«Chez Harley, nous vendons du rêve américain»
MARKETING DIRECT Comment se positionne Harley sur le marché ?
- Notre segment sur le marché est celui des plus de 650 cm3. Toutes nos motos affichent des motorisations supérieures à 900 cm3. En 2000, nous vendions environ 2 600 motos et, en 2009, 6 700 motos. En France, nous nous plaçons en troisième position avec 11 % de part de marché, derrière Honda (12 %) et Kawasaki (14 %). Ces derniers temps, la marque, qui a su s'adapter au marché européen, a vu ses ventes progresser en conséquence. Les marchés prédominants en Europe sont l'Allemagne, l'Italie et la France. Mais, sur une production totale de 330 000 motos par an, 50 % sont directement affectés au marché américain. Et nous vivons un grand succès au Japon, avec 30 % de part de marché.
Quel est le profil type du propriétaire de Harley ?
- En France, le client moyen a 47 ans, il est CSP+, technophile et c'est un homme à 94 %. Nous avons quand même 6 % de clientèle féminine, ce qui est beaucoup dans le monde de la moto. Le propriétaire de Harley est un motard qui roule énormément, puisqu'il parcourt plus de 9 500 km par an, contre 5 000 en moyenne. 77 % des clients utilisent leur moto au quotidien. Et nous avons enregistré 65 % de nouveaux clients en 2009.
Vous poussez très loin la logique communautaire, avec des HOG (Harley Owners group) qui permettent aux passionnés de se rencontrer. Pouvez-vous nous expliquer cette démarche ?
- Le HOG, c'est le club des propriétaires de Harley. Dès qu'un client achète une Harley il est membre gratuit du club pendant un an. Il reçoit une carte avec un matricule et rejoint une communauté qui compte un million de membres actifs dans le monde et 14 000 en France. A la fin de l'année, le client peut renouveler son abonnement via une cotisation annuelle de 80 euros. Dès lors, les membres reçoivent la newsletter officielle de la marque traduite en français, des offres produits, des accès web, des tarifs préférentiels sur les événements organisés par la marque, sur des locations de motos aux Etats-Unis. Bref, toute une palette d'avantages clients qui justifie le renouvellement de l'abonnement. Mais ceci n'est rien sans les «chapters». Dans l'organisation du HOG, ce sont des associations loi 1901 dont les présidents sont nos concessionnaires. Et pour pousser la logique communautaire jusqu'au bout, chaque président nomme un directeur, qui n'est autre qu'un très bon client, ambassadeur de la marque, capable de fédérer les membres autour des différents projets.
POINTS-CLES
* Harley-Davidson France emploie 20 personnes. * Le chiffre d'affaires France 2008 s'élève à 110 MEuros. * Le réseau compte 48 concessionnaires officiels. * En 2009, le nombre d'immatriculations a atteint 7 474, soit une progression de 9 % par rapport à 2008.
PARCOURS
François Tarrou est diplômé de l'ESCP paris et titulaire d'une maîtrise d'information et de communication, option communication d'entreprise de l'université paris X Nanterre. Il est directeur du marketing et de la communication de Harley-Davidson France depuis 2000. Il était précédemment directeur de clientèle, pendant un an, au sein de l'agence Stratéus. Puis directeur de la communication institutionnelle et corporate du groupe Lintas. Il a également été chef de publicité chez Publicis Etoile à la cellule internationale.
Comment faites-vous vivre la marque ?
- Ce sont les animations du HOG qui font vivre la marque. Et les événements sont nombreux. En effet, les 50 chapters du réseau envoient leur calendrier d'animations pour l'année au patron du HOG France. Les rallyes, les sorties sont placés sous la bannière ?«Ride & have fun». Il y a même une branche féminine : Le lady's HOG Harley Mais ce programme de fidélisation ne pourrait pas fonctionner si la marque n'était pas aussi proche de ses membres, notamment sur le plan humain. Nous-mêmes, représentants de Harley, sommes parties prenantes de ces événements : nous avalons des kilomètres avec nos clients. C'est ainsi que nous faisons vivre notre marque. C'est ce qui fait la force de Harley et la rend unique.
Une marque aussi «émotionnelle», qui attire des fans, est-elle plus facile à travailler pour un directeur marketing ?
- C'est effectivement plus facile, car la communauté existait déjà à mon arrivée. Mais le programme marketing est assez complexe à monter, car si je suis trop intrusif, trop commercial, j'ai une réaction immédiate des membres du HOG : ?«Tu nous prends pour des clients ?» Ils sont très attachés à la marque au sens relationnel. D'ailleurs, ils passent deux fois par semaine en concession. Trouvez un client d'une autre marque qui fréquente autant son réseau ! En tout cas, cette adhésion ne simplifie pas les choses, car les messages doivent être réfléchis et sensibles, et nécessitent de prendre en compte la relation fusionnelle que les clients ont nouée avec la marque. L'attente est importante. Cela nous permet de créer des messages qui sont entendus et assimilés très rapidement auprès d'une clientèle captive. Nous devons avoir un grand respect de nos clients, qui sont des passionnés. Plutôt que de parler d'émotionnel, je préfère évoquer l'irrationnel. Nous vendons, en quelque sorte, du rêve américain.
Quels sont vos outils de prospection, de recrutement ?
- Nous travaillons beaucoup sur l'image. Harley-Davidson a longtemps été victime d'idées préconçues. D'ailleurs, une étude réalisée en 2000 en Europe, et notamment en France, a mis en exergue le fait que 77 % des détenteurs d'un permis moto rejetaient la marque. Dix ans après, ce chiffre est passé sous la barre des 50 %. En 2006, nous avons édité le «White Book» (auprès de 80 000 contacts) : 24 pages blanches vernies, aux codes très luxe, qui «expliquaient» la marque. Cet outil pédagogique visait à montrer la gamme, à présenter les concessionnaires, la fiabilité des motos, la dimension R&D, les avancées industrielles... Nous avons démystifié ce que les futurs clients de Harley percevaient comme des freins. Nous avons donc mis l'accent sur les relations publiques et le marketing direct afin d'expliquer les performances des motos via des mailings haut de gamme (environ 150 000 par an). Et nous veillons, dans nos programmes de recrutement, à faire découvrir le produit, et donc à convier nos prospects en concession pour les inciter à essayer nos motos. D'ailleurs, sur dix motos essayées, deux sont achetées. Notre taux de fidélité client dépasse les 75 %, parce qu'il se passe quelque chose avec le produit. D'où l'importance de les emmener en concession. Mais aussi sur des sites à l'extérieur, notamment dans le cadre de «L'experience tour» : un camion aux couleurs de la marque contenant 17 motos à essayer, avec une équipe de cinq personnes. L'idée est d'investir des lieux stratégiques, tels que les salons de la moto en région, l'Open de golf, des salons nautiques, etc. Avec la mise en place de tout un mécanisme de marketing direct local, à l'appui de notre site internet sur lequel nous relayons largement l'événement.
FRANCOIS TARROU, DIRECTEUR MARKETING HARLEY-DAVIDSON FRANCE
«77% de nos clients utilisent leur moto au quotidien.»
Qu'est-ce qui, selon vous, déclenche l'acte d'achat ?
- C'est la puissance de la marque. Pour 70 % de nos clients, l'achat d'une Harley est motivé par l'envie d'entrer dans la légende. Et la deuxième raison, c'est la sensation du «Make me feel good !» : une sensation unique...
Quelle est votre stratégie sur le Net ?
- Harley dispose d'un site dédié, géré par les Américains. Il rencontre un vrai succès, avec une hausse de 46 % du trafic en 2009. Ce qui démontre que, pendant cette période de crise, Harley est resté une marque refuge. Sur ce site, on trouve des infos institutionnelles, on peut également configurer sa moto. Et surtout, cette adresse web permet au consommateur d'entamer son expérience avec la marque en créant des passerelles culturelles, esthétiques, émotionnelles (l'iconographie est très étudiée). Et le passage en concession est la mise en relief de ces premières émotions.
Menez-vous des campagnes d'e-marketing ?
- Les campagnes publicitaires sur le Net ne sont pas notre priorité, car nous ne sommes pas en recherche de notoriété. Nous privilégions plutôt des partenariats avec des médias, ciblés CSP+.
Quels sont vos objectifs marketing à court terme, en 2010 ?
- Nous avons de nombreuses manifestations tout au long de l'année pour faire vivre la marque. Notamment, autour de la présentation de nouveaux modèles et le lancement de produits sur le marché, en parallèle des importantes conventions américaines et de l'arrivée des nouveaux millésimes. Ces rendez-vous génèrent automatiquement une batterie d'actions de communication et de marketing. Puis, nous organisons de nombreux rassemblements festifs de motards dans le cadre de notre programme de fidélité, y compris un grand rassemblement européen. Sans compter les événements mythiques américains.
Rencontrez-vous vos homologues américains pour échanger vos best practices en matière de marketing ?
- Nous échangeons surtout entre pays européens, car nos messages sont très différents de ceux utilisés aux Etats-Unis. Les marketeurs de Harley se regroupent tous les trois mois au siège européen de la marque, à Oxford, sous l'égide de l'European Marketing Team (EMT). L'idée est de se projeter sur deux ou trois ans lors de brainstormings. D'autant que nous sommes de plus en plus soucieux de gagner en économies d'échelle via des efforts de gestion.
Disposez-vous d'une base de données unifiée, au moins en Europe ?
- Elle est en cours de construction, à l'appui des achats des BDD issues des immatriculations. Nous alimentons notre base postale, souvent dans le cadre des salons professionnels et nous constituons actuellement notre base e-mails. Et, depuis 2009, nous sommes équipés de logiciels dédiés d'extraction sur les zones nationales. Auparavant, chaque filiale possédait ses propres BDD, et dans une logique d'économies d'échelle, toutes ont été rassemblées.
L'HISTOIRE DE L'AMERIQUE
La marque est née en 1903 à milwaukee (Winsconsin),. Quatre protagonistes, cousins et amis, sont à son origine. Le succès est quasi immédiat. La production connaît une croissance fulgurante dans les dix premières années. A cela, plusieurs raisons. Très tôt, les créateurs, qui ont compris les enjeux de la promotion, participent à des compétitions. Ils éditent un catalogue sur le développement de leur activité merchandising. En 1907, ils vendent 150 motos aux Etats-Unis, puis, chaque année, la production est doublée jusqu'en 1910, dans les années vingt, Harley est n°1 mondial. Les motos sont très présentes dans la vie quotidienne et dans différents corps de métier (police, livreurs de lait, postiers, etc.). Solides, performantes, elles entrent dans l'imaginaire des enfants... Il y a une forme de génie de la part des fondateurs, qui réussissent à assurer une promotion efficace et à installer leurs motos dans l'environnement des Américains.