Expérience client : les acteurs de la cosmétique & beauté se réinventent
Publié par CHRISTINE MONTFORT le - mis à jour à
La cosmétique se réinvente, poussée par des consommateurs experts, prêts à s'investir dans des routines personnalisées pour peu qu'elles soient porteuses de résultats avérés. De plus en plus connecté, ce secteur est à l'affût de toutes les opportunités pour affiner sa connaissance client et tenter de relever - en beauté - le pari d'une expérience réellement omnicanale.
Innovante et foisonnante, la cosmétique est en pleine transformation. À côté des enseignes établies, des marques de niche ont émergé, pour la plupart bio ou à base de produits naturels. Le capillaire se développe sur tous les types de cheveux, notamment texturés. Les marques réfléchissent à devenir plus responsables... Le secteur, qui fait aussi les frais de la baisse de pouvoir d'achat des Français, arrive d'ailleurs en deuxième position dans leurs attentes envers le discount. Le poids d'Amazon continue de croître dans les ventes online (+4 points de part de marché entre avril 2022 et 2023) aux dépens des spécialistes de la beauté, dont le panier moyen reste toutefois plus important que les autres e-commerçants.
Les modèles économiques sont challengés. Body Shop en a fait les frais et sa filiale française a été placée en redressement judiciaire début avril 2024. Inversement, "certains pure-players qui s'appuient sur les réseaux sociaux pour principal canal d'acquisition génèrent parfois un volume de ventes important avec un taux de conversion élevé", observe en effet Ricardo Catalano, Chief Strategy Officer et responsable de la verticale Retail Luxe au sein de l'agence créative globale VML. La croissance des ventes en ligne de cosmétiques étant 2,1 fois plus rapide que les ventes en magasin, la stratégie e-retail est devenue fondamentale pour toutes les marques. "On constate souvent une décorrélation entre la part de voix de la marque en digital et sa part de marché. Travailler ce canal de communication supplémentaire représente une opportunité de gain de part de voix et de croissance", ajoute-t-il.
Entre K-Beauty et care
L'attente d'efficacité s'étant renforcée, de nombreuses marques ont déjà développé ou s'apprêtent à proposer des technologies de diagnostic de peau basées sur l'IA pour proposer les soins les plus adaptés. Portée par des produits très performants, la K-Beauty (tendances de beauté en provenance de Corée) a secoué les marchés et est devenue une variante du soft power sud-coréen. Erborian, marque franco-coréenne du groupe L'Occitane, inclut d'ailleurs la découverte de la culture asiatique sur TikTok et dans les pop-up stores autour de ses nouveautés. Les marques chinoises se lancent à leur tour à l'assaut de la Beauty Tech et Ulike veut populariser sur les marchés américain et européen ses épilateurs à lumière pulsée qui ont déjà séduit la Corée. "Des collaborations avec des dermatologues dans chaque pays permettent de travailler la notoriété et de rassurer des consommateurs qui ont davantage l'habitude de faire confiance à une marque occidentale", explique Wanfen Xia, sa DG France.
Désormais, les frontières entre les catégories de la cosmétique s'estompent. "Les bénéfices sont plus hybridés. Des acteurs du soin trouveront intérêt à proposer une approche augmentée avec des produits qui permettront d'optimiser l'application du maquillage et seront aussi compatibles avec l'utilisation de machines, de laser...", détaille Marie-Alix Robert, directrice Customer Success à l'agence de Social Intelligence Dynvibe. Sous l'impulsion de nouvelles marques, la beauté devient aussi plus « bienveillante » et se teinte de care, poursuit Chloé Arjona, directrice du pôle Beauté chez NellyRodi : "Elle développe un discours empathique et sans tabou pour aborder la personne dans son ensemble et servir toutes ses particularités. La cosmétique halal, qui représente un marché énorme en Asie du Sud-Est, arrive en Europe. Des marques accompagnent les changements de vie : MiYé avec des produits adaptés aux cycles hormonaux des femmes ou Talm qui s'est spécialisée sur la femme enceinte ou allaitante."
TikTok, canal d'influence et de vente
Autre défi des marques et des enseignes : s'adapter aux nouvelles générations, trouver les moyens de les capter et de s'adapter à leurs usages. "Pour les très jeunes, le commerce social est un présupposé. TikTok s'impose comme vecteur d'influence et de commerce dans ce secteur. La campagne #TheFaceof10 lancée par Dove au Royaume-Uni sur ce réseau social pour inciter les enfants à ne pas utiliser de crème anti-âge n'en est qu'une des nombreuses preuves", pointe Matthieu Jolly, ex-Echangeur BNP Paribas Personal Finance, qui a lancé le cabinet Seenapse.
Energie Fruit, qui défend une « beauté positive », a aussi mis le social au coeur de la stratégie mais pour d'autres objectifs. Disponible à 85 % en grande distribution - un réseau qui concentre d'ailleurs 51 % des ventes physiques de produits cosmétiques, selon la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA) -, les remontées de données clients sont rares (ou coûteuses). Les échanges avec ses 70 000 followers sont un moyen d'y remédier. "On veut être une "digital retail brand", une marque à la fois mass market et conversationnelle comme le serait une DNVB", note Maxime Finaz, directeur général de Bloomup Energie Fruit. Une plateforme Good Mood Club permet à ses consommatrices-ambassadrices de tester en amont les formules et les packagings, d'accéder en avant-première aux nouveautés. Elles portent aussi l'essentiel des visuels de la marque, renforçant ainsi l'authenticité de sa promesse.
Communiquer sur les réseaux sociaux booste la marque, à condition de choisir le bon influenceur. "Léna Situations est en France celle qui permet d'avoir les meilleurs scores d'engagement mais reste généraliste. Les influenceurs spécialistes du skin care sont intéressants pour suivre et partager les nouvelles tendances", assure Alix Dona, en charge de l'outil de veille Detect chez Dynvibe. Les phénomènes sociaux organiques peuvent être une chance mais sont difficiles à anticiper. Aroma Zone a vu apparaître il y a quelques mois sur TikTok une centaine de vidéos pour son huile végétale de roquette et l'actif Maca Vital. Les ventes ayant été multipliées par dix, les prévisions de récolte et de production de l'actif ont été faussées et les produits ont connu des ruptures temporaires...
La pharmacie pour un conseil expert de proximité
Du côté des réseaux physiques, la pharmacie et la parapharmacie montent en puissance. C'est par exemple le réseau de distribution que privilégie Patyka depuis 2013. En avril 2024, My Little Box s'y est invitée pour la première fois avec Nuxe... "Dans ce circuit de proximité, le nombre de marques de cosmétiques est plus restreint. Les pharmacies attirent une population très affinitaire, en attente d'efficacité, avec une récurrence de fréquentation intéressante. Les conseils prodigués par un personnel de confiance fidélisent les clients", justifie Sophie Giran d'Audiffret, directrice marketing développement et communication de Patyka. Elle soigne particulièrement la relation avec ses partenaires pharmaciens, à travers des animations ou en leur faisant bénéficier des mêmes promotions que celles proposées online. Pas de problème non plus pour les gratifications, dans ce réseau pourtant plus habitué à gérer les cartes Vitale que les cartes de fidélité : "Nos packagings proposent à la consommatrice de référencer le produit acheté dans la base pour bénéficier des points de fidélité", précise-t-elle.
La personnalisation, mantra des réseaux sélectifs
La distribution sélective (28 % des ventes selon la FEBEA) a aussi amorcé sa mutation. "Le consommateur est en attente d'expériences à 360°. La marque doit multiplier les interactions personnalisées et les points de contact avec des conseils sur mesure prodigués en temps réel sur smartphone, sur les réseaux sociaux, dans des boutiques avec des conseillers... En mettant l'accent sur des sessions beauté, le nouveau Sephora des Champs-Élysées est un bon exemple de ces évolutions retail", considère Chloé Arjona. Marionnaud a aussi inauguré avec son "Greener Store" à la Défense un grand programme de rénovation de ses points de vente pour proposer une expérience plus complète avec un magasin plus connecté et personnalisé avec notamment un service de "flash make-up", la solution de diagnostic de peau boostée à l'IA et les crèmes personnalisées de Ioma (voir encadré). "Sur le segment du luxe, la distribution sélective permet de soigner les prises de parole pour que la stratégie retail nourrisse les valeurs de la marque, grâce à des programmes d'animation cohérents avec la marque et le retailer", note Ricardo Catalano.
Ce secteur de plus en plus digitalisé s'efforce de faire converger l'expérience client online et offline. "En boutique, les conseillers de vente sont très sollicités et des QR codes dans les rayons renvoient vers la fiche technique du produit, explique Pierre Raso, responsable projet expérience clients d'Aroma Zone. Sur notre site, un des enjeux de ces prochaines années consiste à guider l'utilisateur vers l'endroit où il trouvera la réponse à une question précise, à ajouter des fonctionnalités et des outils d'automatisation et d'intelligence artificielle pour améliorer encore le conseil."
Démocratiser une beauté plus responsable
Les enjeux environnementaux restent un autre pilier de la mutation du secteur. "En tant que marque leader, il est de la responsabilité d'Yves Rocher d'engager notre communauté autour d'une consommation plus responsable. Notre réseau de proximité - 660 boutiques en France - et notre site sont des atouts considérables pour accompagner les clients dans l'adoption de nouveaux gestes", assure Céline Damour, directrice de la marque. Plusieurs leviers y contribuent : des offres commerciales autour des flacons durables, le nouveau programme de fidélité qui récompense davantage les clients optant pour les écorecharges, la cosmétique solide ou les produits écolabellisés, bientôt la consigne (voir encadré).
Pour défendre une légitimité construite depuis 1921 sur la cosmétique bio et naturelle, Weleda a commencé à revoir gamme par gamme le design de la marque. Face à la multiplication de la concurrence, son combat est plus large. "Sur le marché, il y a encore pas mal de greenwashing. Qu'y a-t-il dans les 3 % restants quand on est à 97 % naturel ? Il faut ouvrir un dialogue sur ce que sont les exigences en matière de naturalité, expliquer nos formules 100 % naturelles qui vont au-delà des exigences de la cosmétique bio et excluent par exemple tout produit issu de la pétrochimie", affirme Ludovic Rassat, Dg France de Weleda. La marque va moderniser sa communication et développer une stratégie sociale qui passera évidemment par TikTok. La preuve que l'on peut, à presque 105 ans, être parfaitement ancré dans son époque et acteur du changement !
Beauté personnalisée : un partenariat data encore renforcé entre Ioma et Marionnaud
Ieva Group a été précurseur de la beauté personnalisée avec une solution de diagnostic de peau boostée à l'IA et des crèmes personnalisées, disponible notamment chez Marionnaud et Beauty Success. "Aucune marque ayant voulu faire de la personnalisation à la maison n'y est arrivée. Nous avons choisi d'équiper les retailers. Cette solution est simple pour la cliente, intéressante pour le magasin et pour nous", explique son président-fondateur Jean-Michel Karam. Depuis novembre 2023, le groupe déploie de nouveaux appareils "i-Diag by Ieva" avec une plateforme d'analyse cutanée et capillaire qui offre une vision "holistique et détaillée" du bien-être de la peau. C'est aussi un élément moteur dans la recherche d'omnicanalité et pour personnaliser le message envoyé au client. À cette occasion, le partenariat avec Marionnaud a été renforcé. "Ieva Group a dopé leur base de données avec de nouvelles technologies d'IA générative, de connectivité et de data base. Marionnaud peut exploiter la data qui remonte au profit de sa marque et même d'autres marques", détaille-t-il.
Recharge : des premiers tests concluants
Le parfum "La Vie est Belle" de Lancôme, vendu à un million d'unités par an, est rechargeable depuis septembre 2023. "La recharge utilise 50 %
de verre en moins, 36 % de moins de plastique et de carton et permet à la consommatrice de faire environ 30 % d'économie", a indiqué Rafaele Brzuchacz, directrice générale France de la marque, fin mars 2024. Lancôme, qui souhaitait réaliser 10 % des ventes de ce parfum sur des recharges en 2024, est "déjà à 15 % sur les trois premiers mois de l'année."
Yves Rocher va lancer d'ici la fin de l'année des premiers tests de consigne pour les pots en verre des produits de visage. Ils pourront être ramenés dans certains magasins dans une logique écoresponsable, qui devrait se doubler d'effets vertueux sur la fidélité et le trafic.
3 questions à Julie Hemeryck, responsable relation client chez Aroma-Zone
Quelle place tient la communauté d'Aroma Zone dans la relation client ?
La marque s'est développée grâce à la recommandation de personnes intéressées par des solutions beauté et bien-être saines, issues très majoritairement d'actifs du monde végétal. Aroma Zone a donc grandi de manière assez communautaire, sans fausses promesses et avec des prix accessibles au plus grand nombre. Quand une personne entre en contact avec la marque, il est important qu'elle se sente avec ses pairs. La relation avec les clients a été construite sur ce même modèle avec beaucoup d'humain et de proximité, et peu de script. Nous apportons à notre communauté un niveau d'expertise élevé avec une relation bienveillante et chaleureuse, qui est notre marque de fabrique et que l'on maintient constamment.
Qu'est-ce que cela implique ?
Notamment d'accorder le juste temps au client. Il faut accepter qu'un conseil personnalisé ou qu'une découverte complète prennent plus de temps que des questions gérables de manière plus opérationnelle. Nous sommes très challengés sur certains produits à fort succès comme nos bases à personnaliser, mais aussi sur des produits de niche qui sont parfois mis en avant pour un atout ou une matière naturelle. On ne se ferme pas à des solutions pour raccourcir les délais de prise en charge mais toujours avec des partenaires qui comprennent nos impératifs, progressent avec nous et acceptent que tout ne soit pas intégralement scripté. Les agents ayant une grande liberté d'action et de conseil, il faut investir sur la formation et l'accompagnement des équipes. Nous sommes très attentifs à ce qui remonte de ces échanges, y compris de la part de collaborateurs de niveau 1, qui sont associés à la boucle d'amélioration. Tous les produits lancés aujourd'hui ont été demandés par la communauté ou la clientèle ces deux ou trois dernières années.
D'autres spécificités sont-elles liées à votre approche d'une cosmétique naturelle et personnalisée ?
Pour pouvoir personnaliser les réponses et les routines, il faut bien connaître les produits. Des échanges avec les équipes R & D, qualité et production permettent aux agents de comprendre le choix des ingrédients, les enjeux techniques des formules, d'être informés sur les spécificités de chaque lot... Travailler sur des matières premières naturelles peut apporter des petites variabilités qui peuvent surprendre. C'est très différent de ce que l'on peut voir sur des cosmétiques qui ne travaillent que sur des formules finies.