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Futur du retail : la grande inconnue ?

Publié par Clément Fages le - mis à jour à

En 2023, les enseignes jonglent avec les défis et autres enjeux liés à leur transformation digitale et responsable, mais aussi à la conjoncture économique marquée par une baisse du pouvoir d'achat. Une équation difficile à résoudre...

Depuis la liquidation de Camaïeu, on ne compte plus les enseignes textiles en difficulté : Pimkie, Kookaï, San Marina, Kaporal, Sergent Major, André, Burton, GoSport, Comptoir des Cotonniers, Princesse Tam Tam, Du Pareil Au Même... Même Don't Call Me Jennyfer, enseigne qui avait réussi à moderniser sa marque pour la faire vivre en ligne a du mal à faire face à l'inflation. Emmanuel Locati, son Directeur général, évoque une hausse des coûts d'exploitation de 10 % au S1 2023, pour une baisse des ventes de 6 %, sans oublier la concurrence frontale de Shein et bientôt de Temu sur ce segment d'âge. Dans ces conditions, difficile d'être "standard ou moyenne gamme", pour reprendre les mots de Guénaëlle Gault, Directrice générale de l'ObSoCo, réagissant au cataclysme qui touche le secteur de la mode. "Ce n'est pas tant une question de premiumisation ou de discount : il s'agit avant tout de créer de la valeur pour sa cible ! Le branding est bien sûr important, mais il faut aussi se distinguer par ses produits et par l'expérience offerte à ses clients", nuance Pascal Malotti, Business Development & Strategy Director de Valtech en France.

De quoi expliquer la reconfiguration en cours du secteur ? "L'e-commerce a levé la contrainte du déplacement en voiture dans les zones périphériques. La baisse du trafic et l'inflation des coûts et des loyers ont dégradé la rentabilité au m2. Les enseignes arbitrent en faveur des magasins les plus rentables, notamment en centre-ville", analyse Arnaud Viody, Partner Commerce & Loisirs au sein du cabinet de conseil Vertone. "Il ne s'agit plus d'être rentable au global, mais point de vente par point de vente. Les confinements ont montré que le retail physique reste prépondérant, mais pas sous une forme 100 % transactionnelle. Il faut de l'expérience et du service, avec des lieux dont l'identité est intrinsèquement liée à la ville d'implantation, et dont l'usage évolue tout au long de la journée, via du co-working, des cours, de la restauration ou encore des pop-up stores éphémères", indique Alexandre Séjourné, Directeur général d'Accessite, spécialiste de la gestion d'actifs commerciaux. Quant aux emplacements laissés vacants, ils sont autant d'opportunités pour des DNVB, et surtout des discounters, de développer leur présence physique.

Demain, tous discounters


Car si l'expérience en magasin est essentielle, le nerf de la guerre reste le prix, comme en témoignent les difficultés du groupe Casino ou les succès des discounters. Cette quête de prix bas s'est intensifiée avec l'inflation : "74 % des Européens considèrent qu'il n'est "pas dévalorisant" d'acheter des produits low cost. Et pour 38 % des retailers, s'engager sur des prix bas est l'action la plus efficace pour développer leur chiffre d'affaires", juge ainsi Sandrine Préfaut, General Manager Europe de Locala, qui dévoilait fin juin son Baromètre Retail Insights 2023. Une réalité qui se traduit par les paniers anti-inflations mis en place par les enseignes, le lancement médiatique de Toujust ou les succès d'Aldi, Lidl ou Action, qui remplace en 2023 Leroy Merlin comme Enseigne Préférée des Français, selon le baromètre réalisé par EY-Parthenon et Marketing Magazine...

"La clientèle premium aussi peut être avide de promotions et de bonnes affaires ! Il faut réussir à proposer de la qualité à prix discount, ce qui fait le succès de Lidl, qui séduit une nouvelle clientèle grâce à son offre primeur, sa cave ou ses produits de bricolage et d'électroménager", juge Arnaud Viody. Forte de cette légitimité, l'enseigne s'attaque désormais au e-commerce, avec le lancement de Lidl.fr en juin. "Nous avons initié une stratégie de digitalisation depuis plusieurs années avec Lidl Voyages et Lild-vins. Notre ambition avec Lidl.fr est double : séduire les Français qui ne connaissent pas encore notre offre, notamment dans les zones où nous ne sommes pas implantés physiquement. Et fidéliser nos clients actuels, en leur apportant une offre complémentaire, avec 5000 références en ligne d'ici à la fin d'année, contre quelques centaines en magasin", indique Michel Biero, Directeur exécutif achats et marketing chez Lidl France.


Discounter ou non, chaque enseigne renforce ainsi ses propres écosystèmes. 23 % de celles interrogées par Locala indiquent vouloir recruter via de nouveaux programmes de fidélité, afin de donner accès à des promotions (17 %). Une tendance qui se traduit aussi ces dernières années par le développement des offres sur abonnement.

Des clients abonnés aux bonnes affaires

Présentées comme un moyen de créer une relation plus engageante et exclusive avec les clients, ces innovations connaissent des succès variés. Dans l'alimentaire, le modèle se développe doucement : en début d'été, Monoprix s'associait à Amazon pour promouvoir Monopflix aux abonnés de Prime, et leur faire profiter gratuitement du service pendant six mois. Le groupe Casino, qui a aussi lancé Casino Max, ne communique plus sur le nombre d'abonnés à ses différentes souscriptions depuis fin 2022. Le chiffre de 370 000 abonnés était alors évoqué, contre 350 000 mi-2022. De son côté, Carrefour+ est toujours testé en Seine-Maritime depuis son lancement en septembre 2021. À l'été 2022, l'enseigne dressait un bilan mitigé de l'expérimentation : si les dépenses des abonnés sont 30 % supérieures, seulement 3 % des clients des magasins concernés ont souscrit à l'offre selon Carrefour, qui avait promis une refonte pour 2023...

Les succès sont plus probants dans le non-alimentaire, où ces offres cherchent également à réduire l'impact de l'activité de l'entreprise. "C'est un de nos piliers stratégiques en matière de développement durable, au même titre que l'occasion, la réparation et le recyclage. Après les tests, la difficulté réside dans le passage à l'échelle, qui nécessite des investissements supplémentaires : il faut adapter le système d'information, former les équipes aux métiers de la remise à neuf, mais aussi adopter de nouvelles techniques de gestion du risque client...", explique Yann Carré, chargé de développer les offres de location de Decathlon. "Nous allons passer le cap des 50 000 abonnés à la location d'un vélo pour enfant d'ici la fin 2023, alors que nous avons lancé l'offre en mai 2021." Au-delà du vélo, l'enseigne limite ses abonnements à des produits de valeur, qui nécessitent une maintenance dans la durée : appareils de fitness, équipements de sports de combat ou d'équitation.

Ces offres s'ajoutent aux nouveaux programmes relationnels développés par les enseignes pour collecter de la donnée first party, et ainsi personnaliser l'expérience et les promotions offertes à leurs clients. Mais cet actif est aussi au coeur de l'essor du retail media, pratique permettant aux enseignes de développer de nouvelles lignes de revenus, avec un taux de marge supérieur à 70 % en moyenne, compensant la dégradation du chiffre d'affaires liée au contexte économique.

Quel nouveau mix-média et produits ?

En matière de publicité, de plus en plus d'enseignes annoncent la fin de la distribution du prospectus, au profit de sa digitalisation. De quoi permettre à E.Leclerc d'économiser l'équivalent de 50 000 tonnes de papier par an dès cette rentrée. Mais le leader de la grande distribution n'a pas qu'un intérêt environnemental à cette décision. Au-delà des économies réalisées sur l'impression et la distribution, cet arrêt pénalise moins l'enseigne, qui bénéficie déjà d'une bonne image prix et qui a les moyens d'activer des alternatives. Des offres segmentées portées par les régies du SNPTV aux coupons de réduction digital développés par HighCo, en passant par les NFTs ou les offres de live shopping... Celles-ci ne manquent pas. Mais les spécialistes du secteur indiquent qu'il faut en moyenne 7 canaux pour remplacer un prospectus. Or, toutes les enseignes n'ont pas les moyens financiers et humains de mener des expérimentations au ROI incertain, alors que la fin du prospectus peut entraîner une perte de 20 à 30 % de chiffre d'affaires ! C'est tout l'enjeu de l'expérimentation OuiPub, initiative lancée il y a un an et qui vise à remplacer StopPub. 48 % des consommateurs des zones concernées pensent avoir réduit le nombre de magasins fréquentés depuis qu'ils ne reçoivent plus les prospectus dans leur boîte aux lettres, selon une étude réalisée par Toluna Harris Interactive pour l'agence de géomarketing Pub Audit. Et si 29 % des sondés ont apposé l'autocollant, ce qui permet de qualifier les plus promophiles, les enseignes devront trouver des moyens de continuer à acquérir de nouveaux clients.


Mais d'autres solutions simples s'offrent à elles : changer leur offre ! Le Groupe Casino a par exemple généralisé en avril 2022 un baromètre de saisonnalité dans ses rayons primeurs et sur son drive, ce qui a conduit à "une baisse de 25 à 30 % des ventes des fruits et légumes hors saisons, pour une hausse de 6 à 8 % de celles des produits de saison qui, plus abondants, sont aussi plus accessibles" selon Melek Figuet, la directrice RSE du groupe. De son côté, Carrefour a mis en place un filtre responsable sur son site e-commerce, faisant la promotion des produits les plus vertueux et les moins chers... qui se révèlent être issus de ses MDD. Et pour boucler la boucle, on citera un autre exemple issu du secteur textile, où le développement des offres d'occasion permet, au même titre que celles dans le secteur high-tech ou éléctroménager, de séduire une nouvelle population sans cannibaliser les ventes de produits neufs, comme l'explique Hélène de Saugère, Directrice Marketing, Digital et Communication de l'enseigne Petit Bateau : "Dans le secteur, pour résister, il faut se diversifier. Développer l'international et les catégories adultes et enfants, valoriser les clients omnicanaux, et enfin, s'emparer de l'occasion. La seconde main représente jusqu'à 10 % du CA de certains des 22 magasins qui ont mis en place un corner dédié, et nous avons depuis ce printemps de très bons résultats sur notre offre en ligne, qui nous permet de recruter des clients plus jeunes, tout en multipliant les commandes mixtes, mêlant neuf et occasion." Bien sûr, il s'agit là pour l'enseigne d'un changement de métier : "Le sourcing et la remise en état des produits sont un défi. Les marges sont plus faibles, et nous avons dû internaliser une partie de la logistique. Mais au même titre que le recyclage des fibres, c'est la clé d'une activité à la fois rentable et durable.", conclut la Directrice Marketing de Petit Bateau.

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