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[Portrait] Maud Sarda : Label personne

Publié par Marie-Juliette Levin le | Mis à jour le

À la tête de Label Emmaüs, boutique en ligne de l'association, Maud Sarda prône sans relâche sa vision d'un e-commerce plus vertueux, plus solidaire. Face à une concurrence féroce sur l'offre de seconde main, cette entrepreneuse altruiste construit une alternative solide sur la base du don en ligne. Portrait.

Bienvenue dans la solidarité vallée, chez Label Emmaüs, à des années-lumière de la Silicon Valley californienne. Ici, à Noisy-le-Sec, on entreprend pour le bien commun, par solidarité, pour lutter contre la pauvreté. Maud Sarda est à la tête de cet ovni dans l'univers digital, un e-shop militant qui révolutionne la manière de faire du commerce en ligne.

En effet, rares sont les patrons à pousser aussi loin l'investissement dans l'économie sociale et solidaire. « Mon discours est un plaidoyer fort pour le social qui a été abandonné au profit de l'écologie », explique celle qui porte sans relâche la voix du partage et de l'inclusion dans les médias et les institutions. « L'activité e-commerce chez Emmaüs n'est qu'un outil pour repousser toujours plus loin les limites de l'insertion », lâche Maud Sarda. Réputée pour son franc-parler, la directrice, très investie, poursuit sa feuille de route. « Emmaüs nous donne une liberté de parole héritée de l'Abbé Pierre, adepte de la punchline avant l'heure », sourit-elle.

Ecosystème vertueux

Label Emmaüs repose sur le don. « Ce modèle d'entreprise est très exigeant, bien loin du modèle dominant. De jeunes entrepreneures, femmes dans la Tech, il y en a peu et qui décident de se mettre au service de l'intérêt général... encore moins. Maud Sarda illustre parfaitement la manière de faire de l'entrepreneuriat différemment. Concurrencer Amazon ? Elle nous démontre que c'est possible. À la fois visionnaire et pragmatique, elle porte une voix singulière dans l'écosystème de la Tech », analyse Caroline Neyron, Dg du mouvement "Impact France" dont Maud Sarda a intégré le conseil d'administration il y a cinq ans, en charge des sujets liés à la consommation et aux sujets "Tech for Good".

La coopérative Label Emmaüs voit le jour fin 2016 avec pour ambition de lutter contre la précarité grâce à la formation et la réinsertion. Le site répond à cette ambition à travers différentes activités dont la marketplace, qui prône le réemploi à travers la vente de produits uniques issus des dons (plus de 175 partenaires à ce jour issus de l'ESS), "Label École", une école qui encourage la réinsertion sociale et économique à travers l'employabilité, et une plateforme de don, Tremma.co.

Labo d'innovation sociale

Dans son mode de fonctionnement, le projet est exemplaire avec pour principe le partage du pouvoir et des richesses. Les dividendes sont reversés aux parties prenantes et non aux actionnaires. « Nous avons pris le contre-pied d'Amazon pour construire un modèle à l'extrême opposé. 100 % de nos bénéfices sont réinvestis dans l'outil de travail, nous appliquons un principe de rémunération avec un écart de salaire de 1 à 3, il n'y a pas de spéculation possible, tous les produits sont issus des circuits courts en France et livrés en France sans option de livraison express », détaille la directrice.

Label Emmaüs regroupe 60 salariés dont un tiers en parcours d'insertion. Pas moins de 1 500 personnes sont formées aux métiers de la vente en ligne (certification de concepteur designer UI en six mois) grâce à Label Ecole, qui forme 100 demandeurs d'emploi par an, avec une promotion composée à 80 % de femmes. Le catalogue sur le site compte 2 millions de produits dont une majorité de livres, ce qui devrait évoluer en 2023.

« J'aime entreprendre et, avec Label Emmaüs, j'ai un formidable laboratoire d'innovation sociale entre les mains avec une équipe qui a le goût pour l'expérimentation », se réjouit Maud Sarda.

L'activité du site - 60 000 clients - pèse 4 millions d'euros, soit 1 % du poids total des 500 points de vente en France.

Les raisons de la colère

« Je suis impressionné par sa combativité, sa ténacité, elle est droite dans ses bottes ! Elle a toujours un coup d'avance, sait faire un pas de côté pour mieux analyser la situation », témoigne Thomas Marcotte, cofondateur de Label Emmaüs. Bien sûr, un projet aussi innovant n'aurait jamais pu voir le jour sans cette personnalité affirmée, entrepreneuse éclairée, sensible au chaos du monde. Dans cette salle qui nous accueille pour l'interview, quelques éclats de rire résonnent et ponctuent un discours grave, masquant une émotion contenue.

Cette détermination sans faille, reconnue par son entourage, répond à une colère intérieure. « Je suis révoltée par le mépris, en colère face aux inégalités, au déclassement social. Je sais ce que c'est que d'avoir une seconde chance, de rebondir... Mes parents m'ont appris la bienveillance, m'ont sensibilisée à des notions humanistes », témoigne la dirigeante. Son père est aujourd'hui retraité et bénévole d'un Emmaüs en Provence et sa mère, coach en développement personnel. Maud Sarda a grandi en Guadeloupe.

Déclassement, chômage, elle touche du doigt, très jeune, les inégalités sociales. Des missions humanitaires, sur le terrain, à Madagascar ou en Inde, lui font découvrir le visage de l'extrême pauvreté. Parallèlement à ses études à l'EDHEC, elle découvre la mécanique vertueuse du microcrédit qui lui inspire le sujet de son mémoire de fin d'études. Son diplôme en poche, elle rejoint la société de conseil Accenture, où elle travaille pendant cinq ans sur des missions de gestion de projet puis de mécénat de compétences pour la fondation Accenture.

Elle découvre les politiques sociales et notamment les entreprises d'insertion comme Emmaüs. Ce mouvement est la concrétisation de ses envies. Ne pas subir, mais agir, tel est son credo. « Je sentais l'attente forte du grand public et du mouvement de réussir à exister en ligne. Le conseil d'administration m'a confié une mission d'un an pour lancer un concept ambitieux. Tout était à inventer.


« Aujourd'hui, il faut évoluer rapidement car les plus grosses levées de fonds dans la Tech concernent l'économie de la seconde main. Mais pour soutenir quel modèle ? Quand certains sites reconditionnent des téléphones en Chine ou envoient des colis partout dans le monde, quelles sont les vertus écologiques ? Sur Vinted, on trouve surtout de la fast fashion et on sait que la majorité des utilisateurs jouent à la marchande pour réinvestir dans du neuf. Ce n'est pas un modèle de consommation sobre. Et par ailleurs, cela assèche complètement le don », dénonce la chef d'entreprise.

À l'aube d'une nouvelle étape

À quand une coalition française pour soutenir les licornes à impact ? s'interroge Maud Sarda qui lance un appel au soutien des pouvoirs publics. Pour passer un cap, Label Emmaüs cherche à lever 3 millions d'euros auprès d'acteurs de la finance solidaire. Marketing en ligne, communication, déploiement d'une logistique en propre de 6 000 m2 et demain la perspective d'une stratégie omnicanale, le lancement d'une application... autant de projets qui animent la cellule digitale d'Emmaüs pour les années à venir.

« Back Market vient de lever 450 millions d'euros en partie auprès de Goldman Sachs. Pour des raisons éthiques, notre association ne peut pas faire appel à ce genre de partenaires », souligne-t-on chez Label Emmaüs.

Pour autant, l'entreprise affiche ses ambitions : multiplier l'activité par cinq d'ici trois ans et par dix d'ici six ans. Le site s'appuie sur le mécénat de compétences et sur des partenariats de visibilité. « La seconde main, ce n'est pas n'importe quel produit. Les sites dédiés doivent assumer leur responsabilité sociale et être un minimum inclusifs. Parler du don à leurs clients et s'engager dans des actions concrètes », conclut la militante.


Son parcours :

2001 : EDHEC Business School

2009 : Accenture, mécénat de compétences avec la fondation au sein de l'Agence Nouvelle des Solidarités Actives (Ansa)

2010 : Tête de réseau du mouvement Emmaüs

2016 : Fonde Label Emmaüs, société coopérative d'intérêt collectif (SCIC)

2016 : Membre du conseil d'administration de Mouvement Impact France


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