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[Interview] Mercedes Erra, fondatrice de BETC et présidente exécutive d'Havas Worldwide

Publié par Propos recueillis par Stéfanie Moge-Masson le | Mis à jour le

Encore installée faubourg Saint-Martin, Mercedes Erra nous a reçus pour un entretien sincère et chaleureux sur sa carrière, ses valeurs, sa vision des maux dont souffre notre société et le projet pharaonique d'installation à Pantin.

Revenons à vos débuts, si vous le voulez bien. Après le bac, vous avez fait une prépa littéraire, puis exercé en tant que prof de français, avant de vous réorienter vers la pub. Pourquoi ce virage à 180°?

Mercedes Erra: (Sourire) Il faut préciser que je suis passée par HEC au milieu! Au fond, je ne rêvais vraiment pas d'être fonctionnaire. Je manquais de challenges, ce devait une vie trop tranquille pour moi. J'aimais bien enseigner mais au fond, j'avais encore plus envie de faire. Alors, j'ai passé le concours d'HEC, décroché une bourse et je me suis lancée. Au sortir de l'école, j'ai fait mon premier stage dans la pub, chez Dupuy-Compton (devenu plus tard Saatchi & Saatchi), et je me suis aussitôt dit: "C'est cela que je veux faire."

Que retenez-vous de votre cursus littéraire?

J'ai adoré mes années d'hypokhâgne et de khâgne. C'est une extraordinaire école de rigueur, plus peut-être que les études scientifiques. J'aime réfléchir, chercher à comprendre la nature humaine. Je suis passionnée par l'art de la persuasion... Je pense, ­d'ailleurs, que j'aurais été une bonne avocate. Le lien entre mes études littéraires et mon métier d'aujourd'hui, ce sont les sciences humaines.

Avec le recul, comment expliquez-vous ce coup de foudre pour la pub?

D'abord par la liberté de pensée et de parole que procure la position de celui qui conseille et oriente. Je n'étais pas assez obéissante pour être en entreprise chez l'annonceur. En agence, celui qui finit par décider de tout, c'est le consommateur et pour lui/elle, on a raison de se battre pour ses idées. Et puis, la publicité, c'est un métier de réflexion. Tout commence par une phase d'études, qui permet de bâtir une stratégie puis de proposer une création. Enfin, c'est un métier à risque ! On prend une orientation que l'on défend auprès de son client et, au final, on est jugé aux résultats. Petits, mes enfants me disaient que je passais tout le temps des examens.

Quelle est la clé du succès dans ce métier?

Je pense que c'est la qualité de la relation, l'ouverture à l'autre. Je les priorise dans mes recrutements.

Et son pire ennemi?

L'habitude. Si elles n'y prennent pas garde, les entreprises prennent des habitudes et s'ancrent dans une idéologie. Elles se figent.

L'injustice faite aux femmes est le premier problème de notre société.

Un souvenir d'idée que vous avez défendue contre vents et marées?

C'était dans les années quatre-vingt, chez Dupuy-Compton. Nous travaillions pour la marque de jeans Wrangler, dont le claim était "un jean taillé pour l'aventure". Je voulais mettre en exergue l'exceptionnelle durabilité de ces jeans et j'ai proposé l'image d'un squelette, posé dans le désert, portant un jean, intact. Le client avait peur... Mais il m'a finalement fait confiance. Plus tard, pour la même marque, nous avons créé cette très belle campagne mettant en scène un foetus dans le ventre de sa mère, vêtu d'un jean Wrangler. Avec le recul, je me dis qu'il nous a fallu un certain courage...

Avez-vous continué à enseigner?

Oui, je passe du temps à raconter la stratégie à Assas.

À l'heure où un Français sur trois s'est muni d'un adblocker, la publiphobie semble relativement forte en Europe et ailleurs. Cela vous agace-t-il?

Je trouve cela intéressant. Je suis plutôt du style à me demander pourquoi un nombre croissant de consommateurs pensent cela. La publicité doit être ­créative, intéressante, ­intelligente. Elle devient alors une arme redoutable pour faire fonctionner les entreprises, changer les comportements et lutter contre les stéréotypes.

Lutter contre les stéréotypes... C'est ce qui vous a poussée à vous occuper du Musée de l'immigration, vous qui êtes née en Catalogne et avez débarqué en France à l'âge de six ans sans parler un mot de français?

En 2009, j'ai été contactée par Jacques Toubon, alors président du conseil d'orientation de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, qui m'a proposé d'en présider le conseil d'administration. J'ai d'abord été très étonnée, puis séduite par le projet. J'ai aussitôt rebaptisé cette "cité" en "musée", un mot qui énonce d'emblée le regard historique sur la question. Je pense que le meilleur moyen de lutter contre les préjugés sur l'immigration est de dire la vérité, de raconter ­l'intégration, ­d'aligner les faits, de montrer - chiffres à l'appui - que les flux migratoires ne sont pas en augmentation. Ma conviction profonde est que le vrai problème de notre société, ce n'est pas l'immigration mais le blocage de l'ascenseur social.

Les prévisions d'investissements publicitaires des annonceurs, quasi atones en France, progressent timidement sur la moyenne européenne malgré le dynamisme du Royaume-Uni et de l'Espagne et, a fortiori, de l'Asie-Pacifique et de l'Amérique latine. Comment expliquez-vous ces contrastes?

L'obstacle à la croissance de notre économie, c'est le manque de confiance.

L'obstacle à la croissance de notre économie, c'est le manque de confiance. Tant qu'on ne croira pas, on ne croîtra pas. Nous payons le prix de mauvais choix passés qui ont fragilisé notre tissu industriel. Je pense, par exemple, à notre système juridico-fiscal, qui freine le développement des entreprises. Nous avons, pourtant, une immense force : le dynamisme de la création d'entreprises en France.

Quelles solutions proposeriez-vous si vous en aviez le pouvoir?

Il faut libérer l'entreprise aux niveaux administratif, social et fiscal. Comme Philippe Haghion - j'adhère profondément à sa pensée -, je pense qu'il est urgent d'instaurer, en matière de travail, une véritable "flexisécurité". Je déteste, par exemple, l'idée qu'une personne puisse être nommée "à vie" ou puisse avoir des "avantages acquis". Le mérite, ça devrait marcher partout !


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