Parole d'experts : quand les attributs des politiques inspirent les publicitaires
Publié par Delphine Brunet-Stoclet et Marie André-Nivet (SBKG & Associés) le | Mis à jour le
Delphine Brunet-Stoclet, associée au cabinet SBKG & Associés et Marie André-Nivet, toutes deux avocates en propriété intellectuelle, reviennent sur le cadre juridique concernant l'utilisation de l'image des hommes et femmes politiques en publicité.
Il s'affiche et s'agite. Son image est placardée ; sa voix est sur les ondes, reconnaissable entre toutes ; ses tocs gestuels et de langage sont repris par les humoristes.
L'Homme politique est connu des Français et suscite des émotions diverses à sa seule évocation : l'agacement, le dédain, l'adhésion, l'enthousiasme, la surprise.
Sa notoriété ne fait en tout cas aucun doute, et dépasse les découpages classiques de la population : socio-professionnels, économiques, culturels, géographiques, générationnels, ...
Les publicitaires l'ont bien compris en tentant régulièrement d'utiliser des politiques comme personnages publicitaires.
L'appartenance des hommes et femmes politiques à la sphère publique ne saurait toutefois signifier que les attributs de leur personnalité sont libres d'utilisation par les tiers, à des fins commerciales et publicitaires notamment.
Comme toute autre personne - connue, publique ou non -, leur voix, leur nom et leur image ne peuvent ainsi faire l'objet d'une exploitation commerciale et publicitaire sans leur autorisation préalable, par application de l'article 9 du Code civil.
Le 3 septembre 2013, l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité a publié un avis "Publicité et politique" qui aborde ainsi la question actuelle de la publicité commerciale utilisant la politique pour promouvoir des produits et services.
Il y rappelle notamment que si les annonceurs dans les médias écrits bénéficient de la liberté d'expression, ils doivent néanmoins agir dans les limites légales et déontologiques, en ce compris le droit au respect de la vie privée et a fortiori les attributs de la personnalité, et ne doivent pas porter atteinte aux fonctions des politiques dirigeants et élus lorsqu'ils les utilisent.
Les juridictions ont déjà pu se prononcer sur le sujet.
Ainsi, par exemple, en 2008, la compagnie aérienne Ryanair faisait la promotion de ses services en utilisant sans autorisation une photographie de Carla Bruni et Nicolas Sarkozy les représentant côte à côte, regardant dans la même direction, l'air réjoui, et attribuant à Carla Bruni la pensée : "Avec Ryanair, toute ma famille peut venir assister à mon mariage".
Les protagonistes de cette publicité ont formé une action en référé, sur le fondement de l'article 9 du Code civil.
La défense de la Société Rynair consistait à soutenir que la publicité litigieuse ne révélait aucune information non connue par le public - le mariage prochain de Carla Bruni et Nicolas Sarkozy -, que la photographie qui l'illustrait était en lien direct avec l'actualité, qu'elle avait été prise après autorisation et, enfin, qu'elle revêtait une dimension humoristique. Elle n'aura pas convaincu le juge.
Outre l'interdiction qui lui a été faite de poursuivre l'action publicitaire litigieuse, la Société Ryanair a en effet été condamnée à verser à Nicolas Sarkozy la somme de 1 euro à titre de dommage moral, somme qu'il demandait, et condamnée à verser à Carla Bruni la somme de 60.000 € à titre de dommage patrimonial et 1€ à titre de dommage moral. Le juge des référés a en effet retenu que le dommage patrimonial de Carla Bruni résultait de l'usage de son image à des fins publicitaires sans qu'en ait été payé le prix alors même que sa profession était le mannequinat.
Le préjudice subi par les politiques en cas d'utilisation non autorisée de leur image à titre publicitaire serait donc exclusivement moral et symbolique. Les politiques semblent d'ailleurs ne demander que cette réparation symbolique.
Le risque, réel, se situe sur un autre terrain : le temps de diffusion de la publicité litigieuse avant que ne soit ordonné son retrait. Celui-ci peut en effet être demandé au juge des référés, lequel statue rapidement.
Très récemment, le site de rencontre Victoria Milan a lancé une affiche publicitaire mettant en scène Ségolène Royal, à laquelle est associée le slogan "Laissez libre cours à votre passion, Ayez une affaire".
La protagoniste a fait savoir qu'elle engagerait des démarches pour le retrait de cette campagne.
Ces affaires en rappellent d'autres : les publicités de Benetton en 2011 sur lesquelles des femmes et hommes politiques dont les relations étaient inappropriées ou réputées tendues s'embrassaient.
Dans le cadre de cette campagne, la Société Benetton avait retiré le visuel photo-monté représentant le Pape Benoît XVI embrassant sur la bouche un imam. La Société avait en revanche maintenu d'autres visuels dont un baiser Sarkozy-Merkel et un baiser de Barack Obama à son homologue chinois.
Il n'en demeure pas moins que ces publicités sont contraires à la loi, le droit à l'image relevant du droit au respect de la vie privée - qui appartient à tous - et son utilisation devant avoir été autorisée préalablement, à l'exception de cas relevant notamment de la liberté d'expression, du droit à l'information et du droit à l'humour et la caricature.