« Il faut unir la créativité publicitaire et les sciences du marketing », Richard Rosen, expert en marketing et en communication
Publié par Dominique Fevre le
À l'occasion de la convention de la DMA, Richard Rosen, un des gourous du marketing américain, livre en exclusivité à Emarketing.fr sa vision du marketing et de la publicité.
350 exposants, 130 conférences et ateliers… Pour sa 94e édition, la convention de la Direct Marketing Association (DMA) a réuni, du 1er au 6 octobre, plus de 10 000 visiteurs à Boston lors d’un grand show dont seuls les Américains ont le secret.
Au cours de la cérémonie d’ouverture, le 1er octobre, Lawrence M. Kimmel, le CEO de la DMA, a rappelé aux participants qu'ils vivent « une époque extraordinaire marquée par l'immédiateté, la pertinence et la transparence ».
Durant la convention, les speakers ont surtout insisté sur le fait que les marques devaient aujourd'hui davantage écouter les conversations de leurs consommateurs pour être capables de les fidéliser.
ENTRETIEN AVEC RICHARD G. ROSEN, auteur du livre “Convergence marketing”
À l'occasion de cette manifestation, Richard G. Rosen, consultant reconnu au plan international et auteur du livre “Convergence marketing”, a répondu aux questions d'Emarketing.fr. Invité régulièrement aux Cannes Lion, il milite pour fusionner la créativité publicitaire et les techniques scientifiques du marketing direct. Agé de 57 ans, il a travaillé au cours de sa carrière pour des clients comme Dell, IBM, MetLife, 3M, Disney, PGE, U.S. Bank.
Comment les marques peuvent-elles aujourd’hui gagner la confiance des consommateurs ?
Je pense que l’avenir appartiendra aux marques qui s’impliqueront, d’une manière ou d’une autre, dans la responsabilité sociale. Aux États-Unis, près de 40 % des femmes achètent déjà auprès d’enseignes jugées socialement responsables. Le nombre d’entreprises qui mènent des actions dans ce sens augmente. La marque Ben & Jerry’s, par exemple, reverse un pourcentage de ses ventes aux ONG qui travaillent en faveur de la paix dans le monde.
Et ce n’est pas simplement parce que Richard Branson, le fondateur de Virgin est à la fois cool et beau garçon que les Américains l’apprécient. C’est parce qu’il milite depuis des années pour le recyclage des déchets. Or, cette sympathie pour l’homme est automatiquement bénéfique à ses entreprises.
Pouvez-vous nous citer une marque qui se distingue par sa politique “socialement responsable” ?
La démarche de la marque de crackers Triscuit me paraît, en la matière, assez exemplaire. Il faut être clair : cette marque du groupe Nabisco n’a aucune spécificité par rapport à ses concurrentes et ne fait jamais que fabriquer et vendre des biscuits apéritifs. Pourtant, Triscuit a su se distinguer en créant l’opération “Plant a seed, grow a movement. Triscuit Home Farming”. En collaboration avec l’association à but non lucratif Urban Farming, elle a financé l’implantation de 50 fermes communautaires sur des friches inutilisées, et elle a distribué des graines dans ses paquets de biscuits pour que les gens puissent cultiver leur petit potager. Sur un site et une page Facebook spécifiques à cette campagne, chaque jardinier en herbe peut apprendre, voir ses progrès et les faire partager aux autres. La marque a réussi à provoquer de la sympathie autour d’une bonne cause : utiliser des terres à l’abandon pour produire soi-même ses légumes et plantes aromatiques.
Comment réussir à créer un lien durable avec le consommateur ?
Aujourd’hui, les consommateurs regardent au-delà du produit lui-même. La marque doit signifier quelque chose pour le consommateur et provoquer une émotion ou un sentiment. Au cours des trente dernières années, les entreprises se sont attachées, à tort ou à raison, à acquérir des clients. Elles ne s’intéressaient pas tellement à la fidélisation. La publicité servait à asseoir la notoriété de la marque, mais aujourd’hui ce modèle est révolu. La publicité doit engager le consommateur vis-à-vis de la marque. De client, il doit devenir partenaire.
Comment faire ?
L’entreprise doit fournir aux consommateurs des contenus pertinents et impliquants, qui le concernent directement.
Prenons l’exemple de la marque d’aliments pour chiens Pedigree, du groupe Procter & Gamble. A priori, ses produits ne diffèrent guère de ceux proposés par la vingtaine d’autres fabricants présents aux États-Unis. Mais la marque a réussi à fédérer une communauté d’amoureux des chiens. Sur son site, chaque propriétaire trouve informations, conseils pour soigner, nourrir, dresser, etc. son animal, notamment au travers de vidéos. Ces contenus sont régulièrement mis à jour et enrichis. Chaque jour, l’internaute qui va sur le site de Pedigree apprend quelque chose de nouveau. La marque a réussi à susciter une réelle empathie auprès de ses clients en faisant des dons aux refuges pour animaux et en leur fournissant gratuitement de la nourriture. Cet engouement se vérifie sur sa page Facebook.
Les marques ont donc vraiment intérêt à veiller à la pertinence des contenus…
C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui les consommateurs sont très bien informés via les réseaux sociaux. Ils n’acceptent plus que les marques leur mentent. Quand on voit aux États-Unis des entreprises comme BP ou Exxon qui parlent d’énergie solaire ou de développement durable, on a peine à les croire. Les Américains savent bien que leur business, c’est le pétrole.
Dans l’avenir, les marques devront pousser la transparence jusqu’à montrer la provenance des composants qui entrent dans la fabrication de leurs produits.
Pour vous, il n’y a pas lieu de séparer publicité et marketing, pourquoi ?
Ces deux disciplines sont indissociables, car les agences réalisent des campagnes publicitaires absolument magnifiques pour que les consommateurs reconnaissent la marque ; mais il faut ensuite transformer cette reconnaissance en engagement. C’est pourquoi, à mon avis, la convergence entre publicité et marketing est incontournable. Une très jolie carrosserie ne sert à rien s’il n’y a pas de moteur sous le capot…
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Cela veut dire que la publicité ne se suffit pas à elle seule. Elle doit s’accompagner d’un bon dispositif marketing. Cela implique aussi que le marketing soit en phase avec le message publicitaire. Je vais vous donner un exemple récent. En début d’année, Chrysler a réalisé une campagne télévisée remarquable. Son slogan : “Imported from Detroit” a eu un très fort impact sur les Américains. La publicité a suscité une grande et réelle empathie dans la population. Or, quand le consommateur allait sur le site de Chrysler, il se retrouvait sur un banal catalogue de vente en ligne… Le fossé entre l’image véhiculée, l’émotion provoquée par la publicité et le contenu du site web était énorme. On passait sans transition d’une belle et grande idée à un simple outil commercial sans aucun lien affectif avec le consommateur.
L’erreur de beaucoup d’organisations ? C’est de faire travailler les publicitaires d’un côté et les marketeurs de l’autre. L’entreprise qui réunira la créativité publicitaire et les sciences du marketing au service de sa marque aura plus de chances de réussir qu’une autre. Et encore davantage, si elle s’engage dans une vraie démarche de responsabilité sociale.