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Tribune, Kurt Salmon : "Investir de nouveaux espaces stratégiques pour redynamiser le marché de la vidéo en France" (partie 1/2)

Publié par Véronique Pellet, Manager STME, Kurt Salmon le - mis à jour à

Si certaines caractéristiques du marché français peuvent être vues comme des freins à la consommation, d'autres au contraire sont des opportunités stratégiques que les acteurs traditionnels n'ont que peu - ou pas - investies.

Le marché français de la vidéo - que ce soit celui de la télévision classique, le "live", ou bien celui des offres "à la demande" comme le replay, la VoD ou la SVoD - a considérablement évolué ces derniers mois, et ce bien avant l'arrivée d'un acteur comme Netflix. Des tendances de fond ont créé un nouveau visage à ce marché, en imprimant un infléchissement des modes de consommation observés jusqu'alors. Le marché accuse au global un repli, en volume comme en valeur, sans que cela ne soit le fait d'un désintérêt des Français pour la vidéo, au contraire. Si certaines caractéristiques du marché français peuvent être vues comme des freins à la consommation, d'autres au contraire sont des opportunités stratégiques que les acteurs traditionnels n'ont que peu - ou pas - investies.

L'effet "Netflix" a occulté pendant quelques mois les réelles tendances de fond qui ont façonné un nouveau visage au marché de la vidéo en France. Or, ce marché peut et doit se réinventer afin de mieux répondre à la demande, mais cela nécessite des innovations majeures en termes d'offres.

L'effet "Netflix" est retombé comme un soufflet... et c'était pourtant prévisible

Netflix aura fait couler beaucoup d'encre depuis plusieurs années, et son arrivée sur le marché français était annoncée comme une révolution :

  • Pour les utilisateurs
  • Parce que l'offre de Netflix devait être la synthèse de trois atouts clés qui ont fait son succès outre-Atlantique : la richesse de ses contenus, un prix très attractif et une expérience utilisateur novatrice (parcours client fluide et ergonomique, accessible sur plusieurs écrans, et exploitant un moteur de recommandations perçu comme un des plus performants du marché[1] .)

  • Pour les acteurs traditionnels (chaînes, FAI...)
  • Parce que cette offre pouvait potentiellement capter une partie importante du marché de la SVoD (vidéo par abonnement) voire de la TV payante (bouquets Canal +, OCS..) et in fine, fragmenter encore un peu plus les audiences, et donc les revenus des acteurs traditionnels.

    Mais la mise en service de l'offre n'aura pas créé le "wow effect" attendu, et ce pour une raison principale : le catalogue - de films comme de séries - est jugé trop incomplet. Rien de surprenant néanmoins, parce que, d'une part, Netflix respecte la chronologie des médias (et donc les films proposés sont sortis en salle il y a au moins 3 ans) et que d'autre part, nombre de droits étaient déjà détenus par des acteurs français (y compris pour "House of Cards", produite par Netflix, dont Canal+ a acquis les droits).

    Un infléchissement des modes de consommation a façonné un nouveau visage au marché de la vidéo en France

    De fait, le marché français de la vidéo est en repli et les usages se sont considérablement modifiés, et ce bien avant l'arrivée de Netflix.

    Les Français consomment différemment, mais surtout moins de TV...

    Une tendance de fond, amorcée depuis 2012, imprime une nouvelle donne : les Français consomment de moins en moins de TV.

    Temps consacré quotidiennement par les Français à la TV (Live + différé sur téléviseur)

    Alors que la durée moyenne de "visionnage" n'a eu de cesse d'augmenter ces dernières années, la courbe s'est inversée : ainsi, en 2013, les Français ont consacré 3h46 quotidiennement à la TV (live + replay) soit 4 minutes de moins qu'en 2012. Et non seulement la baisse constatée en 2013 se poursuit, mais en plus elle s'accélère : selon Médiamétrie, les Français ont consacré à la TV (live + replay) entre 8 et 15 minutes de moins par mois en 2014 par rapport à 2013. Si ces chiffres ne concernent encore que le "visionnage" sur poste de télévision classique (Médiamétrie ne fournit pas encore de données d'audience sur les autres supports), on sait néanmoins que seuls 6,3% des Français regardent la télévision (live et linéaire) sur d'autres supports[2] .

    ... et surtout moins de vidéo "à la demande"

    La télévision dite "linéaire" (le live) perd du terrain, mais ce qui frappe, c'est que le "non-linéaire" (également appelé "à la demande" : replay, VoD et SVoD) aussi, à contre-courant de toutes les idées reçues.

    Le marché global de la VoD et SVoD s'élève à 245 millions d'euros en 2013, accusant un repli de 5% sur un an. Le marché de la SVoD, qui ne représente que 11% du marché en France (versus 48,5% aux Etats-Unis) ne progresse "que" de 4,4% pour atteindre 28 millions d'euros en 2013 et ne compense pas la baisse des revenus de la VoD de 6,5% sur la même période, représentant un marché de 217 millions d'euros[3] .

    Il en va de même pour la télévision dite de rattrapage. Certes, le replay est le premier service utilisé sur les télévisions connectées à Internet[4] . Néanmoins, Médiamétrie fait état d'une baisse de la consommation globale (live et replay) de TV sur l'écran traditionnel de TV et il faut avoir en tête qu'en France, le replay est désormais visionné, majoritairement sur un poste de télévision[5] ! De fait, en termes de demande, près de 2,5 milliards de contenus ont été visionnés en rattrapage en 2013, en baisse de 2% par rapport à 2012[6] , alors même que l'offre de vidéo de rattrapage augmente plus vite en nombre de vidéos disponibles qu'en volume horaire[7] . Si les offres de replay sont donc plébiscitées par les Français, elles ne sont pas parvenues à "rattraper", sans mauvais jeu de mots, les téléspectateurs : ils utilisent de plus en plus souvent le replay sur leur écran de télévision, mais de moins en moins longtemps, sur des formats de plus en plus courts.

    Des freins, liés au contexte français, mais aussi une demande qui n'est que partiellement adressée

    Des raisons bien connues, qui tiennent pour beaucoup à "l'exception française", expliquent le désintérêt des Français pour les vidéos. Le marché français est très spécifique à au moins trois égards. Premièrement la fameuse chronologie des médias impose un délai de 36 mois entre la sortie d'un film en salles et sa disponibilité en SVoD (versus 6 mois aux Etats-Unis ou en Angleterre, en même temps que la fenêtre de TV payante), d'où un attrait pour ce type d'offres mécaniquement moins important qu'ailleurs. Ensuite, les Français reçoivent majoritairement la TV via leur FAI (ADSL ou fibre[8] ) et ont été "éduqués" très vite à la VoD, proposée de manière embarquée dans leurs portails TV FAI. Ainsi, le marché français de la VoD s'est structuré très vite, et est rapidement arrivé à maturité. Enfin, les prix de la VoD ou bien des bouquets payants étant relativement élevés, les Français se sont rabattus sur l'offre gratuite de la TNT - dont la disponibilité et la richesse est assez unique comparée aux autres pays - ou sur le piratage. De fait, le "share of wallet" dédié à la vidéo a fondu en France : le budget vidéo des foyers est ainsi passé de 95,80 ? en 2011 à 60,20 ? en 2013[9] .

    Néanmoins ces raisons n'expliquent pas à elles seules le relatif désintérêt des Français pour la vidéo. Il y a en effet fort à parier que ces derniers seraient prêts à réinvestir dans la vidéo - à périmètres règlementaire et technologique constants - si l'offre évoluait de manière plus adaptée à leurs usages, tant les nouveaux... que les anciens.

    D'autres raisons tiennent plus à l'inadéquation entre l'offre et la demande. Ce ne sont pas tant les usages qui se sont digitalisés que les supports. Les enfants regardent une vidéo numérique - sur TV ou tablette - comme nous regardions une cassette VHS, certes, mais ils continuent comme nous le faisions à vouloir la revoir en boucle. De même, le livre de recette traditionnel a pu laisser place à une tablette, avec l'enrichissement d'une vidéo tutoriel - néanmoins, cette recette doit pouvoir être consultée dans la cuisine, de manière espacée dans le temps.

    En conséquence, s'agissant des enfants par exemple, le modèle VoD atteint ses limites quand on connaît donc la propension de cette audience toute particulière à vouloir visionner de très nombreuses fois un même dessin animé par exemple. De plus, sachant que ces mêmes enfants sont souvent sensibles aux dernières tendances - donc au dernier dessin animé sorti en salle dont il est question en cour de récréation - le modèle SVoD (qui impose en France un catalogue dit "non frais") montre également ses limites. Restent les offres de téléchargement définitif (« EST » pour Electronic Sell Through), aujourd'hui proposées principalement par Apple via iTunes, et relativement onéreuses (entre 10? et 17? à l'achat pour un film récent sur iTunes).

    De manière plus globale, une partie importante de la demande, lorsqu'on la considère comme une cible donnée avec un usage particulier, n'est pas ou peu adressée par les offres actuelles.

    Sources :

    (1) Ce moteur de recommandation analyse les programmes favoris, le terminal utilisé, les plages de consommation. et générerait 75% des programmes visualisés selon les responsables de Netflix, loin devant le moteur de recherche ou les sélections manuelles - Source data-business.

    (2) Les Français ont dorénavant 6,5 écrans par foyers, 30% des foyers sont équipés en tablettes et 6,3% des Français regardent la TV (live ou délinéaire) sur ordinateur, smartphone ou tablette - Source : Guide du SNPTV 2014.

    (3) Source : CSA Les chiffres clés de l'audiovisuel français - Edition du 1er semestre 2014, Xerfi "Edition, location et distribution vidéo" - Edition du 1er septembre 2014.

    (4) 77% des téléviseurs sont « connectés » à Internet (via des box FAI, consoles, smart TV ou boitier OTT) et le premier service "connecté" utilisé est la catch-up (ou replay) pour 73% des utilisateurs - Source : Guide du SNPTV 2014.

    (5) Source : Médiamétrie - Edition du 8 Octobre 2014.

    (6) Source : CSA Les chiffres clés de l'audiovisuel français - Edition du 1er semestre 2014.

    (7) L'offre de vidéo de rattrapage augmente plus vite en nombre de vidéos disponibles (+32% en un an) qu'en volume horaire (+20% en nombre d'heures sur la même période) - Source : Guide du SNPTV 2014.

    (8) 39,7% des foyers reçoivent la TV par ADSL ou fibre, soit +9,5 points en deux ans, devant la TNT 31,3% (-10 points en deux ans) - Source : Guide du SNPTV 2014.

    (9) Source : GfK, Chiffres 2013 du marché des biens culturels.

    Retrouvez demain sur emarketing.fr la suite de la tribune de Véronique Pellet, de Kurt Samon : "Un nouveau modèle gagnant-gagnant permettrait de redynamiser français de la vidéo"


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