Comment mettre le développement durable au centre de son business ?
Publié par Clément Fages le | Mis à jour le
Pour la semaine du développement durable, Publicis a illustré l'intérêt pour les entreprises d'évaluer leur dépendance à la nature et les conséquences de leur activité, afin de devenir des marques à impact plus que des marques responsables. Illustration avec BNP Paribas, Kering et Carrefour.
Business for good = good for business ? C'est le résumé d'une matinée de conférences organisée par Publicis à l'occasion de la semaine du développement durable. Une matinée qui débute par ce constat de Valérie Hénaff, CEO de Publicis Conseil : "94% des jeunes français se disent inquiets. 73% des membres de la génération Y sont prêts à payer plus pour des produits responsables, et 62% d'entre eux ne veulent pas travailler dans des entreprises qui ne le seraient pas." Mais au-delà de l'opinion, ces bouleversements s'inscrivent aussi dans la réalité du business, comme le prouvent les chiffres et les sujets des débats : 5000 milliards d'euros par an, c'est, selon la CNUCED, ce qu'il faudrait mettre sur la table renverser la courbe des émissions d'ici à 2020, peut-on ainsi entendre en introduction d'une première table ronde intitulée "Entreprises responsables, engagées, contributives : comment s'y retrouver ?". Les services rendus à l'économie par la nature sont évalués à 125 000 milliards de dollars explique-t-on en ouverture de la deuxième, qui cherche à répondre à la question : "doit-on rendre à la nature ce qu'on lui prend ?", tandis qu'on réalise ce simple constat avant la troisième, consacrée à la lutte contre le plastique : chaque année, nous perdons l'équivalent de la crise économique de 2008 en services rendus par la nature...
Alors, que faire concrètement ?
La communication, c'est de l'engagement
"On voit de plus en plus d'entreprises à mission faire leur apparition. Nous pouvons nous inscrire dans cette tendance, en disant que Sparknews veut accélérer la transition sociale et écologique et créant un nouveau narratif. Il y a Greta Thunberg et les grands patrons qui prennent ces sujets à bras-le-corps, mais nous cherchons de notre côté à trouver de vraies gens, pour faire émerger de vraies histoires et créer une dynamique permettant de résoudre des problèmes", se présente Sandra De Bailliencourt, co-fondatrice de Sparknews, qui a récemment mené une étude avec Les Echos pour évaluer le poids de la RSE dans la prise de décision au sein des entreprises du SBF120. Alors qu'en mars dernier, 51 patrons des 120 principales entreprises cotées à la bourse de Paris s'engageaient à "briser le plafond de verre" des inégalités salariales homme / femme, et que plus généralement "tout le monde dit prendre en compte les 17 objectifs de développement durable mis en place par l'ONU, mais seulement 20% des cadres de ces entreprises disent les prendre en compte réellement au moment de prendre des décisions stratégiques. Or c'est notre rôle que d'encourager les entreprises à passer de la responsabilité à la contribution, c'est-à-dire veiller réellement à ce que leurs activités aient un impact positif. Et c'est aussi le rôle des publicitaires et des communicants que de les pousser à aller plus loin que le greenwashing."
Pour elle, il ne faut pas attendre que la décision vienne des consommateurs, comme l'a prouvé Emery Jacquillat à la tête de la Camif, qui, en adoptant une approche de co-création locale et de consommation durable, a séduit 400 000 clients, "dont deux tiers ont été recrutés depuis le relancement de l'entreprise ! Il faut montrer ces exemples positifs pour créer des vocations, et faire en sorte qu'au-delà des clients, les employés s'emparent de ces questions ! Ne mettez plus en avant des égéries, montrez vos employés, qui ont un vrai récit à porter. La communication aujourd'hui ce n'est plus de la communication, c'est de l'engagement", lance-t-elle, comme un message adressé aux membres des comex de chaque entreprise, qu'il faut absolument embarquer selon elle.
L'engagement, plus que la RSE
Un constat dans lequel se reconnaît sans doute Vanessa Bouquillon, directrice de l'engagement chez BNP Paribas. "Nous voulons faire plus que de la RSE, avec la création de cette direction de l'engagement, qui regroupe nos actions de mécénat, d'inclusion RH, de volontariat en plus de la RSE classique. Notre message est le suivant : nous ne ferons plus du business comme avant, et nous voulons mener des actions pérennes. Cela se traduit déjà dans les prises de positions de notre CEO Jean-Laurent Bonnafé : la fin du financement de l'industrie du tabac il y a deux ans et plus généralement des industries qui ne font pas leur transition énergétique et continuent d'utiliser des énergies fossiles comme le charbon, ou encore la création de My Impact, qui doit permettre de rassembler des produits financiers à impact, d'abord en banque privée puis in fine en agence. Il n'y a qu'ainsi que nous deviendrons vraiment la banque d'un monde qui change", explique-t-elle, citant la signature actuelle de l'entreprise et les conséquences concrètes de telles décisions : "la fin du financement du tabac ou du charbon, c'est la perte de pans entiers du business, mais aussi la nécessité de reformer des personnes." Et pour mobiliser les cadres sur la durée, une dose de contrainte est nécessaire reconnaît-elle : "15% des crédits accordés, soit 195 milliards, sont fléchés et servent au financement de projets remplissant l'un des 17 objectifs de développement durable de l'ONU. Le respect de ces objectifs est d'ailleurs scoré, et compte pour 20% du bonus de nos cadres ! Mais attention, cela ne veut pas dire pour autant que seulement 15% sont consacrés au "green", et que les 85% restants ne le sont pas ! Ils financent des dossiers plus complexes dont la détermination de l'impact nécessite un audit."
Une réalité à laquelle est quotidiennement confronté Hugo Bluet, en charge du programme Finance Verte chez WWF France : "Eau, biodiversité, climat... Il est souvent difficile de trouver les metrics permettant de se rendre compte de l'impact réel d'une multinationale complexe. Au départ, notre action ne portait que sur les liens entre banques ou assureurs et le climat, mais nous avons progressivement élargi notre champ d'analyse, afin de bien nous rendre compte des services écosystémiques fournis par la nature, de la relation de dépendance qu'entretiennent la plupart des multinationales avec ces services et de la façon dont leurs activités impactent la nature. Et aujourd'hui, il faut bien constater que la majorité des institutions financières financent les activités qui ont le plus lourd impact écologique, à savoir le charbon, le pétrole ou encore le ciment."
Comprendre avant d'agir
Cette complexité dans les relations de dépendance, un groupe comme Kering s'en est emparée en étudiant l'impact EP&L (Environmental Profit and Loss) des activités du groupe : "Utilisation de l'eau, de matières premières et production de déchets... Nous avons réalisé que nos activités étaient dépendantes de la protection de l'environnement et de la biodiversité. Trop prendre à un écosystème, c'est le condamner à l'effondrement", avance Michael Beutler, directeur des opérations de développement durable du groupe, qui collabore avec la WWF pour mener des actions concrètes. "Nous avons trois leviers d'action : sensibiliser les clients pour qu'ils mettent la pression sur les marques. Mettre en lumière, via la science, les limites environnementales dans lesquelles les entreprises peuvent s'inscrire. Et enfin le levier réglementaire, qui doit être utilisé de façon équilibrée, ne pas imposer des normes inapplicables tout en légiférant là où il y a consensus, comme sur la lutte contre la pollution plastique", explique Hugo Bluet, alors que la WWF, en partenariat avec le World Resources Institute, travaille à définir pour chaque entreprise qui le souhaite des objectifs SBT, pour "Science based target", qui prennent en compte les particularités de chaque secteur pour mettre en place des actions réalistes et réfléchies. Car comme le rappelle l'expert de la WWF, chaque action a des conséquences parfois inattendues : "Au Royaume-Uni, une grande banque a dû arrêter de financer des entreprises productrices d'huile de palme en Indonésie après s'être fait épingler par une ONG. Du coup, ce sont les banques locales indonésiennes qui ont pris le relais, à des taux plus avantageux du fait de l'effet d'aubaine, et sans réelle conséquence pour la préservation de la forêt là-bas."
Des décisions aux conséquences systémiques, une multinationale comme Carrefour en prend régulièrement, comme l'explique Bertrand Swiderski, son directeur RSE : "Nous voulons arriver à 100% d'emballage recyclable ou réutilisable d'ici à 2025. Mais cela demande de revoir de nombreux processus. Prenez la possibilité de venir avec son tupperware prendre sa viande par exemple : il fallait remettre à plat la façon de contrôler les clients à l'entrée du magasin et en caisse, la façon d'étiqueter et de peser le produit...Et pour l'instant très peu de monde s'y est essayé ! Certaines décisions prises il y a seulement quelques années sont à remettre à plat : c'est le cas des bananes bio et issues du commerce équitable que nous avons lancé il y a quatre ans, et qui pèsent un tiers des bananes vendues chez nous. Depuis peu, nous remarquons une croissance des ventes freinée par l'utilisation d'un emballage plastique. Il faut alors repenser tout notre processus pour changer cet emballage."
Quel rôle pour le marketing et la pub ?
Carrefour va par ailleurs bientôt lancer un appel à projet pour trouver des alternatives à 10 emballages jugés aujourd'hui problématiques, comme, entre autres, la fameuse briquette de jus de fruit, la gourde de compote ou la boîte de pains au chocolat... "Derrière ces produits il y a de véritables filières, et donc des emplois. Ce ne sont pas des décisions à prendre à la légère. C'est en partie pour cette raison que nous ne voulons pas nous lancer tout de suite dans le plastique biodégradable : une telle décision se traduit par des investissements de la part d'industriels qui vont mettre en place une filière, avec des agriculteurs qui vont cultiver de la pomme de terre exprès pour créer ce plastique. Que leur dirions-nous si après quelques années nous décidions de changer à nouveau ?"
Face à l'urgence écologique, et au constat dressé par Matthieu Combe, Fondateur du magazine Natura-sciences.com et auteur du livre "Survivre au péril plastique, des solutions à tous les niveaux", à savoir que 300 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année, et que la moitié du plastique retrouvé dans les océans est des plastiques à usage unique, Bertrand Swiderski met en avant d'autres initiatives du groupe, comme son partenariat avec Loop, le service e-commerce de produits consignés actuellement testé à Paris : "Loop nous pose plein de questions, et il faut réinventer tout un système de distribution. Mais l'un des premiers enseignements que j'en tire est que la solution au problème ne doit pas coûter plus cher que ce qui cause le problème. Depuis cinquante ans, notre société ne cherche qu'à réduire les contraintes et devenir de plus en plus facile, mais il faut retrouver un juste équilibre." Dans cette quête, le marketing et la communication ont plus que jamais leur rôle à jouer détaille le responsable RSE, citant des exemples : "Le début de notre collaboration avec Loop est lié au lancement en 2017 d'un nouveau shampoing pour Head&Shoulders, dont la bouteille est issue des plastiques récupérés sur les plages. Or, contrairement aux produits classiques de la marque, qui sont blancs, celui-ci était gris, et nous avons eu du mal à écouler les stocks." Même problème pour un produit lave-vitre sec, auquel il suffisait d'ajouter de l'eau : "Nous le commercialisions dans une petite pochette plastique, bien plus économique qu'un gros bidon de lave-vitre liquide. Mais cela a été un flop, car ça ne respectait pas les codes habituellement utilisés et qui parlent aux acheteurs. Pour faciliter la commercialisation des produits écologiques, il faudra encore appliquer et adapter les recettes du marketing classique !"