Tribune " Pourquoi les étudiants boudent-ils le digital ? "
Publié par Christine Melous, présidente de l'ESP le - mis à jour à
Malgré le potentiel incontestable du secteur du Web, pourquoi les étudiants sont-ils toujours autant attirés par les métiers traditionnels de la com' ? Décryptage avec Christine Melous présidente de l'École Supérieure de Publicité (ESP).
Le secteur du numérique représente 3,2 % du PIB et 700 000 emplois créés depuis 15 ans (étude Mc Kinsey) et la tendance à la forte croissance du secteur n'est pas prête de faiblir comme en attestent de nombreux indicateurs. Les entreprises (PME, grandes entreprises, à Paris ou en province...) sont de plus en plus nombreuses à se mettre au digital que ce soit seulement pour de la publicité sur le Web, une activité e-commerce, le développement d’une application mobile... En 2011, les ventes en ligne ont dépassé les 37 milliards d'euros, (+ 22 %) et la Fevad estime qu’elles seront supérieures à 70 milliards d’euros en 2015.
Or, les acteurs du Web, qu’ils soient prestataires ou annonceurs, font tous le même constat : recruter devient de plus en plus difficile. Il y a pénurie de certains profils et de candidats ayant une réelle formation digitale, sans même parler d’expérience !
Sandra Retailleau, directrice générale de DigitalKeys le confirme « je dirige une PME de 18 personnes spécialisée dans l’activation digitale (Search, Emailing, Affiliation, Prm, Crm) et nous sommes en pénurie de candidats et constamment en recrutement. À titre d’exemple, nous venons de proposer un CDD à un stagiaire pour les deux mois d’été en attendant de pouvoir recruter le profil que nous recherchons Nous sommes loin d’être les seuls dans ce cas : nos clients, des prestataires et même des concurrents nous demandent régulièrement si nous connaissons un community manager, un affiliate manager ou un e-marketeur qui cherche du travail. Les profils opérationnels sont chassés en permanence, cela génère un turn over important et fait monter les salaires de manière artificielle. Aujourd’hui, un salarié qui a entre un et deux ans d’expérience peut déjà diriger une petite équipe ! Or, les étudiants ne sont pas encore conscients des débouchés du secteur et ne connaissent pas les nombreux métiers du Web. Face à cette difficulté de recruter, j’ai choisi de faire des formations et des interventions en école, pour former les bons profils ! »
Pourquoi les étudiants continuent-ils à choisir la pub et la com' au détriment du digital ?
Nous avons organisé en mars dernier le 1er job et stage dating. Le principe de ces rencontres était de réunir durant une matinée, étudiants, jeunes diplômés de l’ESP (*) et entreprises, afin d’échanger sur leurs recherches et besoins en termes de stages et emplois. Les entreprises ont été nombreuses à participer à cette première édition. En effet, l’ESP a accueilli 26 entreprises et 125 participants. Nous avons été étonnés de voir l’attrait des agences traditionnelles de communication absolument pas démenti. Au contraire, les étudiants sont toujours aussi attirés par « la pub » et l’image glamour qu’elle véhicule. Ce constat est partagé par les entreprises présentes.
Jean Nasr, creative director et managing partner de l’agence Arthur Schlovsky (agence de création et production de Mediaedge et GroupM) le confirme : « La queue devant le bureau dédié aux agences de pub était impressionnante. J’ai entendu durant cette journée plusieurs fois : « je m’oriente vers le planning stratégique, j'ai envie de faire de la strat publicitaire, je veux être concepteur-rédacteur ... ». Beaucoup d’élèves de troisième année sont très en retard sur ce que les agences de communication sont devenues et surtout sur l'évolution des agences media avec leurs structures de conception et de contenu depuis quelques années. L’idée, La création et le contenu digital ou autre… ont évolué depuis des années pour prendre le contre pied de la publicité traditionnelle. Buzzman, Ubi Bene, Arthur Schlovsky et tant d’autres agences indépendantes ou intégrées à des groupes de communication l’ont prouvé et continueront à le faire. Je n'ai pas entendu une seule fois, « J'ai envie d'apprendre ce qu'est le digital, comment ça fonctionne, comment on conçoit une histoire avec un contenu de marque impactant... », ou bien « je suis intéressé par le Mobile et les nouveaux médias, par les applications conçues pour les marques sur les ipad et les smartphones... ». C'est dommage, mais ça va arriver, j'espère. Pour cela, je pense qu’on doit éduquer les étudiants et les informer sur la réalité du marché de la communication et l'évolution des médias. Cette éducation pourra les orienter différemment dans leurs choix et dans leurs demandes de stages.».
Les métiers du Web pâtissent d’un déficit d’image et de tout un tas d’idées reçues, comme celle qu’ils nécessitent forcément des compétences techniques. Or, on recence environ 40 métiers liés au digital et bien d’autres émergeront dans les mois/années à venir. Parlait-on de community manager il y a deux ou trois ans ? Ils comportent pour beaucoup leur part de stratégie, de création, de conception-rédaction… très loin du seul développement HTML ! Et ils peuvent s’exercer dans des structures très variées (agence média, web agency, régie web, mobile, site éditorial, start-up…). Enfin, toutes les études montrent que ces métiers offrent des niveaux de salaires supérieurs aux fonctions marketing « classiques ». Et cette tendance n’est pas prête de s’inverser tant les profils recherchés se font rares. C'est donc notre responsabilité, en tant que professionnel, d’engager la réflexion au plus tôt et de multiplier les initiatives pour leur faire prendre conscience de l'évolution de la profession, et leur faire découvrir via toutes sortes d'expériences, toutes les opportunités offertes par le secteur du Web. Nous préparons d’ailleurs plusieurs nouveautés dans ce sens à l’ESP pour la rentrée prochaine.
En octobre dernier, l’ESP a lancé un nouveau Bachelor (niveau Bac+3) consacré aux métiers du Web. Ce programme accueille des étudiants ayant déjà validé deux années d’étude dans la communication. Il a pour objectif de préparer, en un an, aux différentes fonctions du Web : chef de projet web, affiliate manager, community manager, responsable marketing online… Le Bachelor Digital a obtenu le Prix de l’innovation dans le cadre du classement Post-Bac et Post-Prépa 2011 établi par le cabinet SMBG.
(*) l’ESP, École Supérieure de Publicité de Communication et de Marketing, fondée en 1927, est la plus ancienne école de communication de France. Elle accueille chaque année 500 étudiants. L’école forme aux métiers de la communication, de la publicité, du marketing, du digital et du management. Elle offre des formations de Bac + 1 à Bac + 5. C'est la seule école française membre de l’IAA (diplômes reconnus internationalement) et est membre de l’AACC et de l’UDA.