Cédric Parent, directeur du marketing Orange Business Services: "Le marketing, c'est aussi du sang-froid"
Publié par Propos recueillis par Thierry Derouet le - mis à jour à
Cédric Parent, d'Orange, illustre par son expérience l'étude d'EffectiveBrands sur le marketing des années 2020.
Le métier de marketeur a déjà évolué et continue de le faire. Il se dessine, à horizon de 2020, comme un poste aussi bien d'observation que d'action. En rencontrant Cédric Parent, l'un des directeurs marketing du groupe Orange, nous voulions savoir comment lui, un acteur du B to B disposant d'un champ d'activité aussi bien en France qu'à l'international, voit sa mission évoluer. La vision de Cédric Parent rend compte de la richesse et de la complexité des enjeux du marketing. Et fait écho à l'étude d'EffectiveBrand (voir encadré ci-dessous).
marketing: Le directeur marketing Royaume-Uni de Procter & Gamble, Marc Pritchard, a affirmé il y a quelques semaines que "le marketing digital était mort". Êtes-vous d'accord avec lui?
Cédric Parent : Oui et non. Oui, car le marketing digital est un moyen et non une fin. C'est un biais pour toucher ses clients et suivre de façon beaucoup plus efficace l'action marketing. Non, car le digital peut être aussi un attribut du produit.
Je pense aux banques en ligne, par exemple. Qu'est-ce que cela change pour un directeur marketing ? La différence tient à l'instantanéité. Auparavant, le temps était plus long entre le moment où l'on décidait une action, sa mise en oeuvre et le retour sur les actions que l'on avait menées. Les délais atteignaient trois à six mois. Le fait que l'on puisse utiliser les canaux digitaux pour toucher ses clients permet un retour rapide. Et cela permet de faire des corrections d'actions à chaud. On peut très bien réajuster une campagne en se rendant compte que le taux de clic, de conversion et de réponse des contacts est beaucoup trop faible. On bénéficie d'une grande instantanéité, d'une plus grande mesure des actions. Et, c'est bien connu : "on ne peut contrôler que ce que l'on mesure". En contrepartie, il faut être vigilant. Cette instantanéité et le fait d'avoir des retours d'actions beaucoup plus rapides peuvent faire perdre un peu d'audace et cela peut amener à cesser des actions beaucoup trop rapidement. Il faut parfois du temps pour que le public s'approprie une offre, un message. N'oublions pas que seul un tiers des directions marketing estime être en mesure de démontrer quantitativement l'impact de ses investissements(1).
Que signifient pour vous les notions de big data et d'infobésité ?
Il est bon de rappeler qu'un certain nombre d'acteurs du marketing utilisent depuis longtemps de gros volumes de données. On n'appelait évidemment pas encore ça le "big data". Aujourd'hui, ce qui s'accélère, c'est la collecte d'informations, toujours plus importante, sur nos clients mais aussi sur leurs usages. D'un point de vue marketing, on va pouvoir cibler de plus en plus finement les utilisateurs. Mais cela va imposer d'effectuer une analyse des données extrêmement pertinente. Maintenant, il faut toujours faire attention, car on ne peut jamais prédire le futur simplement en regardant ce qui s'est passé précédemment. Il faut donc se servir du big data comme moyen d'analyse mais pas subir le diktat de ses données.
Est-ce que, pour vous, la gestion de la confidentialité des données et le respect de la vie privée de ses consommateurs sont essentiels?
De plus en plus d'utilisateurs vont se tourner vers des marques qui respectent leur vie privée, vers des entreprises qui ont une éthique et une charte sur l'utilisation des données. On le voit aujourd'hui avec la première décrue du nombre d'utilisateurs de Facebook. Les entreprises qui mettent en avant, dans leur proposition de valeur, un élément concernant la confidentialité, l'accompagnement et le contrôle des données vont en tirer un très grand profit. Elles auront une relation de confiance beaucoup plus grande avec leurs clients. Les messages vont devenir de plus en plus efficaces.
Comment rester cohérent face à la démultiplication des points de contacts ? Les opérations proposées comme moyens d'actions pour un CMO sont originales. Comment ne pas être perturbé dans son action à 360°?
Cela passe par trois choses : des outils, de l'organisation et des comportements. En effet, il faut absolument avoir des outils qui soient capables de gérer cette relation à 360° - et ce sont ceux de la relation client. Il faut qu'il y ait une concentration des informations recueillies, quels que soient les moyens de communication et d'interaction avec son client. Se pose également une question d'organisation. Les systèmes en silo sont clairement incompatibles avec cette démarche. Enfin, le comportement est essentiel. Il faut une bien meilleure diffusion en interne des actions faites vis-à-vis de l'extérieur. Il est nécessaire que les informations soient largement partagées.
Que pensez-vous des entreprises qui font subsister leur organisation en silo et qui ne se réinventent pas pour s'organiser transversalement?
Si on persiste dans des organisations en silo, on va effectuer des actions qui sont en contradiction sur une même base client. Cette perte de synchronisation rend complètement inefficace l'ensemble des opérations. Maintenant que l'on s'est dit cela, on arrive à des organisations matricielles, même s'il subsiste des business units séparées, et cela présuppose d'avoir une stratégie simple, aisément compréhensible, pas compliquée à exécuter et donc facile à suivre.
Comment positionner sa marque ? Êtes-vous face à des humains ou à des consommateurs?
Sur le marché grand public, on s'adresse fortement aux personnes, qui peuvent être des parents ou des célibataires, des individus qui sortent, des geeks, des enthousiastes ou des gens plus conservateurs... Sur le marché des entreprises, c'est devenu la même chose. Avec le BYOD (bring your own device), on va ramener dans sa vie professionnelle des outils personnels pour se connecter au système d'information de l'entreprise. Donc, même dans le B to B, on s'adresse désormais plus à des humains qu'à des consommateurs qui correspondraient à des habitudes de consommation et d'achat.
Comment développez-vous les compétences de vos collaborateurs?
L'engagement, l'écoute, la capacité à s'adapter à l'environnement, c'est bateau ! Ce qui compte c'est le quotidien. On se rend compte qu'une action marketing ne vit pas toute seule. Une action commerciale ou un service client non plus. Ils font partie d'un ensemble. Il faut renforcer les échanges d'informations afin de comprendre ce qui est important pour un client. C'est le principe de "vis ma vie" : se mettre dans les chaussures de son collègue, utiliser ses propres outils, est extrêmement important.
Quelles sont, selon vous, les valeurs clés du marketing des années 2020 ?
Les marketeurs n'ont jamais été dans un monde aussi complexe à gérer. Ils possèdent beaucoup d'outils pour analyser la consommation, pour interagir avec leurs propres clients. Une fois que l'on sait cela, il va falloir avoir deux grandes qualités, à mon avis. Deux valeurs importantes, que sont l'agilité et la capacité à être visionnaire. En effet, il deviendra primordial de se reconfigurer extrêmement rapidement. De ne pas prendre pour acquis des modèles de consommation actuels, car le futur n'est pas une droite tirée à partir du passé. On peut se trouver face à des ruptures à la fois technologiques, de comportement et de consommation très rapides. Et il deviendra impératif d'être visionnaire : susciter des envies, voire créer des besoins.
Agilité et capacité de vision vont être les deux grandes valeurs pour les années à venir. Il est peut-être plus important d'être agile que de savoir analyser les données.
(1) "Chief Marketing Officer Optimism at Four-Year High ; Proving the Value of Marketing Remains Elusive", http://www.cmosurvey.org.
BONUS VIDÉO: Retrouvez les temps forts de l'interview de Cédric Parent :