Le développement durable, un luxe pour les précaires ?
Publié par Catherine Heurtebise le | Mis à jour le
Résultats de l'étude Ethicity/Youphil.com "La consommation durable est-elle compatible avec la précarité ?". Accaparés par les contraintes économiques, les 8,6 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté sont moins sensibilisés au développement durable et ont besoin d'accompagnement.
"La consommation durable n’est pas une "déconsommation", mais une nouvelle écologie domestique porteuse d’une meilleure qualité de vie pour tous et chacun, quel que soit son niveau de revenu", rappelait en mars 2011 le Conseil d’Analyse Stratégique. La consommation durable, qu’on peut définir par le fait d’acheter, utiliser et jeter mieux et moins, reste trop souvent encore la préoccupation d’un public averti, estimé à 47 % de la population française selon la typologie de consommateurs (Ethicity 2012) et à 20 % pour le cœur de cible le plus engagé. Mais la consommation durable est-elle possible pour les 8,6 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté ? Pour lever cette méconnaissance des pratiques en matière de consommation durable des 8,6 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté(*), Ethicity, en collaboration avec Youphil (média sur l'innovation sociale et sociétale) et avec le soutien de EDF Collectivités, a mis à disposition la première étude en France analysant les attentes et modes de vie durables de cette population : "Les Français à faibles revenus et la consommation durable"(**).
Les Français à faibles revenus sont des Français comme les autres : parmi les trois principales préoccupations, on retrouve le bien-être de la famille et des proches (45,7 % contre 55,1 % pour la moyenne française) ainsi que la santé. Cependant, le coût de la vie est leur première source d’inquiétude (47,8 % contre 46,3 % pour l’ensemble de la population).
Selon les profils démographiques, des écarts de perception et de comportement renforcés par rapport à la moyenne des Français. Les priorités sont différentes entre les hommes et les femmes : le bien-être de la famille et des proches pour les femmes, et le coût de la vie pour les hommes. Globalement, les femmes font preuve de plus de systématisme dans le respect des éco-gestes.
Les jeunes vivant sous le seuil de pauvreté (15-24 ans) se sentent plus concernés, mais ont moins systématisé les éco-gestes que leurs aînés et que la moyenne des jeunes de leur âge (recyclage, économie d’eau et d’énergie, attention portée au gâchis notamment). L'étude relève aussi des écarts selon l’habitat : dans les communes rurales, 76,5 % des personnes interrogées trient systématiquement leurs déchets, contre 57,6 % en agglomération parisienne.
Une population moins à l’aise avec le concept de développement durable
Les personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont moins nombreuses à considérer le développement durable comme une nécessité (61,80 % contre 68 % pour la moyenne française), avec un pourcentage important de non-répondants sur les questions plus précises relatives au développement durable. De fait, 12,70 % de cette population vivant sous le seuil de pauvreté pense que l’ "on s’inquiète trop au sujet de l’environnement", contre 6,40 % pour la moyenne des Français. Parmi les personnes qui n’ont pas changé leur comportement en faveur du développement durable dans les 12 derniers mois, 28,90 % (contre 18,60 % en moyenne) disent ne pas avoir changé parce que leur pouvoir d’achat ne le permet pas.
Certains éco-gestes sont moins bien intégrés, alors qu’ils pourraient permettre des économies :
• 8,10 % jettent systématiquement les fruits et légumes qui n’ont plus l’air frais contre 5,5 % pour la moyenne française
• 11,20 % jettent systématiquement les produits qui ont dépassé la date de péremption contre 8,0 % pour la moyenne française
• 44,90 % évitent systématiquement ou régulièrement les produits qui ont trop d’emballage contre 49,40% pour la moyenne française
• 87,90 % veillent systématiquement ou régulièrement à maîtriser leur consommation d’énergie contre 88,80% pour la moyenne française
Ceux qui permettent des économies évidentes sont cependant réalisés avec une plus grande fréquence (“systématiquement”), c’est-à-dire plus souvent intégrés au quotidien.
Un enjeu réel d’éducation et de sensibilisation
L’étude confirme le rôle important de l’entourage : 12,1 % des personnes sous le seuil de pauvreté qui ont changé leur comportement en faveur du développement durable dans les 12 derniers mois l’ont fait parce que leur entourage les pousse (notamment les enfants), contre 9,1 % pour la moyenne des Français. Cette population exprime le besoin d’être accompagnée : 22 % sont persuadés ("tout à fait d’accord") que les hypermarchés ont un rôle d’information sur les produits en magasin, contre 19,8 % pour la moyenne des Français.
D’une manière générale, en dehors des produits alimentaires, 48,5 % des personnes sous le seuil de pauvreté pensent ("tout à fait d’accord" et "plutôt d’accord") qu’il y a trop de choix de produits durables, responsables ou verts ; contre 37,9 % pour la moyenne des Français. Il y a un risque de saturation du discours (trop de messages et trop de produits) d’où une nécessaire pédagogie sur les avantages "personnels" liés à la consommation durable. 45,2 % (contre 43,5 % pour la moyenne) pensent que la présence d’informations sur les avantages (par exemple, le prix à l’usage…) de ces produits les pousserait à acheter plus de produits durables.
Mais surtout, les messages sur la consommation responsable doivent être plus concrets et simplifiés. Il faudrait, par exemple, valoriser les "systèmes D", pas uniquement en terme financier mais aussi en termes de savoir-faire. Et mettre en œuvre des incitations innovantes ou des approches collectives avec un effet d’entraînement ou de "mimétisme", tenant compte de la propension à consommer comme les membres de sa "tribu", notamment pour les jeunes.
(*) Soit 964 euros de revenu mensuel "disponible" en 2010 pour une personne seule (après impôts et prestations sociales). Insee, Les niveaux de vie en 2010, septembre 2012.
(**) Méthodologie : L’étude présentée se base sur l’étude "Les Français et la consommation durable" 2012 :
• Enquête Ethicity menée en partenariat avec Aegis Media Expert par Kantar Media et TNS Sofres auprès d’un panel représentatif de la société française de 4 055 individus âgés de 15 ans et plus (soit un effectif pondéré de 50 860 024 personnes)
• Enquête terrain auto-administrée par voie postale entre le 20 février et le 16 mars 2012.
• Passation d’un questionnaire spécifique sur le développement durable, la RSE et la consommation responsable
• Utilisation de l’échantillon SIMM 2011 en Access Panel.
De cette enquête annuelle, ont été extraits des catégories de Français spécifiques, à savoir les personnes vivant seules jusqu’à celles – en couple ou seules – avec six enfants, avec un revenu sous ou très proche du seuil de pauvreté, défini à 60 % du revenu médian, soit 964 euros de revenu "disponible" en 2010 pour une personne seule (après impôts et prestations sociales). Soit 691 personnes interrogées.