Quand la data redéfinit le couple institut d'études / annonceur
Publié par Clément Fages le - mis à jour à
Alors que toute donnée devient insight, les services études voient leur métier profondément bouleversé, de la façon de mener les enquêtes jusqu'au rôle occupé dans l'entreprise. En témoignent les conférences consacrées à la data lors du Printemps des Études 2019, dont e-marketing.fr est partenaire.
Comment donner du sens aux données multisources, pour agir aujourd'hui et imaginer demain ? C'était la question posée aux intervenants d'une table ronde éponyme animée lors du Printemps des Études 2019 par e-marketing.fr, représenté par Stéphanie Moge-Masson. L'occasion pour les duos institut / annonceur que sont Harris Interactive / France Télévisions, Strategir / Carglass, OpinionWay / Prévention Routière et CSA Data Consulting / Orangina Suntory France d'évoquer le nouveau rôle des études à l'ère du big data. Alors qu'à l'heure du digital, toute donnée devient insights, les nouveaux outils de collecte et d'analyse font leur apparition, transformant le fonctionnement interne des départements études et les relations qu'ils entretiennent avec les autres métiers de l'entreprise.
"Les données sont de provenances et de qualités diverses", débute Stéphanie Moge-Masson, accompagnée pour son introduction par Thierry Aubert, chef des opérations de Mediatech Solution, qui ébauche le nouveau contexte dans lequel opèrent les études : "Le digital a permis l'industrialisation de la collecte, et a ouvert de nouvelles sources de données, en plus de celles des études classiques, omnibus et autres focus groupes." Les professionnels des études peuvent ainsi récolter et faire parler de multiples types de données, opérationnelles (ventes, réclamation du SAV), comportementales (parcours en ligne et en magasin) ou encore émotionnelles (analyse sémantique, facial coding).
"Tous les collaborateurs et les métiers de l'entreprise deviennent des véhicules de l'insight, qui ne passe plus que par l'enquête. Le but est d'avoir une vision à 360°", ajoute le COO de Mediatech Solution. Mais reste à rendre ces données hétérogènes intelligibles. "L'une des pistes est l'IA, qui peut automatiser le traitement d'avis laissés sur le Web ou les verbatims de conversations du call center, et faire le lien entre des indicateurs comme le NPS, le temps d'attentes et des verbatim précis pour identifier des leviers de performance."
Quelle évolution chez les annonceurs ?
Un contexte de transformation également à l'oeuvre chez les annonceurs présents sur scène : "Avec France Info, nous avons vocation à faire de France Télévisions le portail média n°1 dans le cadre de la refonte audiovisuelle", explique Florent Dumont, Directeur des Études et du Marketing Antennes de France Télévisions. "Auparavant, nous nous concentrions sur les audiences, mais aujourd'hui cette donnée devient trop parcellaire pour expliquer l'évolution des usages que représentent le catch-up ou le streaming." Depuis trois ans France Télévisions a mis en place un baromètre de satisfaction quotidien, dont les résultats arrivent 1h30 après les audiences. "On sait d'abord si tel ou tel programme a fonctionné ou pas, et 1h30 plus tard on sait pourquoi." Des enseignements dont profitent les programmes suivants, bien que le but ne soit pas que la création de contenu soit pilotée par la donnée, rappelle Florent Dumont.
Leader sur un marché en décroissance, Carglass n'en est que plus challengé à en croire Sarah Sakaly, chargée d'études marketing. Cela demande une diversification, en témoigne le lancement de Carglass Maison. "Dans ce contexte difficile, nous avons utilisé l'IA pour comprendre pourquoi certains clients ne venaient pas alors qu'ils avaient pris rendez-vous. Nous avons organisé la collecte et l'analyse des verbatims, et nous avons pu invalider quelques pistes que nous avions en interne, comme l'effet de la concurrence ou le prix : les raisons évoquées pour justifier l'absence n'étaient dans l'ensemble pas de notre ressort."
"Météo, consommation d'alcool, fatigue... L'étude de ces facteurs permet de comprendre comment réduire les risques", indique de son côté Christophe Ramond, Directeur Etudes et Recherche de l'Association Prévention Routière. Il lance un nouvel observatoire du risque routier avec OpinionWay, un hub permettant d'hybrider ces nouvelles sources de données. Parmi elle, les données issues de l'application Les Eclaireurs, un panel d'automobiliste ayant accepté de transformer leur smartphone en capteur évaluant leur conduite. "On croise leur itinéraire et leur vitesse avec l'état des routes, et on les interroge pour avoir leur ressenti. À terme, nous pourrions créer un modèle prédictif, un GPS de la sécurité, et adapter des messages selon le profil du conducteur, afin d'affiner la politique de prévention."
Une approche que partage Laura Koenig, Marketing Research Manager d'Orangina Suntory France, dans une optique plus business, puisqu'elle met en place avec CSA Data Consulting un modèle d'attribution : "Nous sommes aussi en transformation, dans le sens où nous passons d'une appréciation des ventes en volume, au litre, à une appréciation en valeur, en mettant en relation les données issues de la pub, des promos ou de la météo pour évaluer nos ROI. En suivant nos ventes trimestrielles, nous sommes capables de mieux gérer nos campagnes : combien investir dans la Villa Schweppes ? Ou une publicité Oasis ? Quel CA pour 1 GRP ? Cela permet d'affiner la stratégie par canal, mais aussi par marque."
Le métier des études se réinvente
L'attribution et l'étude de l'impact de chaque levier sur le mix marketing permettent d'améliorer les campagnes suivantes. "On sort des études pures pour aller sur de nouveaux métiers", réagit Jean-Pierre Michel, Directeur Associé de Strategir.
Chez France Télévisions, les études étaient avant considérées comme un service support, fournissant de l'analytics aux autres métiers et opérant en aval. Désormais, "elles agissent en amont dans un rôle de recommandation stratégique", explique Florent Dumont. Des applications mobiles permettent aux différents métiers de consulter les dashboards, afin que tout le monde accède aux insights. Pour Florent Dumont, "cela nécessite d'envoyer moins de résultats, et de mieux les contextualiser."
"Pour ne pas se retrouver noyé sous la data inutile, il faut réfléchir à des KPI. Quelles indications sont les plus pertinentes et vaudront qu'on aille rapidement sonder un panel pour en comprendre leur évolution ?", demande Philippe La Magueresse, Directeur Général Adjoint d'Opinion Way, qui collabore avec l'Association de Prévention Routière.
"Il faut un droit à l'errance, réagit Sarah Sakaly. Surtout quand on s'attaque à un nouveau marché comme la maison. Il faut tester des choses, et prendre le temps de voir ce qui fonctionne quand on veut pouvoir faire des recommandations stratégiques. Cela vaut pour l'analyse des verbatims, quand un client dit A mais pense en réalité B. Seule l'IA permet de rapidement en sortir des insights. Alors que nous hésitions entre deux pistes pour un développement produit, cela nous a permis de trancher, mais il a fallu quelques jours pour analyser la data. Nous découvrons un nouveau secteur, et nous sommes en train d'inventer une nouvelle méthode pour identifier les données clefs et une manière de les restituer."
"C'est la confrontation entre deux tendances : celle du test and learn, où l'apprentissage requiert du temps et des ajustements, et se construit sur le long terme. Et celle du ROI, où la performance est plus que jamais challengée, qu'on soit en média ou dans le monde des études", explique de son côté Patrick Van Bloeme, Co-Président France d'Harris Interactive, qui cite en exemple les études neuroscientifiques qui mixent eye-tracking, facial coding et analyse des verbatims.
Tous les intervenants évoquent alors l'importance du storytelling pour embarquer les différents métiers avec lesquels collaborent les études. "Les images valent mieux que des mots, et la datavizualisation est un puissant outil de storytelling, pour peu qu'on sache mettre les insights en lumière", explique Thierry Fontaine, directeur de CSA Data Consulting. "Il faut savoir mettre en relief les risques et saisir les opportunités, ajoute Philippe Le Magueresse. En hybridant la data on amène plus de compréhensions, la multiplication des sources réduisant le risque de manquer quelque chose et de commettre une erreur."
Des évolutions qui se traduisent aussi chez les annonceurs. Chez Orangina Suntory, Laura Koenig recrute désormais des data scientists et collabore plus étroitement avec les services médias. "On passe du marketing de masse au marketing de précision en nous rapprochant du schéma bon message, bon moment et bonne personne." Revenant sur l'importance du storytelling, Florent Dumont indique de son côté qu'au-delà de l'analyse de la data, "ces nouveaux profils doivent aussi apprendre l'importance de la prise de parole publique et de la capacité de conseil pour s'imposer dans l'entreprise."
Pour aller plus loin :
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