« Elargir le marché grâce à notre site marchand »
Un site marchand ? Oui, mais pas à n'importe quelles conditions. Telle est la stratégie de l'enseigne de bricolage. L'ouverture du site à la mi-juin, au sein de la filiale Castorama Direct, constituant le prélude au développement d'une politique de vente à distance. Explications de Franck Lebouchard, directeur général de Castorama Direct.
Castorama vient "seulement" d'ouvrir un site marchand. Quelles en sont les raisons ?
Pendant deux ans, de février 1999 jusqu'en
août dernier, notre enseigne a disposé d'un site de conseil, d'informations.
Pendant toute cette période, notre P-dg, Jean-Hugues Loyez, a été littéralement
harcelé par les actionnaires, les journalistes, qui voulaient savoir quand
Castorama vendrait en ligne. Il est resté serein en déclarant : « Nous irons
quand il y aura un marché ». La décision de créer un site marchand a été prise
en août 2000, lorsque la société a estimé qu'il y avait un marché et que l'on a
cru comprendre quel était ce marché. Donc, nous ne l'avons pas fait sous la
pression. Par ailleurs, le bricolage en ligne, c'est compliqué ! Les deux
premiers numéros mondiaux, Home Depot et Loewe's, tous les deux américains, ne
se sont lancés en ligne qu'à la fin de l'année 2000. Ce qui est plutôt tard à
l'échelle d'Internet...
En quoi est-ce compliqué ?
Les
produits sont compliqués à vendre. Il y a 400 catégories de produits
différentes et il faut que chaque catégorie de produits ait sa propre
explication. La logistique n'est pas évidente à mettre en place. Livrer une
brouette, c'est facile, livrer une baignoire, c'est plus difficile...
Quels sont vos objectifs avec le lancement de Castorama.fr ?
Grâce au site web, nous allons pouvoir élargir le marché pour
acquérir de nouveaux clients, qui ne viennent pas dans les grandes surfaces de
bricolage et qui manquent de conseils. C'est la première vocation du site. Nous
souhaitons apporter beaucoup de conseils. Par ailleurs, nous proposons trois
niveaux de livraison pour les commandes. Dans 80 % des cas, elle coûte 49 F ;
pour 15 % des produits, il y a un palier à 149 F, puis pour 5 % d'entre eux,
elle coûte 349 F (cela concerne des produits "horribles" à transporter). Notre
maître mot est d'élargir le marché. Le site n'est pas là pour prendre du
business aux magasins, ni aux concurrents.
Plus précisément, quelles cibles voulez-vous toucher ?
Nous espérons toucher des
gens géographiquement loin des GSB (grandes surfaces de bricolage), ceux qui
n'ont pas une fourgonnette pour emporter leurs achats (la livraison à partir
des magasins étant toujours très chère), les centres urbains.
Comment estimez-vous ce marché en termes de volume ?
Nous nous basons sur les études du cabinet Forrester, qui estime que le marché
du bricolage en ligne représente environ 2 à 4 % du marché total du bricolage.
En France, sur un marché total de 100 MdF, le bricolage en ligne devrait peser
4 MdF d'ici quatre à cinq ans. Sachant que nous prenons ces chiffres avec des
"pincettes".
Quels types de produits sont présentés sur le site ?
Nous présentons 5 000 références (alors qu'un magasin Castorama
en propose 50 000...). Des pans entiers de produits ne sont pas disponibles,
comme les végétaux ou les produits de décoration tels que les papiers peints ou
les peintures. N'y figurent pas non plus quelques produits logistiquement
infernaux, tels que les parpaings (qui pèsent lourds et ne coûtent pas cher).
Quels sont les moyens de paiement offerts à l'internaute ?
Toutes les cartes de crédit. Et, très prochainement, nous allons ajouter le
paiement par chèque et la carte de paiement de Castorama, appelée carte
L'Atout, qui possède une centaine de milliers de porteurs.
Depuis l'ouverture du site marchand à la mi-juin, quels premiers enseignements pouvez-vous déjà tirer ?
Nous avons été surpris par deux
comportements, que nous n'avions pas prévus. Notre panier moyen est étonnement
élevé : il oscille entre 600 et 700 F (ce qui est finalement logique en raison
des frais de livraison), alors que nous l'avions estimé à 300 F. En magasin, il
tourne entre 200 et 300 F. Autre surprise : le nombre de femmes qui commandent.
Notre explication est que les magasins de bricolage sont un peu "anxiogènes"
pour elles.
Elles se sentiront donc plus à l'aise sur le site. Les internautes qui viennent
sur le site vont essentiellement dans la boutique. Etant donné que nous avons
significativement renforcé l'aspect conseil, ils vont voir la boutique en ligne
afin de préparer leurs achats en magasin. Jusqu'en 1996, Castorama diffusait un
gros catalogue papier, qui présentait les produits et leurs prix mais qui
n'offrait pas la possibilité de commander. La société l'avait arrêté car
c'était devenu trop lourd à gérer par rapport au vrai métier de Castorama. Nos
clients sont en train de retrouver cela sur le site.
Plus concrètement, quels sont les taux de transformation ?
Nous sommes
sur des taux moyens dans le domaine du Web. Entre 1 à 2 % des internautes qui
viennent sur le site achètent. Les 98 % autres n'achètent pas mais y ont passé
du temps. Le site est avant-tout un préparateur d'achat en magasin.
Pour mieux connaître le comportement de l'internaute, quel type d'outils avez-vous mis en place ?
Nous avons installé ATG Dynamo,
équivalent de Broadvision ou de Vignette, qui devrait nous permettre de faire
de la personnalisation et du CRM. Le site s'adaptera à ce que l'on connaîtra de
leurs besoins et de leurs attentes.
En ce qui concerne la logistique, sur laquelle achoppent bien souvent les sites marchands, quelle solution avez-vous adoptée ?
Nous avons choisi de sous-traiter
toute la logistique, qui est propre à Castorama Direct, et qui n'est donc pas
celle des magasins. Après avoir lancé un appel d'offres, elle a été entièrement
confiée au logisticien Staci, qui cherchait à rentrer dans le secteur du
e-commerce. Lorsque la commande est enregistrée, elle est transférée au sein de
cette société. Tous les produits y sont stockés et la commande part de chez ce
logisticien. La livraison est effectuée en cinq jours maximum, la moyenne étant
de trois à quatre jours. Lorsqu'il y a une exception, nous le signalons sur le
site. Nous savons que la livraison constitue un point de réussite crucial, nous
préférons donc afficher la transparence.
Avez-vous mis en place un call center pour accompagner le site ?
Oui, il est sous-traité
chez Téléperformance à Lille. Ce nouveau service a été créé avec le site
marchand. Car il est important pour les internautes de savoir qu'ils peuvent
joindre quelqu'un par téléphone. Le numéro d'appel est un Numéro Indigo (0825
881 882). Il permet de répondre à beaucoup de leurs questions, notamment les
heures d'ouverture des magasins. Pour toutes les questions relatives aux
magasins, nous les renvoyons automatiquement vers leurs propres centres
d'appels.
Quel va être le business model du site ?
Nous espérons être rentables. Ce qui nous rend confiants, c'est que nous sommes
sur des produits qui ont de la valeur. Nous sommes Castorama et donc nous avons
les moyens de faire connaître le site sans dépenser d'argent. L'adresse du site
va figurer sur toutes les affichettes, sur les sacs donnés dans les magasins.
Nous avons mis un peu d'argent dans le marketing en ligne sur TF1.fr (rubrique
shopping), Lycos.fr...
Avez-vous fait appel à une agence pour sa conception ?
Oui, il s'agit de la web agency Internence.com basée
à Lille ; le siège social de Castorama est implanté lui aussi dans la métropole
lilloise. Cette agence avait déjà conçu la version précédente et elle a été
reconduite, à l'issue d'un appel d'offres.
Castorama Direct a-t-il pu tirer profit de l'expérience des autres entités de votre groupe ?
Notre actionnaire majoritaire Kingfisher a monté une structure,
e-Kingfisher, basée à Londres, dont une des missions est de trouver quels sont
les meilleurs outils pour tous les sites du groupe. Ils nous ont bien aidé.
Dans la galaxie Kingfisher, nous avons été les derniers à concevoir notre site
marchand, nous avons pu bénéficier de l'expérience des autres. C'est cette
entité qui nous a suggéré notamment ATG Dynamo.
La filiale qui coiffe le site s'appelle Castorama Direct. Est-ce à dire que vous souhaitez développer d'autres modes de commande à distance ?
Effectivement,
ce n'est pas un hasard. Si, pour l'instant, il n'y a que le site, nous avons
choisi ce nom afin de développer d'autres outils de vente à distance. Nous
allons voir, par exemple, s'il y a une demande de catalogue de vente par
correspondance. Mais nous ne nous lancerons pas dans la fabrication d'un gros
catalogue.
Castorama Direct a-t-il mis en place une base de données ?
Oui, nous avons une BDD, gérée chez Castorama Direct, composée
des internautes qui commandent, de ceux qui s'inscrivent à l'espace personnel
"Mon Castorama", dans lequel l'internaute peut gérer son compte, enregistrer
ses fiches conseils et ses produits préférés... et aussi de ceux qui laissent
leur adresse pour s'abonner à la newsletter. Plusieurs dizaines de milliers de
personnes y figurent. Pour l'instant, nous recueillons de l'information et nous
allons utiliser cette base de données pour nous-mêmes. Nous espérons arriver à
l'exploiter pour traiter les clients différemment. Pour leur proposer des
conseils et des produits personnalisés, il faut disposer d'une BDD qualifiées.
Mais nous n'avons pas vocation à louer ou à vendre ces adresses. Pour
l'instant, ce n'est pas notre métier.
Comment va s'articuler votre activité avec les actions marketing direct de Castorama ?
L'enseigne de bricolage possède déjà une carte de paiement, L'Atout, et dispose
d'une importante base de données, qui n'est pas vraiment exploitée. Des offres
sont envoyées avec les relevés de compte mais elles ne sont pas réellement
ciblées. Au bout d'un certain temps, nous aurons forcément les mêmes clients.
Le challenge sera d'arriver à jouer la complémentarité des canaux par rapport à
un même client. Nous disposons d'un grand nombre d'informations provenant de
différentes sources, il faut arriver à les utiliser intelligemment. Les
distributeurs ne feront pas l'économie de cette réflexion : un client ne peut
pas recevoir plusieurs messages différents d'une même enseigne.
Biographie
HEC, 35 ans, Franck Lebouchard a travaillé deux ans en Espagne chez Hachette au contrôle de gestion en V.S.N.E, puis cinq ans au marketing chez Colgate Palmolive. Il a passé ensuite quatre ans chez McKinsey, où il est entré comme consultant et a fini comme directeur de projets. Il a rejoint Castorama en août 2000, comme directeur général de la filiale Castorama Direct.
L'entreprise
Actionnaire majoritaire à 55 % : Kingfisher. Chiffre d'affaires du groupe Castorama en 2000 : 8,4 milliards d'euros, en progression de 23 %. Plus de 45 000 collaborateurs dans onze pays. En France : 148 magasins de bricolage dont 113 magasins Castorama, 34 Brico Dépôt, 1 Casto l'Entrepôt.