Netflix est-il french compatible ?
Publié par Maud Vincent le | Mis à jour le
Le 15 septembre, le service de vidéo à la demande américain, Netflix, lancera son offre en France. Mais est-il compatible avec le paysage français ?
Netflix est le serpent de mer de l'année 2014. Voilà plus de deux ans que les acteurs et médias ergotent à loisir sur l'arrivée dans l'Hexagone du puissant SVoDiste américain. La confirmation, en mars puis en juillet dernier, du démarrage de son service en France ce mois-ci n'a pas ralenti le buzz, loin s'en faut. Pas un jour ne se passe sans que Netflix ne fasse l'objet de multiples articles. Un bruissage médiatique qu'entretient l'entreprise américaine, qui distille au compte-goutte ses informations, venant relancer à intervalles réguliers la machine à spéculation.
Spéculation : le mot est choisi car nul ne sait, sur un marché en pleine (r)évolution, quel sera l'impact de Netflix. Les craintes, vis-à-vis du modèle de Canal+ notamment et de l'exception culturelle française, sont fondées. Installée au Luxembourg, puis aux Pays-Bas, l'entreprise échappera aux quotas de production. Mais pour beaucoup, Netflix pourrait aussi jouer le rôle de déclencheur : en popularisant la vidéo en streaming par abonnement, il participerait à la croissance de ce marché stratégique et, pour l'heure, sous-exploité en France... ce dont le PAF tirerait bénéfice.
En bref, Netflix est-il "french" compatible ? C'est le débat qui agite la rédaction ces derniers mois, et que nous proposions à nos lecteurs sous la forme d'un débat entre deux experts en mars dernier et dont vous trouverez ci-dessous l'intégralité. Les enjeux évoqués sont parfaitement d'actualié, à dix jours de l'arrivée de Netflix en France.
POUR
" Sa maîtrise des leviers marketing est un atout maître "
Netflix a des cartes à jouer pour s'implanter durablement dans le PAF. Son développement international en Europe livre quelques clés. Avec environ 1,5 million d'abonnés, il a réussi à pénétrer le marché britannique, très concurrentiel et dominé par BSkyB et LoveFilm, service de SVOD d'Amazon. L'hégémonie de Canal + ne constituerait donc pas une barrière suffisante pour empêcher la percée de Netflix. Sa maîtrise des leviers marketing est un atout maître. Son offre a toutes les chances de capter les sérievores : si on se focalise en France sur la chronologie des médias, gardons à l'esprit que cela ne concerne que les films et non les séries sur lesquelles reposent d'abord le succès du SVODiste. Outre un catalogue XXL, il s'affirme comme producteur avec des séries maison de qualité et plébiscitées par le public comme House of Cards ou Orange is the new black. Sa politique commerciale agressive avec un abonnement mensuel à moins de 10 € peut aussi faire la différence. Reste la question de la distribution de son offre : s'il noue un partenariat avec les acteurs de l'IP TV, il bénéficiera d'une forte couverture, car la majeure partie des foyers accède à la télévision via un opérateur FAI. L'Américain serait en discussion avec Orange et Free [NDLR. Depuis, Stéphane Richard, PDG d'Orange, a déclaré en août dernier que Netflix ne serait pas distribué sur la Livebox à son arrivée en France]. Il pourrait aussi exploiter les canaux de l'OTT, aujourd'hui sous-utilisés en France (téléviseur connecté, console de jeux, lecteur blu-ray). Autant dire que Netflix, né de l'OTT et disponible sur quelque 450 devices, dispose, là, d'une longueur d'avance. Enfin, un partenariat avec des acteurs non audiovisuels mais disposant d'une large base d'abonnés, comme la grande distribution (La Fnac, Carrefour...), pourrait constituer une alternative. Le rachat en 2012 de Wuaki, service de VOD espagnol, par le groupe japonais Rakuten, propriétaire de PriceMinister, et qui devrait être bientôt lancé en France, augure de ce type de stratégie disruptive [NDLR Wuaki a lancé son offre en version bêta depuis le 3 septembre].
" Il va devoir composer avec des contraintes réglementaires "
Plusieurs services français se sont déjà installés avec un certain succès en convainquant des centaines de milliers d'abonnés. Aussi innovant soit son modèle, il n'est pas acquis que Netflix s'impose aussi facilement sur le marché français, tant celui-ci diffère du marché des États-Unis où il a bâti son succès. Si le géant américain de la vidéo par abonnement accepte la loi française, il va devoir composer avec des contraintes en matière de quotas de diffusion d'oeuvres françaises, de taxe pour la création, et de chronologie des médias [NDLR. On sait maintenant que Netflix sera obligé de respecter la chronologie des médias mais pas les obligations françaises de production étant installé au Luxembourg]. Cette dernière impose un délai de 36 mois avant l'exploitation en SVOD des films diffusés au cinéma. De plus, la télévision de rattrapage (catch-up tv ou replay) est beaucoup plus répandue chez nous qu'aux États-Unis. Enfin, l'atout de la plateforme américaine de streaming, qui réside dans la taille de son catalogue (11 000 programmes aux États-Unis), est relatif car elle tombe à trois fois moins au Royaume-Uni et neuf fois moins aux Pays-Bas. Restent les séries, qui sont "le" produit d'appel de Netflix, avec la diffusion en intégralité de saisons. Une offre alléchante pour un public sérievore adepte du "binge viewing" ("visionnage compulsif"). Anticipant l'offensive, les chaînes et opérateurs français ont pris les devants en verrouillant les droits des dernières saisons de leurs séries à succès et en développant leur offre légale de séries. Canal + a enrichi en septembre 2013 son bouquet d'une chaîne 100 % séries ; Orange a inauguré "OCS City" en octobre dernier. À l'inverse de Netflix qui, en dehors de ses quelques créations originales, ne propose que des saisons déjà terminées à ses clients, ces offres proposent un large éventail de séries récentes dont certaines n'ont qu'une à deux journées de retard sur la diffusion américaine.