Chronotopie : quand les marques se jouent de l'espace et du temps
Publié par Fiona Gentilleau le | Mis à jour le
La chronotopie prône l'amélioration de l'exploitation des espaces et du temps pour les acheteurs. Modification du parcours d'achat avec une évolution des locaux, utilisation différenciée des magasins en fonction des heures... L'espace et le temps deviennent la clé d'une expérience client réinventée.
Chaque chose en son temps et en son lieu. La chronotopie rapproche deux notions : le temps et le lieu. Appliquée au commerce, c'est l'idée selon laquelle les espaces commerciaux ont différentes fonctions au cours du temps et qu'ils vont même jusqu'à évoluer, se digitaliser et se déplacer chez le consommateur. Depuis le début de la crise sanitaire, le magasin est entré dans le salon des clients. C'est le pari que les Galeries Lafayette ont relevé en lançant en mai dernier leur "live shopping". Le service propose aux clients de se connecter depuis chez eux en live avec un personal shopper. Grâce à une caméra, les clients sélectionnent les articles en magasin et sont conseillés par un professionnel sans même se déplacer. Après un mois, ce concept a enregistré plus de 1 100 lives. Les Galeries Lafayette ont ainsi privilégié un format de proximité rassurant le consommateur dans son parcours d'achat tout en lui faisant économiser du temps.
En réalisant l'étendue des attentes de leurs clients, les marques ont repensé leur rôle tout au long de la crise sanitaire et proposent désormais des solutions basées sur le principe de la chronotopie. Comment les marques peuvent-elles exister au-delà des ventes et des produits ? Digitalisation pour atteindre le client chez lui, développement du commerce de proximité grâce aux marketplaces, ateliers divers dans des concept stores, magasins privilégiant le bien-être du client dans son parcours d'achat... De multiples solutions jouant sur le temps comme sur l'espace permettent aux marques de réaffirmer leur positionnement et leur utilité auprès des consommateurs. Ces derniers, plus exigeants, souhaitent davantage d'engagement : les marques doivent prouver qu'elles peuvent divertir, protéger, soutenir et innover dans un nouveau monde.
Marketplaces, drives, concept stores... Les retailers s'adaptent
Avec la multiplication des restrictions - couvre-feu divers, confinements et généralisation du télétravail -, les activités des consommateurs ont été totalement bouleversées. Les habitudes de consommation évoluent et les marques saisissent l'importance du temps passé en magasin. Il y a un réel besoin pour les marques et enseignes de travailler sur la qualité du temps en magasin, voire de travailler sur l'absence de temps passé en magasin. Les consommateurs ont plébiscité les formats de proximité, les marketplaces ou encore le drive. Ce dernier, qui constitue un gain de temps considérable, a d'ailleurs connu une augmentation de 40 % en 2020 selon L'Observatoire de l'innovation commerciale Scops, mené chaque année par les étudiants du master Distribution et Relation Client de l'Université Paris Dauphine-PSL. Le drive s'est d'ailleurs développé dans des domaines comme le sport grâce à Intersport, le bricolage avec Leroy Merlin et a conquis des territoires locaux.
On constate, avec cette crise et ce besoin d'accélération, que les retailers ont dû s'adapter. Qui n'a jamais été contrarié par la foule dans un magasin ? Le temps passé à piétiner pour trouver le bon produit, le tout dans une ambiance chaotique, rend l'expérience en magasin douloureuse et pesante. Les étudiants de l'Université Paris Dauphine-PSL s'accordent à dire que le shopping réunit deux temps : le temps douleur et le temps plaisir. C'est le fer de lance de nombreux retailers qui cherchent à donner l'impression au consommateur de perdre moins de temps en magasin. Il est nécessaire pour les marques de réduire ce temps douleur afin d'augmenter et d'améliorer le temps plaisir. Pour modifier cet usage, plusieurs marques et enseignes diversifient leurs fonctionnements et proposent aux consommateurs des temps et des espaces différents selon l'heure de la journée, mais aussi au fil des jours. Blackbox de Monoprix ou encore Boxy se rapprochent du concept d'Amazon Go développé aux États-Unis. Le principe ? Fluidifier l'expérience en magasin en proposant des shops 100 % automatisés ouverts 24h/24. Le client s'identifie grâce à un QR code, récupère ses articles et ressort, son reçu arrive directement sur son smartphone. La proposition d'un magasin ouvert à chaque heure de la journée laisse à l'acheteur le choix du temps et de l'espace, une option que de plus en plus de géants de la distribution envisagent.
Des solutions qui correspondent à la population
Nous connaissons tous la fameuse place de village qui accueille le marché du mardi, le discours d'un élu le vendredi ou encore la traditionnelle fête foraine les samedis et dimanches : c'est là que la vie se crée. La chronotopie, c'est finalement une tendance qui existe au sein de l'espace urbain depuis des dizaines d'années. Appliquée au monde du retail, les espaces évoluent et passent d'un simple magasin le matin à un espace de coworking ou à une cuisine l'après-midi. Avec la crise, les magasins ont développé des temps différents au sein des espaces, à l'instar de Super U qui a mis en place des horaires spécifiques durant la crise sanitaire pour les personnes âgées, handicapées ou encore les femmes enceintes. Une initiative suivie de près par Carrefour qui a également publié une campagne mettant en avant son initiative d'heure silencieuse pour les personnes atteintes d'autisme.
Depuis quelques années déjà, au Royaume-Uni et en Australie, les chaînes de supermarchés Tesco et Coles ont lancé le concept d'heures silencieuses permettant d'accueillir les consommateurs autistes et handicapés. Les surfaces aménagent spécialement les lieux durant ces heures en réduisant la luminosité et le volume sonore. En septembre 2019, Nadia Essayan, femme politique française, membre du MoDem, a déposé une proposition de loi visant à généraliser ce concept d'heure silencieuse. Celle-ci a été adoptée le 28 janvier dernier. Les supermarchés français d'une surface supérieure à 1 000 mètres carrés devront donc, chaque semaine, et pendant une heure, mettre en place l'heure silencieuse, et ce dès 2022. Selon l'Observatoire de l'innovation commerciale Scops, mené par les étudiants du master Distribution et Relation Client de Paris Dauphine-PSL, intégrer le facteur temps au coeur des stratégies des marques est nécessaire pour rester pérenne.
Plus les marques travaillent sur le temps plaisir permettant d'améliorer l'expérience client, plus celles-ci peuvent engager les consommateurs et les diriger vers une expérience immersive et optimisée. Comme pour la chronotopie urbaine, la chronotopie appliquée au monde du commerce doit se fonder sur des cadres adaptés aux réalités locales, générant ainsi de nouvelles dynamiques économiques et sociétales. Plus que des lieux de vente, les magasins deviennent des lieux de vie, le physique et le digital se mélangent pour répondre au mieux aux attentes des consommateurs.