Retail et consommation: quel lendemain ?
Publié par Clément Fages le - mis à jour à
Que va-t-il rester de ces deux mois et demi de vie confinée ? Pour beaucoup, ce moment fut l'occasion de tester de nouveaux modes de consommation. Reste à savoir si ce n'était qu'une parenthèse ou un basculement durable, et quelles en seront les conséquences pour le retail.
" Cette crise a inversé la pyramide de Maslow, en exacerbant les besoins primaires ", analyse Estelle Mège, directrice générale d'Architecture (Agence W). En donnant du temps aux gens, en les habituant à faire avec ce qu'ils trouvent en rayon, en rendant l'approvisionnement physique plus difficile, en mettant en exergue "les rouages de la chaîne économique mondialisée", selon l'expression de Grégoire Weil, directeur général de Walk (Agence W), et en favorisant les circuits courts et solidaires, cette période a accéléré les tendances du e-commerce, du made in France, du local... "Selon Nielsen, 66% des Français sont prêts à une plus grande frugalité dans leur consommation ", ajoute Grégoire Weil. À l'heure où l'on redécouvre les bienfaits des fruits et légumes de saison et où l'on doit faire plusieurs magasins pour trouver de la farine, "les Français vont à l'essentiel. Tant pour gagner du temps que pour éviter la foule. Et les enseignes qui proposent des paniers de produits essentiels l'ont bien compris ", avance Estelle Mège. Celles qui vont plus loin en proposant le click and collect ou la livraison aussi : sur les deux dernières semaines de mars, les livraisons à domicile ont augmenté de 59% selon Nielsen. Cela concerne 31% des Français, et c'était une première pour 17% d'entre eux. De même, l'utilisation du drive a augmenté de 62% sur la période. 48% des Français l'ont utilisé, et c'était la première fois pour 19% d'entre eux. Au total, 33% des Français ont pu découvrir une alternative aux courses en magasin pendant le confinement.
55 milliards d'euros confinés
Ces tendances vont-elles donc survivre au déconfinement ? Sans doute. Et quel rôle pour les marques, alors qu'un paquet de pâtes en vaut bien un autre, et qu'on découvre finalement que l'on peut se passer de certains produits ou faire aussi bien soi-même ? Que faut-il penser de la prise d'assaut du magasin Hermès de Guangzhou, qui a fait des records de ventes après le déconfinement, ou des embouteillages aux drives, tout juste rouverts pour tests, des McDonald's ? " Les gens ont besoin de leur madeleine de Proust, d'une consommation qui rappelle l'état précédent à la crise ", selon Estelle Mège. " Beaucoup de Français de notre panel nous disent qu'ils comptent reprendre la consommation qu'ils avaient auparavant ", expliquent Nathalie Vidor et Laure Benaroya de l'agence June Marketing, qui a mis en place un panel représentatif de 100 personnes dès le début de la crise. " Ceux qui vont surconsommer vont compenser un sentiment de frustration et vont vouloir se faire plaisir, et exercer à fond cette liberté de consommer enfin retrouvée. Mais il y en a aussi beaucoup qui se rendent compte que l'on peut se passer de beaucoup de choses et qui vont se contenter de l'essentiel, avec en trame de fond l'envie de changer notre société, tant sur le plan environnemental que sociétal. " Mais alors, que vont faire les Français de leur trésor de guerre, eux qui ont épargné au moins 55 milliards d'euros entre la mi-mars et la mi-avril selon l'OFCE. " Il faut distinguer plusieurs populations, qui n'ont pas vécu la crise de la même façon, explique June Marketing . D'un côté, il y a les familles, qui sortent du confinement très éprouvées, tant financièrement que mentalement, alors qu'il a fallu prendre en charge les enfants toute la journée. Il faudra les aider, via des offres. D'un autre côté, il y a les jeunes, qui eux ont réalisé beaucoup d'économies et ont été privés pendant des semaines de loisirs et de sorties. Ce sont sans doute eux qui ont le plus le désir et les moyens de consommer. " Mais pendant combien de temps ? 31% des Français estiment que leur revenu personnel s'est réduit depuis le confinement, selon Kantar. 28% ont du mal à finir le mois, et pour 14%, c'est au moment de faire les courses que ces difficultés se font le plus ressentir.
Vers quelle expérience en magasin ?
Les enseignes devront redoubler d'efforts pour rassurer leurs clients : désinfection des mains à l'entrée, parcours fléchés, marquage au sol ou répétitions des messages de prévention. " Il faut trouver un juste milieu entre le besoin de réassurance des consommateurs et le risque de rendre l'expérience d'achat trop anxiogène. Le bon sens prédomine : on désinfecte les locaux, on limite la manipulation des articles... Leroy Merlin est un bon exemple. L'enseigne a été parmi les premières à rouvrir en proposant le click and collect sur ses parkings, et peut aujourd'hui fonctionner dans de bonnes conditions : il y a une grande vigilance à l'entrée et en caisse, on croise très peu de personnel en rayon, le réapprovisionnement se fait en dehors des heures d'ouverture. A également été mis en place un chat, et affiche dans ses rayons un numéro de téléphone pour contacter ses conseillers ", explique Estelle Mège. En ce sens, la technologie apparaît comme une solution : des applications permettant de scanner ses produits et de les payer sans passer en caisse, à la reconnaissance visuelle, pour scanner son chariot sans manipulation, les moyens de renforcer la sécurité tout en créant une expérience innovante sont légion. Sans parler de la possibilité de prendre rendez-vous pour se rendre en magasin, transformant la nécessaire distanciation sociale en expérience plus exclusive... Une situation qui sera néanmoins difficile à concilier avec l'impératif de rentabilité pour de nombreuses enseignes, dont le modèle repose sur le volume de clients qu'elles sont capables d'accueillir.
Pour de nombreux experts du secteur, la situation devrait aboutir à un "écrémage" , tandis que les magasins les plus impactés, à l'image des hypermarchés, qui se sont vus désertés au profit des magasins plus petits ou de la vente directe, devront sans doute se réinventer. "Il y a 1 300 enseignes en France, et je pense qu'à 1 000 enseignes, le marché serait plus équilibré. La crise actuelle va être un accélérateur, après les gilets jaunes et les grèves. Je ne serai pas surpris qu'un quart des enseignes tombent", explique ainsi Jérémie Herscovic, fondateur de Socloz, spécialiste de l'omnicanal, pour qui les enseignes devront résoudre une équation difficile : pas assez de clients en magasin, et trop de produits en stocks. Pour Yann Marteil, dg du groupe Mobivia (Norauto, Midas, etc.), "le magasin de demain devra nécessairement devenir plus modulaire, et évoluer en fonction de la demande des clients." Inspiré par son expérience en Asie, il cite des lieux communs à plusieurs marques, et qui serviront par exemple à récupérer différents produits en click-and-collect. Les hypermarchés, situés en périphérie urbaine, se verront encore plus pensés en fullfilment centers pour le ship-from-store. Là encore, la crise oblige les enseignes à accélérer les transformations à l'oeuvre depuis des années.
Pour aller plus loin :
Consommation, Éducation et Télémédecine : ce qui a changé et ce qui va rester !
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