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Égérie de marque et icône de musée, même combat

Publié par La Rédaction le - mis à jour à

A l'image des marques commerciales, les musées s'engagent dans une démarche d'icônes pour assoir leur notoriété. Le Centre Pompidou s'est lancé dans une telle démarche. Quels enseignements pour le marques ? Les réponses de Gwenaëlle de Kerret, sémiologue & fondatrice de l'agence SemioTiPS.

Bibendum de Michelin, Vache-qui-rit, bonhomme vert de Cetelem... Voilà longtemps que les entreprises recourent aux icônes pour incarner leur marque et lui conférer une dimension empathique. Le principe d'égérie ou "brand endorsement" est comparable. Il s'agit cette fois d'adosser la marque à une personnalité connue, pour de bénéficier de ses valeurs et traits de caractère: élégance et humour de George Clooney pour Nescafé, par exemple.

Source : SemioTiPS, agence étude et conseil


Icônes de musées

Depuis quelques années, les institutions culturelles s'intéressent aux icônes, pour renforcer leur image et attirer de nouveaux publics. Leur fantasme ? La Joconde, capable à elle seule d'incarner le Louvre et d'attirer 500.000 visiteurs par an. Le Metropolitan Museum de New York et le Van Gogh Museum d'Amsterdam ont par exemple tenté timidement l'aventure, en valorisant certaines oeuvres de leur collection dans des campagnes. Mais c'est au Centre Pompidou que la question des icônes a fait l'objet, pour la première fois dans l'histoire des musées, d'une véritable réflexion stratégique.

Constatant la faible fréquentation du musée par les touristes et la faible notoriété de la collection permanente, l'institution a lancé une vaste étude, de 2016 à 2019. En partenariat avec l'université Paris I -j'ai en effet eu le plaisir de travailler sur la partie académique de la recherche avec Jean-Michel Tobelem, chercheur en sciences de gestion-, et avec l'agence SemioTiPS, ont été mis en place des focus groups créatifs, une expertise sémiologique, un sondage et des workshops professionnels, qui s'appuyaient sur une méthodologie de SemioTiPS croisant Design Thinking et sémiologie créative. L'objectif ? Constituer un groupe de chefs-d'oeuvre qui deviennent des "ambassadeurs" du musée. La démarche a abouti à une liste de 15 oeuvres et à une politique d'icônes sur plusieurs années.

Parmi les icônes choisies pour le Centre Pompidou : "Bleus" de Miro, "Portrait de la Journaliste Sylvia van Harden" d'Otto Dix et "Fontaine" de Duchamp


Le pari du Centre Pompidou

La démarche du Centre Pompidou est ambitieuse : jusqu'aujourd'hui, les icônes de l'art étaient le fruit de la critique et des hasards de l'Histoire, et non d'une opération stratégique. Par ailleurs, le Centre Pompidou ne dispose pas des mêmes moyens qu'une entreprise commerciale, pour lancer ses icônes. Le choix des chefs-d'oeuvre était donc crucial.

L'importance de l'oeuvre dans l'Histoire de l'art était bien sûr essentielle. Mais l'expertise sémiologique a conduit à introduire trois autres critères de sélection:

  • l'impact visuel: pour être mémorisées, les oeuvres devaient être photogéniques et "faire image";
  • l'affinité: chaque oeuvre devait déclencher immédiatement une attraction chez les publics - y compris chez les personnes peu amatrices d'art;
  • enfin, la référentialité: les oeuvres devaient indirectement évoquer le Centre Pompidou. Ce dernier critère a conduit à privilégier des oeuvres dont certains traits renvoyaient à l'architecture du Centre (couleurs primaires, "tuyaux", ouverture sur le ciel), et des oeuvres qui relayaient les valeurs clés de l'institution : surprise, provocation et humour.
  • Une expérience intéressante pour les marques commerciales

    C'est dans plusieurs années que l'on pourra apprécier si l'imaginaire collectif du Centre Pompidou est désormais nourri par ses icônes. Mais le processus est déjà riche d'enseignements, y compris pour des marques commerciales. D'abord, parce qu'il a conduit à mobiliser les publics. Car au même titre qu'une égérie, un emblème ou une mascotte, une oeuvre iconique est à la fois un signe et un lien affectif avec la marque. Publics acquis et à conquérir sont donc les mieux placés pour participer au choix. Grâce à eux, le groupe d'icônes a pu être enrichi et ajusté, pour toucher une plus large audience. Lors des focus groups, les publics ont par ailleurs imaginé des récits ludiques mettant en relation le Centre Pompidou et ses icônes. Ces contenus, qui ont fait l'objet d'un décodage sémiotique, nourrissent aujourd'hui la communication du Centre.

    Outre la sollicitation directe des cibles, la démarche du Centre est exemplaire en matière d'innovation collaborative. Pour la première fois, les équipes stratégiques et opérationnelles du musée ont travaillé ensemble, pour imaginer un programme d'actions répondant à la fois aux objectifs artistiques, pédagogiques et commerciaux de l'institution. Et les workshops ont permis de solliciter de nouvelles compétences : la créativité et le story-telling ont fait émerger des pistes de programmation, d'animation avec les publics, et de partenariats commerciaux.

    Notons que les initiatives en lien avec les icônes ont commencé à faire mouche auprès des publics du Centre Pompidou. Parmi les actions les plus récentes, le parcours "V.I.P" ("Very Important Pieces"), mis en place dans les galeries du musée et associé à un dispositif proposant de se "mettre dans la peau" d'une des icônes, et de se photographier. Ce dispositif assume et combine la pratique narcissique du selfie devant l'icône (prouver qu'on l'a "vue en vrai"), et l'identification à une égérie (s'imaginer "dans la peau" de la personnalité). L'atelier rencontre un franc succès et donne lieu à des interactions entre les visiteurs. Ce faisant, il renouvelle de manière inédite le lien avec l'organisation muséale. De quoi nourrir la réflexion des entreprises et organisations culturelles: icône, égérie ou emblème, un miroir et un lieu de rencontre de la marque et de son public.

    Gwenaëlle de Kerret :
    Gwenaëlle de Kerret est sémiologue et experte en études de public. Elle dirige des études internationales dans les secteurs de la consommation, du luxe, de la culture et des services. Après 10 ans en instituts d'études (Harris Interactive, BVA), elle fonde en 2016 l'agence conseil et étude SemioTiPS, consacrée à la stratégie de marque et à ''innovation. En parallèle de son activité, Gwenaëlle de Kerret est chercheure et enseignante en sémiologie et en sciences de la communication. Elle est l'auteure d'une thèse consacrée à la stratégie des musées en France et aux États-Unis. Elle a publié en 2019 "L'identité visuelle des Musées à l'Ère des Marques", en partenariat avec le ministère de la Culture.

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