ESCP, André Coisne a débuté comme consultant chez Andersen Consulting. Il a ensuite occupé, pendant 7 ans, des fonctions marketing chez Citibank en France et en Belgique, puis est resté 5 ans chez le gestionnaire de fonds américain Fidelity en tant que directeur marketing Europe puis directeur exécutif. Il a rejoint, en août 1999, comme directeur général, ING Direct France, pour le lancement de son activité.
L'entreprise
ING est le premier groupe financier international hollandais avec 83 000 salariés, 80 bureaux dans 61 pays à travers le monde. Fonds propres : 32,3 milliards de francs. ING Direct en France : 100 salariés.