Alexandra Palt (WWF) : "Les marques ne sont pas à la hauteur des enjeux"
Publié par Marie-Juliette Levin le - mis à jour à
Son discours est franc et son engagement total. La nouvelle présidente de l'ONG symbolisée par le panda noir et blanc entend mener avec enthousiasme le combat pour la préservation de la biodiversité. En femme de conviction charismatique, elle entend porter haut et fort la voix de l'écologie.
Qu'est-ce qui vous a amenée à prendre la présidence de cette ONG en juin dernier ?
Alexandra Palt : J'avais beaucoup travaillé sur les questions d'environnement, de biodiversité. J'ai lu les philosophes du vivant... Je me suis passionnée et cela a transformé mon propre système de pensée. J'avais toujours séparé nature et culture. La nature est autre chose que l'homme. Je n'avais pas complètement intégré la dimension philosophique, à savoir que le vivant est un tout. Nous faisons partie de ce vivant-là. Eh oui, j'ai accepté d'être présidente pour ces raisons et aussi parce que le WWF n'essaie jamais d'ajouter de la polémique à la polémique. J'aime son positionnement basé sur la science, dans un esprit coopératif. Pour toutes ces raisons, c'était le bon moment pour accepter cette fonction.
Que ce soit à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) ou chez L'Oréal, votre parcours est celui d'une femme très engagée. Pourquoi avoir fait ces choix ?
A. P. : J'ai toujours été engagée, je ne découvre pas l'engagement associatif. Mais, c'est vrai que j'étais plutôt dans le social. Mes engagements personnels étaient toujours plutôt orientés vers le droit de la femme, l'accompagnement de jeunes issus de milieux défavorisés ou victimes de discrimination vers l'emploi... Et puis, mon engagement est également lié à mon histoire personnelle et familiale. Je suis Autrichienne et l'histoire, la lecture du passé, nous a poussés à réfléchir sur la question de la responsabilité, sur les choix à faire dans certaines situations. D'ailleurs, tout ce que je fais se transforme en engagement.
Quelles sont les spécificités de WWF ?
A. P. : C'est une ONG dont le travail est fondé sur la science et les recommandations. D'autres sont plutôt basées sur une vision du monde. Notre vision du monde est liée à la science, c'est très important dans le positionnement de WWF. L'esprit de coopération permet de contribuer à la transformation des entreprises, des acteurs, pour leur permettre de s'engager dans la transition.
Le contexte mondial actuel - les États-Unis quittent les accords de Paris, entre autres -, entame-t-il l'impact de WWF ?
A. P. : Son impact, peut-être, mais pas son sens. Plus qu'en toute autre circonstance, nous devons faire notre job. Notre rôle est plus que jamais de démontrer à quel point la protection des écosystèmes et de la biodiversité est essentielle, à quel point il est vital, pas juste pour les générations futures, de faire des choix maintenant qui permettent de vivre, de respirer.
Vous avez vu les chiffres sur l'augmentation des cancers liés à l'environnement, à la pollution de l'air ? Et la pollution des eaux ? Toute politique qui refuse aujourd'hui de prendre les mesures nécessaires et de reconnaître que l'écologie est la solution est en faillite morale et commet un crime contre les générations futures. Nous sommes à un moment de grande responsabilité individuelle et collective dans l'histoire. Notre devoir est de ne pas lâcher.
Comment les marques peuvent-elles participer à ce mouvement collectif ?
A. P. : Le problème, justement, c'est que les marques ne participent pas. Je sais d'expérience que le durable recouvre des enjeux qui sont difficiles à comprendre pour le marketeur parce qu'il n'est pas formé au sujet. Et maintenant, il est vraiment temps que le métier assume ses responsabilités. Si le marketing a réussi à vendre des produits inutiles à des gens qui n'en avaient pas besoin, il est capable de vendre des produits plus durables dans l'intérêt de nos enfants.
Le marketing a un rôle exceptionnel à jouer consistant à rendre la transition écologique désirable. Au quotidien, cela passe par la mise en valeur de produits, de styles de vie, autour d'un imaginaire collectif permettant de s'engager dans la transition écologique. On constate du mieux, mais ce n'est pas suffisamment. Les produits plus durables sont beaucoup moins promus et mis en valeur que les produits classiques par les marques. La part du développement durable représente combien du chiffre d'affaires des entreprises ? 1 % ? Trop peu...
Certaines d'entre elles font quand même des efforts...
A. P. : Oui, il y a des marques qui se sont engagées dans la transition de leur chaîne de valeur, de leur production comme Decathlon ou Hermès dans le luxe, mais globalement les marques ne sont pas à la hauteur des enjeux et des résultats. Le marketing reste le dernier de la course, en matière d'engagement durable. C'est dommage, car étant proches du consommateur, elles devraient saisir cette opportunité extraordinaire d'agir sur la conscience collective.
Comment incitez-vous les entreprises à faire plus pour la protection du vivant ?
A. P. : Nous oeuvrons beaucoup pour les réglementations, comme la directive européenne CSRD, relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises. Je suis praticienne du monde de l'entreprise et je sais que c'est complexe, mais je sais aussi à quel point beaucoup d'entreprises n'ont pas du tout bougé avant ça. Agir pour le durable ne les empêche pas de faire du business. Il faut nous laisser faire. Sinon - on l'a vu ces 40 dernières années -, rien ne bouge.
Pour celles qui s'engagent, comme Accor, LVMH, le Groupe Bel, Sodexo, nous nouons des partenariats fructueux sur les filières, la consommation responsable, la protection des écosystèmes... Et puis, il ne faut pas oublier l'immense mobilisation au sein des start-up dans l'économie sociale et solidaire, dans les associations sur le terrain, et auprès des acteurs qui veulent réellement faire changer les choses.
Quelle est la prochaine campagne de communication de WWF ?
A. P. : Nous avons déployer l'événement mondial Earth Hour dans trois villes de France, le 22 mars dernier. Cela consistait à éteindre les lumières de tous les éclairages publics pendant une minute. La Conférence des Nations unies sur l'océan qui se tiendra à Nice, en juin 2025, sera aussi un moment fort. WWF est une des ONG les plus connues au monde et en France. Quand vous montrez le panda, les gens savent que nous oeuvrons pour la préservation des espèces animales, mais moins pour la protection de tous les écosystèmes et l'accompagnement de la transition écologique. Nous allons travailler pour que cela évolue, mais cela prend du temps de changer une identité de marque.