[Rencontre] Dominique Cardon : "Les algorithmes sont idiots !"
Publié par Laure Trehorel le | Mis à jour le
Les algorithmes sont plein de promesses pour les marketers... Mais sont-ils réellement efficaces ? Éléments de réponses avec Dominique Cardon, sociologue au Laboratoire Sense d'Orange Labs.
Algorithme et marketing font, a priori, un bon ménage. Mais à quel point ? "Contrairement à ce que l'on essaye de nous faire croire, les algorithmes ne permettent pas de calculs précis des données du web... Et lorsque l'on parle de publicités personnalisées, le ciblage reste encore très imprécis !", lance Dominique Cardon, sociologue au Laboratoire Sense d'Orange Labs, invité à la conférence organisée par le Club Business Analytics Info, sur le sujet 'Comment les algorithmes vont façonner notre avenir' qui s'est tenue à Paris mercredi 10 février 2015.
Et l'expert de poursuivre : "Les algorithmes sont idiots ! Mais c'est une qualité à respecter. Leurs calculs statistiques sont massifs, puissants et efficaces. Mais cette efficacité est loin d'être parfaite et toujours pertinente. Aussi, les résultats, notamment en termes de stratégie marketing, ne sont pas aussi subtils qu'on le laisse entendre." Pourtant ces algorithmes, aussi imparfaits soient-ils, sont partout, et participent à l'élaboration des stratégies marketing...
Transparence et loyauté
"La finalité d'un algorithme est de faire un choix"
"On a souvent demandé aux algorithmes d'êtres neutres. Mais n'oublions pas que la finalité d'un algorithme est de faire un choix !", martèle Dominique Cardon. Aussi rappelle-t-il que, à la naissance de Google en 2000, les questions se soulèvent : cet algorithme est-il ou non une bonne représentation ? "Les tribunaux américains ont alors tranché : les algorithmes peuvent 's'exprimer' librement, et on ne peut pas contester juridiquement leurs résultats...", précise l'expert.
Pourtant, l'idée de loyauté est primordiale en matière d'algorithmes...et de stratégie marketing ! "C'est même bien plus qu'un calcul marketing. Les algorithmes guident nos vies et son présents dans beaucoup de domaines", insiste Dominique Cardon. Ainsi, on est en droit d'attendre que la liste de suggestions "Les clients ayant consulté cet article ont également regardé" proposée par Amazon soit vraie, tout comme de Google qu'il ne privilégie pas ses propres services dans les résultats de son moteur de recherche...
Dominique Cardon est sociologue au Laboratoire Sense (Sociology & Economics of Networks and Services) d'Orange Labs et professeur associé à l'université de Marne-la-Vallée Latts. Il est également membre associé au Centre d'études des mouvements sociaux de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il est l'auteur, entre autres, de l'ouvrage À quoi rêvent les algorithmes. Nos vies à l'heure des Big Data, paru aux Editions du Seuil en 2015
"Les algorithmes [...] pré-structurent le monde dans lequel nous naviguons"
Pour l'heure, Dominique Cardon regrette que les internautes restent démunis face à ces calculateurs : "Les clients doivent avoir les bases pour les comprendre, les critiquer, les explorer, les tester, les apprivoiser !" Cela nécessite un meilleur niveau de compréhension de la part des internautes, qui devrait arriver tôt ou tard. Lorsque ce sera le cas, les responsables marketing pourraient avoir du fil à retordre : "Dès lors, les internautes pourront modifier leurs comportements pour envoyer de faux signaux aux algorithmes", explique le sociologue. Et de citer l'exemple d'add-ons sur Firefox qui, sans que cela ne perturbe la navigation de l'internaute, vont cliquer automatiquement sur toutes les publicités, envoyant ainsi une multitude de signaux et brouillant les capteurs de l'algorithme. "C'est en soi une forme de résistance... ou d'appropriation de l'algorithme de la part des internautes", note Dominique Cardon.
A moins d'utiliser un logiciel bloqueur de publicités, AdBlock pour ne pas le nommer, l'internaute fait face à des annonces publicitaires. Libre à lui de cliquer ou non dessus. "Aussi, les algorithmes n'agissent pas sur nous. En revanche, ils pré-structurent le monde dans lequel nous naviguons", remarque Dominique Cardon.
Quid des données à caractère personnel ? Car si l'internaute peut influencer les publicités qui vont se présenter ou non à lui, la question de l'utilisation de ses données personnelles est plus sensible... "L'utilisateur devrait pouvoir paramétrer le calcul de l'algorithme, afin de toujours bénéficier d'un libre-arbitre. Il faudrait pour cela mettre à disposition des consommateurs un curseur simple à utiliser, leur permettant de maîtriser l'usage de leurs données", préconise le sociologue. A quand cette évolution ?