"Établir une conversation est peut-être la meilleure manière de communiquer", François-Xavier Germain (Monoprix)
Publié par Clément Fages le | Mis à jour le
Distanciation sociale, partenariat avec Deliveroo et préparation du déconfinement... François-Xavier Germain, directeur de la marque Monoprix, revient sur cette période inédite, sur la façon dont l'enseigne fait vivre sa marque au quotidien et prépare l'après.
Comme tous les acteurs de la grande distribution alimentaire, vous êtes sur le pied de guerre. Comment vivez-vous cette période ?
"Nous avons des journées bien chargées. D'une part car notre activité continue, de l'autre car nous devons adopter une communication de crise, basée sur énormément de réassurance, et susceptible d'évoluer au jour le jour. En effet, nous devons nous projeter en parallèle sur trois temporalités. D'abord, il y a le quotidien : quel événement change aujourd'hui la donne ? Quelle nouvelle mesure, quelle demande des clients ? Il faut adapter notre réponse, et la communication de cette réponse en permanence. Ensuite, nous devons imaginer le moment du déconfinement, dans plusieurs semaines. Il sera sans doute progressif, mais il faut se préparer à ce moment de bascule, en répondant à des questions très opérationnelles : quelle thématique commerciale pourra être conservée, ou annulée ? Il faut pouvoir déclencher ces dispositifs d'une semaine à l'autre. Enfin, il y a l'après, avec sans doute de nouveaux standards, et de nouvelles façons de faire ses courses. Hygiène, distanciation sociale, relation avec le magasin et son personnel... Que va-t-il en rester ?"
Comment tout cela impacte votre communication à l'heure actuelle ?
Plus que jamais, notre rôle d'utilité publique apparaît : nourrir la population. Nous nous focalisons là-dessus au moment de communiquer. Vous l'avez peut-être remarqué, mais nous faisons peu de jeux de mots en ce moment... Il ne faut pas se tromper de combat : faire vivre notre marque est important, mais l'essentiel pour l'instant est de rassurer les gens, de leur garantir qu'ils pourront trouver de quoi se nourrir, dans des conditions sécurisées pour eux et pour nos employés. Dans un premier temps, toutes les enseignes ont communiqué de cette manière. Dans un deuxième temps, nous avons pu constater que notre rôle d'utilité publique va au-delà du simple statut de commerçant : nous sommes aussi un intermédiaire. Il faut aider les producteurs à écouler leur production. Consommer est un acte d'utilité, et nous avons un rôle essentiel à jouer. Enfin, il y a un troisième niveau de réponse que nous pouvons apporter : chacun vit son confinement différemment. Je passe beaucoup de temps à regarder les réactions des gens à nos publications, et au-delà des questions et des réponses très factuelles, il y a aussi beaucoup de réactions plus légères sur la vie confinée. On parle des cours donnés aux enfants, de l'organisation parfois difficile du télétravail, des apéros organisés en visio... Alors que tous les concurrents communiquent sur les mêmes sujets, nous avons décidé avec notre nouvelle agence DDB de commencer à répondre aux internautes. Établir une conversation est peut-être la meilleure manière de de prendre la parole. Nous avons donc lancé une FAQ, sur notre site et sur nos réseaux sociaux, pour répondre aux questions les plus sérieuses mais aussi les plus légères, comme savoir si acheter des sous-vêtements est un achat de première nécessité... Cela nous permet d'avoir une approche plus holistique, et de renouer la conversation avec le public de Monoprix. Je pense que l'avenir du marketing est d'échanger avec une multitude, plutôt que de communiquer en masse.
Cette période est propice à l'innovation. Pensez-vous que des initiatives comme votre numéro vert pour la livraison de paniers ou votre accord avec Deliveroo vont perdurer ?
Nous en tirerons le bilan en sortie de crise. Encore une fois, l'idée prépondérante derrière ces initiatives est d'être utile. Après, je ne vais pas vous cacher que nous ne sommes pas rentables, et que c'est une solution complexe à mettre en oeuvre. Il faut aussi gérer les mécontentements... Ce qui va rester, c'est cette volonté d'être utile. Nous verrons ensuite quels sont les enseignements à en tirer en matière de parcours d'achat, et quelles fonctionnalités faut-il rendre pérennes. En ce qui concerne Deliveroo et le lancement d'Ocado (qui opère la solution Monoprix Plus, soit la livraison à J+1, ndlr), on sait que l'e-commerce sortira renforcé de cette crise. C'est malheureux, mais elle va initier le point de bascule que le secteur attendait, notamment en matière d'e-commerce alimentaire. Mais il sera temps de communiquer sur ces nouvelles solutions plus tard, la priorité aujourd'hui est de les rendre utiles.
N'est-ce pas tout l'enjeu actuel pour les acteurs du marketing ? Alors que la RSE est devenue essentielle ces deux dernières années et que les budgets marketing risquent d'être réduits du fait de la récession, n'en revient-on pas à l'essentiel : l'utilité comme coeur du marketing ?
Oui c'est certain. Je pense par exemple à notre service coupe-fil, dont nous avions fait la promotion en 2019, mais qui n'a jamais été aussi pertinent qu'aujourd'hui ! Nous allons à nouveau communiquer dessus, mais nous avions déjà l'intuition que cela répondrait à un vrai besoin. Et en matière de RSE, j'espère que de nombreuses choses vont rester, de l'approvisionnement en France à la plus grande transparence sur les filières de production. On ne peut plus faire l'économie d'être engagé, mais cet engagement doit être sincère, transparent et surtout admettre ses failles. Aujourd'hui, nos interactions sur les réseaux sociaux ont explosé, et si un distributeur dit quelque chose qui est trop éloigné de la réalité, il sera disqualifié en masse. Ce qui ressort de cette crise, c'est un lien social qui devient de plus en plus paradoxal. Nous oscillons entre êtres solidaires et être solitaires. La solidarité s'exprime partout, mais pour autant, cette solitude s'exprimait déjà avant le confinement. Avec notre service de livraison de paniers, nous essayons de nous rendre utiles dans ce contexte. Mais je me demande ce qui va en rester ensuite ? Quelle sera la nouvelle normalité entre les gens demain ? Et comment arriverons-nous à nous inscrire dans cette nouvelle réalité. Ce sont des réflexions que je trouve très intéressantes, et sur lesquelles nous serons forcés de nous pencher.