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Valérie Hernando-Presse (Danone) : "Nous voulons créer des marques Manifesto"

Publié par Floriane Salgues le - mis à jour à

Le goût pour la marque et son lien avec la société portent au quotidien Valérie Hernando-Presse. La CMO, forte de 15 ans d'expérience au sein de Danone, croit en l'engagement sociétal et environnemental des marques. D'où l'urgence de changer la manière de faire du marketing.

Vous êtes, depuis novembre 2017, directrice générale marketing de Danone. Cette fonction de marketing central avait disparu de l'entreprise depuis 10 ans. Quelle est votre mission?

La fonction de CMO de Danone, qui est "cross " (catégories, marques et géographies), a été créée il y a un peu plus d'un an avec cet objectif ambitieux et passionnant de réinventer le marketing. Il s'agit de repenser le rôle des marques, en mettant au coeur de ces dernières la vision de l'entreprise, aujourd'hui incarnée dans la signature "One Planet. One Health". En tant que chief brand officer de Danone - mon ­précédent rôle -, j'ai été justement en charge du projet, mené avec le Comité exécutif, de faire du nom de l'entreprise Danone une marque porteuse de sens et de confiance, qui montre la voie dans la révo­lution de l'alimentation et qui a abouti à cette signature. Cela m'impose aujourd'hui de reconsidérer la manière dont nous engageons nos communautés et nos audiences, et celle dont nous innovons et nous ­communiquons. Réinventer le marketing c'est aussi redéfinir le rôle des équipes marketing derrière les marques, en les poussant à vivre avec leurs communautés, à en connaître les influenceurs, mais ­également à s'ouvrir à l'entrepreneuriat. L'intérieur comme l'extérieur doivent se ressembler.

Pourquoi est-il devenu nécessaire, voire indispensable, de repenser le rôle des marques ?

Nous avons à coeur de donner un rôle sociétal à nos marques et de créer des marques Manifesto, engagées, voire activistes. Ces marques doivent avoir un point de vue sur une problématique sociétale forte, prendre position et s'engager à agir sur ce sujet sur le long terme, car c'est bel et bien ce qu'attendent les citoyens. Nous sommes convaincus que la consommation est devenue un acte politique : la majorité des gens fait désormais le choix de soutenir ou d'éviter des marques en fonction de leurs missions sociétales et de leurs valeurs, et cette tendance n'est plus le fait de quelques individus. Nous observons une bascule du pouvoir vers les gens, et celle-ci est massive. 77 % des marques pourraient ainsi disparaître. Aussi, seules celles qui auront des prises de position sociétales fortes survivront. La construction des marques Manifesto, qui vont à la rencontre de la société, représente notre modèle de croissance durable.

Quelle est la marque qui, selon vous, est la plus emblématique de cette approche Manifesto ?

L'approche Manifesto impose d'être légitime à attaquer un problème sociétal ou environnemental et d'être vraiment certain d'agir sur le long terme. Si l'action est éphémère, nous retombons sur une approche qui s'apparente à de l'ancien marketing. La marque qui symbolise le mieux cette démarche est Bonafont. Leader de l'eau au Mexique, elle est positionnée sur de l'eau "légère", ciblant un public très féminin. Depuis 25 ans, et bien avant les questions de RSE ou de mission ­sociétale, Bonafont - sans doute parce que la marque connaît bien son audience - supporte l'égalité hommes-femmes dans un pays où les inégalités entre les sexes sont criantes.

Comment agit concrètement Bonafont pour réduire les inégalités ?

La marque organise, notamment, la plus grande course féminine, la "Carrera Bonafont" : à chaque kilomètre parcouru, des pesos sont reversés pour la formation des femmes à l'entrepreneuriat. 70 000 femmes y ont participé en 2018. Bonafont a également noué un partenariat avec ONU Femmes. Les revenus de la vente des bouteilles créées en édition limitée "HeForShe " ont été reversés à 100 % dans des projets qui contribuent à l'égalité d'opportunités entre les hommes et les femmes. Être une marque Manifesto n'est pas un nouveau marketing, mais une nouvelle approche globale et intégrée de la marque et des humains qui y travaillent. Ainsi, Bonafont prône l'égalité des sexes dans la société et agit pour intégrer davantage de femmes dans ses équipes. La marque a également réalisé un film très activiste pour augmenter la notoriété de la problématique au sein de la société. Prendre des positions tellement fortes qu'elles peuvent déranger, tel est le lot des marques Manifesto.

Avez-vous un exemple d'une démarche similaire en France ?

La marque Les 2 Vaches, créée en 2006 par Anne Thévenet-Abitbol, en charge de la prospective chez Danone, est aussi emblématique. Le bio n'était pas encore à la mode et 40 % de la production de lait bio des éleveurs ne trouvaient pas de débouchés, car il n'y avait pas de demande de la part des consommateurs. Quelques collaborateurs de Danone, choqués, se sont saisis de ce problème, en lançant cette marque rigolote (dont le slogan est "Vachement bon, vachement bio"), l'une des premières marques de yaourts bio. La marque, dès sa naissance, est partie sur une mission sociétale.

La construction de marques plus engagées vise-t-elle aussi à ­reconquérir la confiance des consommateurs abîmée par les scandales industriels et les dissimulations ?

De plus en plus d'individus sont persuadés que les marques peuvent trouver des réponses aux problèmes de la société de manière plus efficace que les gouvernements. Créer des marques Manifesto répond avant tout à cette attente avec, in fine, des consommateurs qui aiment votre marque, lui font confiance, s'engagent pour elle et partagent avec elle. Mais (re)conquérir la confiance des consommateurs passera davantage par la création d'une relation authentique avec les équipes de la marque. Comment ? Grâce aux données qui nous offrent des possibilités exponentielles de connaissance et nous imposent, en contrepartie, d'être ultra-pertinents ­- en ne dérangeant pas le consommateur avec un contenu qui l'ennuie, en devançant l'innovation dont il rêve et en étant hyper-personnalisé. Nous cherchons aussi à entrer dans une démarche plus entrepreneuriale : l'époque où nous faisions appel, pour développer l'innovation de demain, à un grand institut de recherche, via des interviews qualitatives derrière des vitres sans tain, est révolue. Mon rôle est ainsi d'inciter les collaborateurs à aller dialoguer directement avec les communautés, sans filtre, et à le faire eux-mêmes. Ce marketing d'humain à humain nécessite que les collaborateurs soient parfaitement à l'aise avec la mission sociétale de la marque qui, elle, se doit d'être parfaitement légitime.

La démarche de RSE n'est pas nouvelle chez Danone. Comment arrivez-vous à insuffler cette responsabilité sociale et environnementale au sein des différentes marques du groupe ?

Je crois savoir que nous sommes une entreprise plutôt pionnière ou visionnaire, très en avance sur les sujets de développement durable et de responsabilité sociale. Pour autant, nous n'avons pas, et n'avons jamais eu, de département RSE chez Danone. Cela signifie que la RSE est portée par tous et, en particulier, par le business. Cela s'explique par la conviction de nos dirigeants fondateurs. En témoigne le discours d'Antoine Riboud, aux Assises nationales du Conseil national du patronat français, en 1972, à Marseille, qui revendiquait, comme modèle économique, le fait de générer de la croissance en faisant du social et de ne jamais faire l'un sans l'autre. Nous poursuivons sur cette voie : en 2017, Emmanuel Faber a engagé l'entreprise et tous les acteurs de l'alimentaire, à travers la vision "One Planet. One Health", à répondre à la révolution de l'alimentation lors d'un discours au Consumer Goods Forum à Berlin. Nous sommes engagés dans le mouvement B Corp, afin d'obtenir une certification à l'échelle mondiale de notre activité responsable. 30 % de notre chiffre d'affaires sont actuellement certifiés. Dans la transformation marketing initiée, l'idée est de mettre la vision "One Planet. One Health" au coeur des marques. Cela signifie des engagements très concrets sur la manière dont elles contribuent à améliorer la santé, à ne pas abîmer la planète, ou même mieux, à l'améliorer, à impacter positivement la société. Mais ce n'est pas si facile. Nous considérons qu'un quart de nos marques est aujourd'hui engagé sur ce chemin.

Pourquoi oeuvrer, maintenant, à la réinvention du marketing ?

Nous observons une rupture globale : les médias se fragmentent, les points de contact explosent, les limites du off line et du on line se floutent, la technologie et le social media sont en plein essor ... Toutes les marques se trouvent face à cette transformation sans précédent et il leur faut, de toute façon, se réinventer. Lorsque nous avons ­démarré nos réflexions sur ce sujet, nous avons compris pourquoi suggérer des produits à des consommateurs ne fonctionne plus. Il n'y a pas de consommateurs, il n'y a que des personnes qui ont des passions et qui décident librement de suivre une marque, de l'aimer, de la commenter et, parfois, de l'acheter. Nous observons une bascule du pouvoir vers les gens, permise par la technologie et les médias sociaux. Par ces leviers, ils font désormais valoir, individuellement, leur point de vue, et embarquent d'autres personnes vers un ­changement positif. Cette bascule du pouvoir demande aux marques d'avoir l'humilité de repartir de zéro et de repenser leur façon de faire du marketing.

Le "pouvoir de la rue" peut aussi être négatif. En témoignent le boycott de Danone au Maroc et les revendications contre la cherté du prix du lait, au printemps 2018 ...

L'exemple du Maroc est celui du pouvoir des gens utilisé contre une marque. Notre marque de lait frais pasteurisé Centrale a fortement été touchée par l'activisme des Marocains contre la vie chère. Les revendications sont parties des réseaux sociaux de manière anonyme et multi-feux. Une vraie attaque. Nous avons donc décidé d'aller sur le terrain : c'est ce qu'a fait Emmanuel Faber, président-directeur ­général de Danone, mais aussi les équipes de la filiale de Danone au Maroc. Et ce, non pas pour donner des conférences, mais pour rencontrer la population dans les salles à manger, les cuisines, les fermes, et écouter toutes les parties prenantes. Sur une durée de trois mois, à l'été 2018, les collaborateurs ont recueilli les doléances des consommateurs, co-construit des solutions répondant à la préoccupation du pouvoir d'achat et les ont soumis à un e-vote.

Vos actions ont-elles porté leurs fruits ?

Des milliers de personnes ont participé. Plusieurs mesures ont été prises, comme la commercialisation d'une nouvelle référence de lait pasteurisé demi-écrémé accessible à tous (2,5 dirhams pour 470 ml, soit environ 0,23 euro), le retour de la référence de lait frais pasteu­risé entier à son prix d'il y a 10 ans ou encore le renoncement de l'entreprise à sa marge sur le lait frais pasteurisé, tout en préservant la rémunération des commerçants et des fermiers. La situation s'améliore au Maroc et, même si nos ventes ne se sont pas totalement rétablies*, nous progressons dans la reconstruction d'un agenda de croissance, grâce à cette approche.

Mais comment engager véritablement les individus à participer avec sa marque ?

C'est le coeur de notre nouvelle vision que de vouloir pousser la co-création et de mettre les individus - et non les consommateurs - au centre. Avec le Danone Act, le 21 septembre 2018, nous avons permis aux Français de participer aux changements qu'ils espèrent pour la planète. 1 500 salariés de Danone ont décidé d'aller volontairement à leur rencontre dans les supermarchés pour parler de notre vision "One Planet. One Health" et du fait que, chaque fois que nous mangeons ou que nous buvons, nous votons pour le monde dans lequel nous voulons vivre. Ce jour-là, Danone (quatre filiales en France) a décidé de reverser une journée de chiffre d'affaires, soit 5,4 millions d'euros, à des projets en faveur de la transition vers une agriculture régénératrice, une agriculture qui préserve les sols et la biodiversité, qui respecte le bien-être animal, tout en soutenant les agriculteurs. Par leurs achats, et au travers de nos marques, les Français ont donc voté pour des projets de transition agricole. Et ce choix n'est pas anodin pour nos marques, car il est très lié à notre écosystème : pour Danone, le lait est la matière première pour les yaourts, pour Blédina, ce sont les fruits et les légumes, et Evian, dont la source se trouve dans les Alpes, est très connectée à la nature.

Comment fait-on lorsque l'on est une marque distribuée pour entrer en contact direct avec les consommateurs et nourrir son marketing de leurs retours ?

Il existe plein de solutions ! Nous avons, par exemple, dans notre portefeuille la marque Happy Family, qui est une marque Manifesto. Celle-ci est née d'une passion, a été fondée par une maman et est dirigée par des parents. Un comité externe a été déployé avec des experts, des influenceurs, des parents que les collaborateurs rencontrent régulièrement, et ce sont eux qui les aident à designer la nouvelle innovation. La marque est ainsi en direct avec ceux qui l'aiment, ou pas. Autre exemple : la marque de yaourts smoothies à boire Yoothie, lancée en 2018, a comme particularité un design entièrement co-créé avec des jeunes.

En 2019, le yaourt de Danone fête ses 100 ans. Quel est le secret de la longévité ?

C'est une merveilleuse étape ! Il est beau de prendre de l'âge en restant jeune. La marque a su demer dans le coeur des Français avec ce pot de yaourt qui demeure un petit concentré de plaisir et de santé, simple, naturel et local. Le secret ? L'entreprise derrière la marque est très en résonance avec la société. Les premières chartes qualité sur le lait ont été portées par Danone dès la fin des années quatre-vingt-dix. Dès 2015, nous avons décidé d'intégrer les coûts de production dans le calcul du prix du lait afin d'aider les agriculteurs à mieux faire face à la volatilité des prix. En 2018, nous nous sommes engagés à accompagner sur le long terme les agriculteurs dans la transition vers une agriculture régénératrice, plus respectueuse des hommes, des sols et des animaux. L'empathie avec les communautés qui aiment votre marque et avec l'écosystème de l'entreprise, c'est sans doute l'un des secrets de la longévité.

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