Les limites de la publicité "engagée": l'actu marketing vue de l'étranger
Publié par Lauranne Provenzano le - mis à jour à
Passage en revue de la presse marketing étrangère, pour découvrir le meilleur de ce qui se dit et se fait ailleurs. Cette semaine: les marques qui brandissent des valeurs humanistes ne sont pas toujours légitimes à le faire et ne doivent pas oublier l'objectif initial du marketing: vendre.
#1 Purpose-driven marketing : stratégie gagnante ou effet de mode ?
On ne compte plus les entreprises qui s'engagent publiquement pour telle ou telle cause (sociale, environnementale, politique), au prétexte que les consommateurs adhéreraient davantage aux marques qui portent un discours aux valeurs proches des leurs. "Dans ce marketing engagé le produit doit, au-delà de son strict usage, apporter un supplément de sens au consommateur. Les produits sont calibrés sur les engagements de l'entreprise, qui définissent la raison d'être de la marque", explique Business2Community.
C'est le cas de l'équipementier Wilson qui, à travers sa communication, met l'accent sur la transmission des valeurs sportives entre les générations."Wilson ne fabrique pas seulement des fournitures de sport mais crée des souvenirs", analyse Adam Fridman de l'agence de marketing digital Mabbly.
Une stratégie désormais si répandue dans le marketing, qu'elle pourrait bientôt lasser le public. D'autant que beaucoup de consommateurs ne s'intéressent absolument pas à la "raison d'être" d'une marque, comme l'a récemment prouvé l'échec de la campagne #RaceTogether de Starbucks, qui voulait encourager les discussions autour des questions raciales.
La bonne vieille méthode qui consiste à axer les campagnes sur les caractéristiques et avantages des produits et services demeure la plus raisonnable. "Caractéristiques et avantages qui peuvent - et même devraient - inclure un engagement plus grand, en phase avec les valeurs des consommateurs ciblés. Identifier ces valeurs, s'aligner avec elles et les proclamer sans heurter un large segment de son audience est déjà assez délicat comme ça".
#2 Toutes les marques n'ont pas à devenir Dove !
N'est pas Dove qui veut. C'est, en substance, ce que les marques devraient avoir à l'esprit avant de vouloir à tout prix s'engager pour défendre une cause, estime The Drum. "Ceux qui cherchent à imiter le succès d'une marque comme Dove sous-estiment souvent le haut degré d'authenticité et d'engagement requis pour réussir dans cette voie".
Un spot publicitaire, un soutien affiché à un combat social, éthique ou politique, ne suffisent pas pour s'inscrire durablement dans le changement. "Il faut un engagement au long cours. Vous devez vraiment apporter quelque chose à cette cause au lieu de vous contenter de la mettre en lumière", conseille ainsi James Hayr, directeur des ventes internationales d'Endemol Shine.
Avant d'accaparer un sujet, les marques doivent prouver qu'elles sont légitimes à en parler, sous peine de se voir désavouées par le public, comme l'a été Pepsi en tentant de s'approprier le mouvement Black Lives Matter dans un but commercial. Parfois, "les marques feraient mieux de se taire".
Guillaume Conteville, à la tête du marketing de Mastercard, estime néanmoins que les entreprises ont une sorte d'obligation sociale et morale vis-à-vis de leur communauté. "Nous devons chercher à avoir un impact positif et ce, que notre entreprise fasse ou non quelque chose de positif".
Une mission plus facile à réaliser pour certains. Mike Dando, responsable EMEA de la publicité et de la promotion chez Epson, suggère que la capacité à aligner une marque sur des objectifs positifs dépend surtout du produit qu'elle promeut:"vous ne pouvez pas faire ça si vous vendez des grille-pain".
#3 Le marketing est fait pour vendre, pas pour s'engager
Dans son dernier film publicitaire "Open Your World", Heineken tente de rapprocher des personnes diamétralement opposées autour d'une bière. Mais, rappelle Marketing Week, "cette nouvelle publicité a beau exprimer de belles valeurs, les marketeurs doivent se souvenir que s'ils n'utilisent pas leur budget pour faire des ventes, ils auront échoué".
Malgré une importante couverture média et de nombreuses conversations suscitées sur les réseaux sociaux, Mark Ritson, professeur de marketing, estime qu'Heineken a fait fausse route. "Je soutiens tous les points de vue exprimés dans cette pub, les droits des personnes transgenres, le féminisme et le changement climatique (...) Mais je ne vois pas ce que ces sujets importants et cette excellente bière ont à faire ensemble".
Selon lui, le propos défendu pourrait tout aussi bien l'être par n'importe quelle autre entreprise. D'autant que la marque n'est jamais citée et qu'on ne la voit que fugitivement. Dès lors, elle n'engage pas le consommateur et ne valorise pas le produit.
Le marketing n'assumerait plus sa vocation première et préfèrerait afficher engagements et idéaux, supposant que ces valeurs lui sont plus profitables. "La profession s'est étrangement détachée de ses objectifs commerciaux ces dernières années", alors que le profit et les ventes devraient guider les marketeurs.
Ce qui manque à ce spot, c'est donc un élément différenciant, quelque chose qui valorise le produit final et l'identité de marque. Car "Heineken n'est pas seulement cette bière populaire, verte, que vous pouvez acheter à tout instant. Mais ce n'est pas non plus un promoteur de l'harmonie dans le monde. C'est quelque chose entre les deux".