Clubhouse : est-ce le début de la fin ?
Publié par Floriane Salgues & Clément Fages le | Mis à jour le
Avec 12 millions de téléchargements dans le monde en mars 2021, Clubhouse est l'application sélecte à la mode. Est-ce déjà fini ? Le réseau social audio, accessible sur invitation, voit le nombre de ses téléchargements en chute libre en avril : -72%. Reste que Clubhouse vaut 4 milliards de dollars.
Les discothèques restent fermées et pourtant... tout le monde semble vouloir entrer dans le "club". Difficile, d'ailleurs, de ne pas noter un lien conjoncturel, tant le besoin d'échanges IRL (in real life ou dans la vraie vie) est entravé par les restrictions liées à la crise de la Covid-19. Accessible uniquement sur invitation, Clubhouse suscite la curiosité et l'engouement. Le réseau social "audio" - les utilisateurs échangent uniquement par la voix dans des "chat rooms" - se veut sélectif... donc attirant. Enfin, ça, c'était en mars 2021.
Le nombre de téléchargements de Clubhouse dans le monde est, ainsi, passé de 3,5 millions au 1er février à 12 millions au 7 mars (selon App Annie, mars 2021). Une belle performance, sachant que l'app n'est disponible que sur iOS, l'environnement d'Apple (mais n'est-ce pas là son plus gros handicap ?). Clubhouse est, sur la même période, la troisième application la plus téléchargée dans le monde, derrière les médias sociaux WhatsApp et Facebook. Encore loin du phénomène TikTok, qui devrait, selon l'entreprise spécialisée dans la mesure d'audience mobile, atteindre 1,2 milliard d'utilisateurs actifs par mois en 2021, Clubhouse attire l'attention en raison de ses spécificités : un modèle fondé sur la voix et l'écoute (qui le différencie des autres réseaux sociaux) et un côté "club VIP" où cohabitent utilisateurs invités et personnalités influentes, telles qu'Oprah Winfrey, Elon Musk et Mark Zuckerberg. Aux États-Unis, l'application dépasse ainsi les 3,1 millions de téléchargements (toujours selon App Annie). La tendance prend particulièrement au Japon (1,8 million de téléchargements), en Allemagne (710 000), au Brésil (600 000) et en Italie (420 000) ; tandis que la France demeure, pour l'instant, en retrait avec seulement 107 000 téléchargements.
Mais, depuis le mois d'avril, les téléchargements sont en chute libre, selon la société d'analyse de trafic, Sensor Tower : - 72 % en un mois. Un "simple" passage à vide ? S'il y a bel et bien urgence à ce que Clubhouse s'ouvre aux utilisateurs d'Android, l'application se porte bien financièrement : le 19 avril, le réseau a réalisé une levée de fonds valorisant la société à 4 milliards de dollars. La baisse des téléchargements n'effraie donc pas encore les investisseurs. Clubhouse inspire même d'autres réseaux sociaux. Twitter a annoncé, début mars, le lancement d'une application basée sur le modèle des salles de discussions virtuelles : "Spaces", téléchargeable sur Android (et en bêta sur iOS). Si les utilisateurs n'ont, pour le moment, que la possibilité d'écouter, le réseau social promet qu'il sera possible de créer des "espaces" audio. L'écosystème Facebook n'est pas en reste. Le groupe a lancé sur Messenger, sur le même modèle que Zoom, des "salons" qui peuvent rassembler jusqu'à 50 personnes, soit en mode privé (avec ses proches), soit en mode ouvert (un événement public où il est possible de dialoguer entre utilisateurs). Facebook serait aussi en train de développer un produit de chat audio.
Sélecte, donc hype ?
La plateforme de chat vocal, lancée en mars 2020, en phase test, par deux ingénieurs de la Silicon Valley, Paul Davison et Rohan Seth, donne accès à des conférences en direct dans des "rooms" d'une capacité de 5 000 personnes maximum. Sur des sujets variés tels que la foi, les arts, le bien-être, la tech, le sport, le divertissement, notamment. Mais, pour accéder gratuitement à ce contenu varié, encore faut-il avoir reçu la cooptation de l'un des membres de l'application. C'est ce qui fait tout le sel de Clubhouse, comme l'explique Guillaume Doki-Thonon, CEO et cofondateur de Reech, solution d'influence marketing : "Le côté hype du système d'invitations crée de l'engouement. D'autant plus que les conférences n'étant pas enregistrées, l'application joue sur le Fear of Missing Out (FOMO, ndlr), la peur de manquer quelque chose. Si Clubhouse décide de rester sur ce modèle, l'app pourrait se positionner comme un réseau social d'apprentissage sur son métier ou son activité, concurrent de LinkedIn et, pour partie, de Twitter, plus que des autres réseaux grand public."
Mais, si la plateforme fait le choix de se passer de la cooptation, comme elle l'a déjà évoqué, elle gagnerait, certes, en nombre d'utilisateurs, mais prendrait le risque de perdre en convivialité. "C'est un moment pivot pour Clubhouse, confirme Guillaume Doki-Thonon. Pour le moment, les utilisateurs gravitent essentiellement dans les milieux du marketing, de la communication ou encore des start-up. Un entre-soi, bien poli et sans troll, donc forcément plus qualitatif et sans dérives. La modération devra être à la hauteur si le réseau s'ouvre."
Reste, aussi, si l'application en vogue souhaite poursuivre sa croissance, à régler les failles de sécurité quant aux données personnelles de ses utilisateurs, pointées notamment par Stanford Internet Observatory. Aussi, les métadonnées des utilisateurs ne seraient pas chiffrées et transitent par les serveurs de la société chinoise Agora. "Clubhouse est une très mauvaise idée pour les utilisateurs particuliers, et ce pour plusieurs raisons, explique la société Avira, spécialisée dans la sécurité informatique, dans un communiqué. Premièrement, l'application enfreint plusieurs exigences légales sur la confidentialité des données. Deuxièmement, elle demande aux utilisateurs d'enfreindre la loi en fournissant l'accès à leur carnet d'adresses pour inviter leurs amis à utiliser la plateforme, y compris les numéros de téléphone."
Sur la voie de la voix
Pour autant, le nouveau réseau séduit les marques. Restaurant Brands International (RBI), la maison mère d'enseignes de fast-food, comme Burger King et Popeyes, a organisé, quelques jours après la publication de ses résultats annuels, début février, une room pendant laquelle ses dirigeants ont échangé avec les utilisateurs de l'application pendant plus d'une heure. Nommée "Open Kitchen", l'opération avait été annoncée sur LinkedIn par Fernando Machado, CMO de RBI, et a rassemblé 130 personnes, des employés de RBI aux journalistes en passant par des attachés de presse. Le 8 mars, c'était au tour des responsables marketing de l'enseigne Chipotle et E.l.f Cosmetics d'investir le réseau à l'occasion de leur surprenante collaboration pour parler de maquillage, de burritos et de droits des femmes.
Pour les marques, l'intérêt de Clubhouse, outre de créer une conversation directe avec des utilisateurs, et ainsi faire remonter sans filtre de précieux insights, réside dans la grande polyvalence de cette plateforme, qui peut remplacer un webinar comme un podcast, ou un événement exclusif impossible à organiser pendant la pandémie. D'autant qu'"il est techniquement très simple de lancer une room, précise le CEO de Reech, alors que le podcast nécessite du matériel et des compétences techniques. Clubhouse a ouvert la voie de la voix, et donc des vocations."
Toutefois, le réseau a encore du mal à se démocratiser en France, où il reste le terrain de jeux de quelques initiés : on peut y croiser Xavier Niel, Cédric O, Omar Sy ou, encore, Jamel Debbouze. Chez les entrepreneurs Anthony Bourbon, le fondateur de Feed., marque de repas en barres, sachets ou bouteilles, fait figure de modèle. Avec des affluences de 500 à 1 000 utilisateurs sur certaines de ses rooms et un gain d'abonnés équivalent à 1 000 personnes par jour, Anthony Bourbon a rapidement fait du nouveau réseau un axe majeur de sa stratégie de contenu et espère passer le cap des 100 000 abonnés d'ici à deux ou trois mois. "Feed. est en train de devenir un média ! Nous sommes très impliqués sur le réseau, avec l'animation de trois rooms chaque jour au minimum. Nous invitons des experts d'un sujet et abordons aussi des thèmes très généralistes." Le 24 février dernier, Feed. a accueilli un patron du CAC 40. L'occasion d'un échange entre Anthony Bourbon et son invité pendant une trentaine de minutes, avant d'ouvrir la discussion avec les utilisateurs connectés. "Étant donné notre implication et notre communauté, nous attirons naturellement les gens qui veulent prendre la parole sur le réseau", réagit le fondateur de Feed., dont la marque "cohéberge" les "top rooms" françaises et a rédigé un livre blanc de "20 conseils pour conquérir ce réseau social". L'une des bonnes pratiques, selon Feed. ? "Pour créer des rooms pertinentes, préparez un thème global avec une liste de sujets précis à aborder pour relancer le débat. Mettez un titre attractif (attention le nombre de caractères est limité)."
Le sponsoring de rooms ne devrait pas tarder
"Par rapport à Instagram où il est très difficile de créer un vrai lien de proximité avec ses audiences, Clubhouse est très en phase avec notre cible : de jeunes urbains avides d'échanger sur des sujets variés, comme l'alimentation, le sport ou l'entrepreneuriat, poursuit Anthony Bourbon. Nous ne nous positionnons pas comme une marque alimentaire, qui apporte tous les besoins nutritionnels d'un repas en un seul produit simple d'utilisation, mais comme un moyen de se dépasser pour accomplir ses objectifs, et voulons être une marque inspirante, qui offre à ses abonnés du contenu de qualité. C'est ce qui nous différencie par la suite de la concurrence". Résultat : des rooms aux thématiques hétéroclites, à cheval entre actualité et inspiration, telles que "L'ambition est-elle plus importante que le talent ?" ; "Natalité - Culture - MLP - Astra Zeneca" ou, encore, "Foodtech : vers une consommation responsable".
À l'instar de Feed. ou de Merci Handy, les marques pionnières sur Clubhouse ne sont autres que les Digital Native Vertical Brands (DNVB), plus audacieuses et conscientes "que la communication doit dépasser le produit, glisse Guillaume Doki-Thonon, en parlant de l'histoire de la marque ou de l'origine des matières premières". La marque de cosmétiques pour hommes Horace a ainsi choisi d'y ouvrir une room, le 4 mars, pour le lancement d'une nouvelle gamme de produits anti-chute de cheveux, tout en amenant la discussion sur les causes de la chute capillaire et des conséquences sur l'estime de soi.
Si le contenu inspirationnel demeure la norme sur le réseau (surtout aux États-Unis), "la présentation de produits est une tendance que nous commençons à observer sur Clubhouse. Nous pensons que le sponsoring de rooms ne devrait pas tarder à suivre", complète le professionnel, qui reste plus interrogatif sur l'opportunité de générer de l'impression de marque grâce à de l'influence. "Il n'est pas évident que le nom d'une marque cité à l'oral par un influenceur puisse réellement être mémorisé par les auditeurs." Reste alors à proposer une vraie expérience, au risque sinon d'être mis "en mute". Dans les rooms lancées par le caviste Lavinia, il est, par exemple, possible de participer, en live, à une dégustation de spiritueux (gin, whisky et rhum) après avoir récupéré son kit dédié auprès de l'enseigne. Bienvenue au club ?