«Nous n'opposerons pas Duke à Digitas»
STEPHANE AMIS, PRESIDENT DE DIGITAS FRANCE, EST EGALEMENT PRESIDENT DE DUKE DEPUIS SEPTEMBRE. IL ARRIVE AVEC UNE CULTURE DU BUSINESS ORIENTEE VERS LES GRANDS COMPTES INTERNATIONAUX. L'ESPRIT DUKE RESISTERA-T-IL A CET ASSAUT ? LE NOUVEAU PAT RON NOUS PRESENTE SES AMBITIONS.
MARKETING DIRECT Vous avez été nommé à la présidence de digitas france en avril 2009, puis à celle de Duke en septembre. L'année 2010 sera-t-elle placée sous le signe des concrétisations ?
- De nombreuses concrétisations ont déjà eu lieu, à la fois en termes de business et de reconnaissance. Nous avons ainsi souscrit, fin 2009, deux études de notoriété auprès de nos deux marques, Digitas et Duke. En outre, sur les items d'attractivité, de créativité, de légitimité, de capacité à gérer des stratégies digitales, nos deux enseignes arrivent en tête. Et puis, dans un contexte difficile et déstabilisant, à la suite du rachat de Duke par Razorfsh, il y a six mois, nous avons réussi à conserver nos clients, à savoir McDonald's, Nike, Levi's, Nissan, la SNCF... Enfin, au niveau de Digitas, nous continuons la transformation de l'agence, entamée en 2008, lorsque nous avons gagné Nissan Europe. Et nous comptons poursuivre notre développement autour de grands comptes.
comment avez-vous passé 2009 ?
- L'année a été calme, axée sur la consolidation. Nous avons enregistré une croissance de 43 % en 2008 pour Digitas et une progression entre 5 à 10 % en 2009. Ce qui est un moindre mal dans le contexte actuel.
prendre la succession de matthieu de Lesseux à la tête de Duke n'a pas dû être chose facile. dans quel contexte avez-vous été nommé, comment avez-vous été accueilli ?
- Très bien. Je pense que Matthieu a monté une très belle entreprise, mais il ne l'a pas fait seul. On ne rencontre pas un tel succès et on ne remporte pas autant de prix créatifs sans une vraie équipe. Et je crois que nous l'avons compris assez vite. Même si un leader est important, il faut aussi que les collaborateurs aient la liberté de s'exprimer et je pense que le départ de Matthieu a permis à certains de grandir. Ce n'était pas forcément une mauvaise nouvelle. Et puis, nous avons vite fait comprendre que nous souhaitions garder la dynamique de l'agence et ne pas tout changer. Nous sommes là pour écrire la suite, de façon différente, c'est-à-dire moins incarnée comme pouvait le faire Matthieu, mais avec d'autres qualités, peut-être plus axées sur le partage. D'ailleurs, il n'y a pas eu beaucoup de départs.
comment vont se positionner les territoires des deux agences ?
- Nous souhaitons garder les deux entités séparées. Aucune fusion, aucun rapprochement n'est à l'ordre du jour. Les services créatifs, le planning stratégique et l'account management restent indépendants. C'est vrai que nous faisons le même métier et nous proposons à peu près les mêmes offres. Mais chaque marque a son histoire, ses clients. Spontanément, l'histoire de Duke la positionne très fortement sur la création. Digitas est plus orientée business et techno en matière de traitement du digital. Même si Digitas a remporté une vingtaine de prix créatifs en 2009. Nous pensons que le marché est suffisamment large pour alimenter les deux structures et donc nous n'avons pas vocation à opposer les deux enseignes. Puis, chacune des deux marques dispose de son propre réseau international. Et cela, c'est un facteur de compétitivité et de différenciation très important par rapport à nos concurrents. Nous sommes ainsi capables de gérer des marques mondiales qui souhaitent globaliser leur communication digitale.
allez-vous mutualiser des compétences ? Lesquelles ?
- Nous avons mis en place des systèmes qui ne touchent pas à l'intégrité de chacune des marques, comme d'intégrer à 100 % la technologie au sein de l'agence Duke, alors que jusqu'alors c'était sous-traité. Ainsi, la technologie de Digitas [développement d'applications web ou mobiles, NDLR] est transverse aux deux agences. Nous pensons que cette partie doit être impliquée très en amont. Il n'y a que les services liés au back-office, RH, finances qui sont mutualisés.
Vous répétez souvent que les entreprises ont besoin de «gouvernance digitale» ? de quoi s'agit-il exactement ?
- Les grands clients internationaux imposent énormément de contraintes à leurs filiales internationales en matière de marques, de publicité, de marketing services depuis quelques années déjà, plus précisément depuis le mouvement de globalisation, de mondialisation de la communication. Et la seule soupape d'oxygénation, le seul espace de liberté restait le digital. C'est pourquoi certains groupes se retrouvaient à développer plus de 400 sites autour de la marque, parfois incohérents. Et puis, il y a eu une prise de conscience, il y a deux ans, autour de l'importance du digital et la nécessité de reprendre le contrôle et de mieux gouverner les stratégies digitales. Voici quelques années, nos interlocuteurs étaient des chefs de projets et aujourd'hui, nous parlons directement aux directions générales. C'est le plus probant de l'importance du digital dans l'entreprise.
Quel esprit souhaitez-vous insuffler au sein de Duke, réputée très indépendante ?
- C'est une agence rebelle, un peu poil à gratter et nous ne souhaitons pas casser cela. Il existe une vraie culture différenciante chez Duke et nous souhaitons la cultiver.
Quel type de manager êtes-vous ?
- J'ai été élevé dans une logique de hiérarchie de compétences. Nous sommes dans des métiers où il n'existe pas de hiérarchie de statut. Très rapidement, il faut apporter du répondant à ses équipes. Ce qui est très sain d'ailleurs. Donc, très vite, j'ai mis en place un système qui permet de faire grandir mes collaborateurs. Je n'ai pas du tout un management «statutaire».
Vous avez créé la plateforme «made by digitas», offre dédiée aux marques de luxe. de quoi s'agit-il exactement ?
- Nous avions le sentiment que la taille de Digitas pouvait laisser croire à ces marques que nous étions des industriels. Nous avons donc souhaité offrir aux marques de luxe une porte d'entrée plus «artisanale», avec des personnes sensibles à ce secteur tout en ayant à leur disposition la puissance de l'agence et du réseau. Le luxe est un bon terrain de jeu, car nous avons des marques qui sont prêtes à faire des vrais paris pour se différencier. Le digital leur offre des plateformes d'expression très créatives. Nos clients sont Dior, Lancôme, Longchamp, Baccarat. Et pour certains d'entre eux, nous gérons leur site e-commerce. Mais ces marques sont très exigeantes dans la gestion de leur image et de leur business sur le Web. Elles doivent conserver leur statut de marque de luxe sur la Toile et ne pas être décevantes par rapport à leur réseau de boutiques physiques.
Olivier Abel, transfuge de l'agence La chose, a été nommé directeur général, à vos côtés. est-il votre caution «marketing services» au sein de l'agence ?
- J'ai recruté Olivier Abel pour trois raisons. Tout d'abord, pour son expérience de directeur général, car il y avait un vrai enjeu de management au moment de la reprise de l'agence. Ensuite, il fallait quelqu'un qui aime la création pour manager Duke. Enfin, il fallait des aptitudes à la compréhension du digital. Olivier Abel m'a paru répondre à toutes ces attentes avec, dans son parcours, la digitalisation des agences de marketing services, puis un passage à La Chose avec une vision très 360°.
Quels sont vos objectifs en matière de marketing relationnel ? Y a-t-il des annonceurs que vous souhaitez recruter ?
- Je pense que les agences de marketing relationnel ont pris beaucoup de retard et regardent passer le train du digital, pendant que de nombreuses agences digitales se créaient en attirant de nombreux annonceurs. Duke et Digitas réunies, nous sommes aujourd'hui plus importants que la plus grosse agence de publicité à Paris. C'est dans ce sens que va l'histoire. Tout est inspiré par l'état d'esprit des agences digitales (social marketing) et toutes les campagnes réussies sont en ce moment très social marketing. De sorte qu'aujourd'hui, en matière de CRM, on ne peut plus réfléchir de la même façon. La digitalisation des agences de marketing services a été compliquée. Elles ont dû défendre des modèles économiques complexes, alors que les pure players ont toujours eu un modèle plus simple. Répondre à une stratégie de MD classique était sans doute plus rentable pour les agences que de proposer une offre digitale. Elles ont globalement eu du mal à intégrer les nouvelles technologies. D'ailleurs beaucoup restent dans des logiques de sous-traitance, ce qui, à mon avis, est un très mauvais choix.
Le recrutement est-il toujours aussi difficile pour les agences digitales ?
- Oui, c'est un vrai problème. Il existe une pression supplémentaire en ce moment, car les annonceurs cherchent à recruter pour leur direction marketing. Du coup, les talents se font encore plus rares, notamment les seniors. Par ailleurs, c'est un métier très jeune. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni... c'est un souci général.
Vous partagez votre temps entre la France, Londres et les Etats-Unis... Les anglo-Saxons sont-ils en avance sur nous ?
- De moins en moins. Ils sont plus en avance dans l'industrialisation et l'organisation. Car ils opèrent sur de grands territoires. Pour autant, il persiste une «French touch», une patte créative reconnue dans le monde.
Quels sont vos objectifs pour 2010 ?
- Nous nous sommes organisés pour réaliser des croissances à deux chiffres, à la fois sur du maintien d'activité et sur du gain de part de marché. Les compétitions s'accélèrent à nouveau, signe que le marché repart. Ainsi, Digitas et Duke ont, à elles deux, une quinzaine de dossiers en cours. Nos choix, nos envies nous portent vers les marques qui développent une grande ambition sur le digital.
POINTS-CLES
- Digitas France est une agence de marketing interactif qui accompagne les plus grandes marques mondiales dans la gestion de la relation avec leurs différents publics. - Digitas fédère «The Third Act», plateforme de contenu de marque ; Digitas Health, agence spécialisée en marketing santé, ainsi que Prodigious Worldwide, la première et unique entreprise de production digitale globale au monde. - Digitas est membre de VivaKi (Publicis Groupe) aux côtés de Razorfish, Starcom MediaVest et ZenithOptimedia.
PARCOURS
En avril 2007, Stéphane amis est directeur général de digitas France. c'est sous sa direction que l'agence de marketing digital de publicis groupe digitas remporte de nouveaux grands comptes et développe des projets d'envergure avec les clients historiques de l'agence. Stéphane amis accède à la présidence de digitas France, le 27 avril 2009. puis en septembre de la même année, il prend la présidence de duke/razorfish. avant de rejoindre digitas, Stéphane amis participe à la création de tbWa corporate où il était dg pendant trois ans. en 2000, il contribue au développement de Fi System (agence interactive leader en France à l'époque), en tant que dga. en 2002, il devient dg de ddb groupe où il a réorganisé les services de l'agence Stéphane amis a coécrit trois livres : Performance web (le village mondial, 2000), Intranet, mode d'emploi (les presses du management, 1997) et Trouver un job sur Internet (les presses du management, 1996).